Alger a appris à se méfier des mots

La main tendue de Mohamed VI à Tebboune pour des «relations naturelles »

L’an dernier aussi le roi du Maroc, Mohamed VI avait choisi l’occasion de la fête du Trône célébrée dans le royaume chérifien chaque 30 juillet, pour s’adresser à l’opinion algérienne, mais surtout à l’opinion marocaine et internationale. Il parle du rétablissement des relations naturelles entre les deux peuples frères. Dans son discours circonstanciel prononcé samedi dernier à l’occasion de cette traditionnelle fête, Mohammed VI s’est engagé à «trouver une issue à la situation actuelle et à favoriser le rapprochement et la compréhension entre les deux peuples», réitérant «une fois de plus»sa main tendue à l’Algérie.

«Nous aspirons à œuvrer avec la Présidence algérienne pour que le Maroc et l’Algérie puissent travailler, main dans la main, à l’établissement de relations normales entre deux peuples frères», a-t-il déclaré, près d’un an (août 2021) après la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays voisins. L’approche de l’Algérie a toujours été claire et ne tolère aucune hypocrisie. Le pays préfère se concentrer sur des objectifs concrets.
Plus explicite. Lors de son entrevue périodique avec des représentants de la presse nationale au mois de février dernier, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune avait affirmé que «les choses avec le Maroc n’ont pas changé, depuis le début de la crise, pis, elles se sont aggravées», accusant Rabat soutenu par l’entité sioniste de servir d’«un appareil de propagande et de fake-news contre l’Algérie». Tolérance zéro pour tous ceux qui visent la souveraineté et la cohésion nationale.
Le pays considère les questions du Sahara occidental et de la Palestine comme une ligne rouge. Si certains pays arrivent à modifier leurs positions selon leurs intérêts, au mépris d’autres pays, ce n’est pas le cas de l’Algérie fidèle à ses positions audacieuses, montrant qu’elle est souveraine dans ses décisions. Contrairement au Maroc qui a changé de cap et a opéré un virage à 180° par rapport à ses positions, marqué par une montée crescendo dans l’hostilité envers l’Algérie qui a dû intervenir afin de mettre en avant l’entêtement et la fuite en avant des autorités marocaines.

Rien ne sera plus comme avant !
Alger a pris plusieurs décisions extrêmes dans ce sens. Si les Marocains voient en la main tendue du Mohamed VI à Tebboune comme un pas vers la réconciliation, les Algériens doutent de la sincérité et de la crédibilité de cet appel. Ils interrogent plutôt sur la réelle volonté d’apaisement du Roi qui a consacré une grande partie de son discours à l’Algérie. Mais aussi à sa nation qu’il tentait de rassurer quant à la situation de crise économique sans précédent que traverse le pays depuis plusieurs mois. La conséquence c’est la désillusion générale.
Durement touché par une crise énergétique et alimentaire inédite depuis le début de la crise géopolitique en Europe et l’arrêt de l’approvisionnement du pays en gaz naturel algérien, le Roi tente de ralentir une inflation exceptionnellement élevée et redresser la croissance de son pays.
Les autorités marocaines ont sous-estimé l’impact de la rupture des relations diplomatiques avec l’Algérie et continuent dans leur délire en se rapprochant chaque jour un peu plus d’Israël. L’Algérie a mis en garde son voisin contre les conséquences de ce rapprochement «soudain », affirmant sa volonté de repousser toute manœuvre visant la stabilité de la région et du pays.
«Je souligne une fois de plus que les frontières qui séparent le peuple marocain et le peuple algérien frères ne seront jamais des barrières empêchant leur interaction et leur entente», a indiqué Mohamed VI, dans son message de samedi, en exhortant les Marocains à «préserver l’esprit de fraternité, de solidarité et de bon voisinage à l’égard de nos frères algériens».
Il continue de croire que la décision d’Alger de rompre les relations diplomatiques avec Rabat est «une décision complètement injustifiée». La rupture des relations diplomatiques entre les deux poids-lourds du Maghreb a fait couler beaucoup d’encre. Pour certains médias, le contentieux entre les deux pays voisins se porte uniquement sur le territoire disputé du Sahara occidental (ex-colonie espagnole, considérée comme un territoire non autonome par l’ONU, oppose depuis les années 1970). L’Algérie a toujours apporté son soutien indéfectible aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario. La situation s’est encore aggravée depuis 2020 avec la normalisation du Maroc de ses relations avec Israël, sous la houlette de l’administration Trump. Ce n’était en effet qu’une question de temps avant qu’Alger ne décide de rompre ses relations diplomatiques avec le royaume chérifien. Une décision saluée par les Algériens, attachés à la cause palestinienne, ce qui a généré tant bien même un sourd ressentiment entre les deux nations. Certains médias ont profité de la situation pour attiser les rivalités. Alger reste sourde à tous les appels de Rabat.

Tout est archivé
Des messages superficiels. Des paroles sans aucune volonté réelle de changement ou de geste fort en faveur d’une véritable unité de la région, alors que l’Algérie œuvre à rassembler toutes les nations arabes. Une initiative
saluée par les pays membres de la Ligue arabe, mais fustigée par les médias marocains. Mohamed VI dit désavouer toutes les personnes qui s’attaquent à l’Algérie, estimant que «les allégations selon lesquelles les Marocains insulteraient l’Algérie et les Algériens sont le fait d’individus irresponsables qui s’évertuent à semer la zizanie entre les deux peuples frères».
Il a assuré dans son discours de samedi que «ces médisances sur les relations maroco-
algériennes sont totalement insensées et sincèrement consternantes». Le monarque exprime sans aucune émotion, son souhait de se réconcilier avec l’Algérie en espérant rabibocher avec l’ex-partenaire économique et commercial qui l’a longtemps aidé à subvenir aux besoins de son pays, notamment, en matière d’énergie.
Ce n’est en tout cas pas l’intention de l’Etat algérien qui observe depuis des mois des aller-retour réguliers des délégations ministérielles israéliennes au Maroc. Les deux pays ont élargi leur partenariat au domaine sécuritaire, ce qui ne peut que déplaire à l’Algérie qui craint pour la stabilité de la région. Les autorités locales traquent quotidiennement les contrebandiers marocains qui tentent de pénétrer le sol algérien.
Aujourd’hui, le Maroc est pris au piège que lui-même a tendu, perdant les avantages que l’Algérie lui a accordés. Une réalité qu’il ne faut pas renier. Les Marocains étaient bien proches des Algériens et travaillaient ensemble avant la grande rupture provoquée par le royaume chérifien, toujours hostiles à l’Algérie.
Pour rappel, l’Algérie a ordonné la fermeture de la frontière terrestre depuis 1994 à la suite de l’expulsion d’Algériens du Maroc et à la décision de Rabat d’imposer le visa aux Algériens après avoir accusé l’Algérie d’être derrière un attentat à Marrakech. Les deux pays ont parcouru un long chemin ensemble depuis avant que l’Algérie décide de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc au mois d’août 2021, sur «fond d’actes hostiles de longue date perpétrés par Rabat contre l’Algérie et qui se poursuivent jusqu’à maintenant», avait précisé le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Ramtane Lamamra.

Fin des privilèges pour Rabat, Alger prend de l’élan
D’autres mesures ont suivi. Des décisions qui ont eu un impact douloureux sur le peuple marocain, déjà fragilisé par la crise économique, sanitaire et énergétique dans le pays. L’Algérie a coupé le gaz au Maroc en fermant définitivement le Gazoduc Maghreb Europe (GME), qui acheminait du gaz vers l’Espagne en transitant par le Maroc. Plus de gaz, plus d’électricité et de royalties.
Un coup dur pour le royaume qui s’est tourné vers l’Espagne pour acheter au prix fort du gaz naturel.
L’entêtement des autorités marocaines a coûté à une trentaine de fermiers leur travail. Ils étaient interdits d’accès à la zone El Arja, située à la frontière maroco-algérienne.
Fin de l’entente entre les deux pays qui avaient convenu en 1972, que l’Oasis était du côté algérien et exploité par des agriculteurs marocains.
L’Oasis d’El Arja, petite localité à 6 kilomètres de Figuig a été fermée, tout comme le Gazoduc GME qui intervient dans une conjoncture internationale très complexe. Lancement des travaux d’exploitation du gisement de fer de Ghar Djebilet avant-hier est un autre coup difficile à digérer par les autorités marocaines qui, au moment où l’Algérie relance son économie, le Maroc marchande avec les Israéliens. Un projet de grande envergure qui n’a rien à envier aux grands gisements de fer en Afrique. Par contre, ce projet a longtemps attisé les convoitises du royaume chérifien, selon plusieurs médias qui ont déterré un vieux document signé entre le gouvernement algérien et le Maroc durant les années 72.
Selon l’agence Ecofin qui a publié, il y a quelques mois, une copie de la Déclaration maroco-algérienne faite à Rabat le 15 juin 1972, «l’exploitation de la mine Ghar Djebilet devait être confiée à une société mixte des deux pays». Ce qui n’est plus d’actualité.
L’Algérie est un pays souverain qui refuse toute ingérence étrangère et toute atteinte à la souveraineté de son peuple. Question de principe.
Samira Takharboucht