Quand sa propre vie devient source d’inspiration

Littérature autobiographique

On se rappellera toujours du témoignage d’un chef de société industrielle, devenu écrivain alors qu’il était parti de rien. La misère, les épreuves qu’il a subies depuis sa plus tendre enfance, ont fait de lui un homme mûr, conscient de la nécessité de lutter non pas seulement pour la survie, mais pour le bonheur qu’il a su arracher au prix d’efforts constants.
L’homme en question connu comme écrivain dit avoir été receveur d’autobus dans la journée pour gagner de quoi vivre et faire vivre les siens, étudiant en cours du soir. Et il a été constant jusqu’à l’obtention de diplômes universitaires. Durant ses années de jeunesse, il a habité avec sa famille dans un bidonville des environs d’Alger dont l’exiguïté fut telle qu’il n’avait pas une place suffisante pour dormir, ses pieds dépassaient les murs en matériaux de fortune lorsqu’il s’allongeait.

A l’école de la vie
C’en est une effectivement pour un enfant obligé de travailler pour survivre et arriver à faire des épreuves difficiles des années d’enfance et d’adolescence, une source de profits pour le restant de ses jours.
Pareil destin nous fait penser à Omar de la Grande Maison de Mohammed Dib qui a beaucoup peiné à un âge où l’enfant a besoin de chaleur paternelle pour s’épanouir, rêver d’un monde meilleur. Mais l’affection dont bénéficiait Omar poussait comme une fleur sur un rocher sauvage», dit Mohammed Dib dans une page de son roman pour exprimer l’idée de précarité ou de vie dure dont l’enfant, personnage principal, va tirer des leçons pouvant l’aider à lutter efficacement contre les aléas de la vie.
Notre pensée va aussi vers Mohamed Choukri pour son roman autobiographique par lequel il a pris son public de lecteur à témoin pour son père qui l’a exploité à son profit jusqu’à l’âge de 18 ans en l’obligeant à travailler dans un bar de Tanger et ce, afin que sa paie lui serve à boire chaque jour. L’enfant a travaillé comme serveur moyennant un salaire versé directement au père. Ainsi, l’enfant a trimé pour que son père perçoive de quoi se saouler chaque jour.
Et à 18 ans, le désir de libération du joug paternel s’est enfin réalisé. L’enfant malheureux exploité à outrance, devenu jeune homme conscient de son avenir, décide de prendre la clé des champs. Et dans un lieu tenu secret, il apprend à écrire et à lire si bien qu’au bout de quelques années, il acquiert un niveau de langue suffisant pour raconter son enfance et son adolescence malheureuses dans un livre lu partout avec beaucoup d’intérêt. Il réussit à exorciser le nul qu’il l’avait habité depuis sa plus tendre enfance en se séparant définitivement du père impitoyablement exploiteur. A quelque chose malheur est bon.

Un destin malheureux qui conduit au bonheur
Cela fait penser aux écrivains qui, par un concours de circonstances, ont eu à se prendre en charge, sous le prétexte qu’ils n’ont eu personne pour les entretenir depuis leur naissance jusqu’à la fin des années de jeunesse. Ils étaient tombés du ciel pour se retrouver seuls à un âge où on a besoin d’un tuteur : un père, une mère, un protecteur. Et Jack London occupe là -dessus le devant de la scène, parce que dès l’âge de l’enfance, il a exercé toutes sortes de petits métiers qui permettent de faire vivre mais dans la précarité. Il a été marchand de journaux, garçon de café, livreur, avant de devenir un écrivain de talent qui a marqué son temps.
Sa vie qui a été une longue aventure lui a donné la vocation d’auteur de romans d’aventure : le loup des mers, Fille des neiges, Croc Blanc qui n’ont pas pris une ride depuis plus d’un siècle. Parmi d’autres écrivains qui ont apporté la preuve des vertus pédagogiques des problèmes de la vie, Kateb Yacine s’impose pour son itinéraire atypique et son œuvre littéraire originale par son style et son contenu. Les évènements de 1945 arrivés malencontreusement lui ont brisé l’élan dans son processus d’apprentissage scolaire, en faisant de lui une victime innocente d’un système colonial aveugle.
Et malgré lui, il devint un errant, il avait été exclu du lycée de Sétif en qualité d’élève de 3e d’antan après s’être joint à la révolte du 8 -Mai 1945 réprimée dans le sang par la police et l’armée françaises. C’était au lendemain d’un armistice qui avait mis un terme à la Seconde guerre mondiale au cours de laquelle des milliers d’Algériens avaient donné leur vie en luttant contre un ennemi qui n’était pas le leur.
Kateb Yacine, comme tous les Algériens victimes de la répression des colonisateurs ingrats et après que d’autres nationaux avant eux, aient été enrôlés de force comme chair à canon pour une guerre et contre des adversaires qui n’étaient pas les leurs, s’est retrouvé livré à la pire des précarités, alors qu’il n’avait que 16 ans.
Après que sa mère eut été bouleversée par ce maquis, il restait l’errance pour Kateb Yacine mais il n’a pas erré à la manière de Si Mohand ou M’hand quand il a vu sa famille disparue et son village rasé en 1857. Kateb avait des atouts importants, une forte personnalité, un courage qui a frisé la témérité, des capacités d’expressions écrites ou orales admirablement améliorées par l’apprentissage en autodidactique au contact des littératures américaines, grecques, européennes et son extrême intelligence.
A 17 ans, on le voit à Paris pour une conférence sur l’Emir Abdelkader. Puis ce fut son œuvre prolifique dans divers genres : poésie, roman, théâtre. Toute sa production orientée vers l’Algérie sous tous ses angles : politique, historique, culturel, a fait de lui une sommité dans le monde. Il est mis au programme dans un grand nombre d’universités étrangères, dans une diversité de langues les plus parlées au monde. Pour qui sait décrypter les messages hermétiques, les textes de Kateb ont véhiculé tout le patrimoine historique ainsi que l’essentiel de la culture des ancêtres.
Abed Boumediene