Blida face à un sérieux problème de l’insécurité publique

Des bandes rivales défient l’autorité de l’État

Cette nouvelle forme de violence, à laquelle les Blidéens ne sont pas habitués, est à mettre à l’actif de groupes de jeunes qui s’affrontent à coups de machettes, de sabres et de barres de fer, un arsenal auquel s’ajoutent parfois des armes destinées à la pêche sous-marine telles que les fusils à harpon et, dans des cas extrêmes, de véritables armes de guerre.

L’insécurité s’est désormais durablement installée dans les quartiers, au grand dam des citoyens qui sont contraints de vivre en permanence dans un climat de psychose.
A Blida, au centre-ville de la wilaya, une guerre entre bandes rivales sévit depuis des mois.
La dernière bataille impliquant des groupes de jeunes a eu lieu en juillet dernier, à la rue d’Alger. Armés de sabres et de hachettes, ils étaient une cinquantaine à assaillir le quartier.
Des combats à l’arme blanche d’une rare violence ont alors commencé en début de soirée pour ne finir qu’à l’aube. «Durant toute la nuit, les combats de rue ont fait rage», affirme un habitant du quartier, qui ajoute : «On pouvait entendre des heures durant des cris de femmes et d’enfants pris de panique.»
Aussi, ces jeunes en furie s’en sont pris aux voitures des résidents. Les dégradations ont touché également les espaces verts, les aires de jeux et les espaces communs des immeubles. Les habitants du quartier, impuissants devant l’ampleur des affrontements, sont restés cloîtrés chez eux durant toute la nuit.
La vague de violence a fait 1 mort et plusieurs blessés, dont des adolescents de 16 et 17 ans, et a duré trois nuits de suite. A l’origine de cette violence une transaction de drogue qui a mal tourné. Pris d’une ivresse collective, ces jeunes se sont fait justice eux-mêmes, menant une expédition punitive contre les habitants du quartier ; s’ensuivit alors une bataille rangée entre les deux camps. Ce n’est qu’au quatrième jour des affrontements que le quartier a retrouvé un semblant de calme.
A Boufarik, ce sont les sempiternelles belligérances entre bandes rivales qui refont surface périodiquement. Tantôt, ce sont les jeunes du quartier Gize 8 qui s’en prennent à ceux de la cité Dallas, tantôt, ce sont ces derniers qui vont à l’assaut contre les jeunes des autres cités.
«De toute ma vie je n’ai jamais rencontré autant de violence à Boufarik. Le nombre de fois où des jeunes habitants de quartiers entiers de la ville se sont livrés bataille est ahurissant», affirme un sexagénaire natif de ce quartier populaire. Ici, il est arrivé également que des bandes de jeunes utilisent des armes de guerre dont des fusils à pompe. Les habitants garderont longtemps en mémoire la fusillade qui a éclaté en plein centre-ville entre deux individus armés.

Violence et communautarisme
Phénoménales, les bagarres sont de plus en plus violentes, avec une forte communautarisation des bandes. Les nouveaux venus des communes limitrophes sont considérés comme des intrus par rapport aux anciens habitants, qui se voient mieux lotis.
Cette situation se rapproche sensiblement des gangs ethniques qui sévissent en Occident. Car au fil du temps, ces groupes tendent à se structurer de manière rigoureuse et s’adonnent, en guise d’activité principale, au commerce illégal de la drogue. Ils se disputent alors des zones d’influence, ce qui est souvent un facteur déclencheur de règlements de comptes.
L’exemple le plus illustre est celui de la cité Sidi Hemade dans la commune de Meftah, où plusieurs règlements de comptes entre bandes rivales ont eu lieu dans les entrailles même de la cité.
Les habitants du quartier nous ont affirmé que des mois durant, les jeunes de leur cité ont livré bataille à ceux de la cité limitrophe.
En somme, les protagonistes échangent des actions punitives à tour de rôle. «Ces bandes se disputent un territoire érigé en zone d’influence où ils écoulent des produits stupéfiants», nous assure-t-on.
Résultat : les règlements de comptes entre gangs rivaux à Meftah refont surface de temps à autre, avec leur lot de victimes. Souvent, la brutalité des conflits se manifeste par des blessures aux visages des adversaires, ce qui est le meilleur moyen de s’assurer une notoriété à long terme.
De ce fait, il n’est pas rare de rencontrer au hasard des rues des jeunes gens dont les visages sont marqués à vie par de nombreuses balafres. En l’absence d’une puissance publique efficace capable de mettre ces gangs hors d’état de nuire, ils continuent de sévir dans les quartiers, au grand dam des habitants.
«Durant ces dernières années, la violence a doublé d’intensité», déplorent les habitants.
La profusion de tels espaces de non-droit où la puissance publique est inexistante a donné naissance à une véritable fabrique de délinquance. Plusieurs autres quartiers de Blida en sont des exemples.
A Blida-centre, l’activité de gardiennage des aires de stationnement a été longtemps le motif d’interminables altercations entre groupes de jeunes.
Ceux qui se sont imposés par la force ont fini par s’autoproclamer «propriétaires» des trottoirs de la ville.
Aussi, pour s’assurer de la pérennité de leur squat, ils s’en sont pris aux habitants qui, sous la menace permanente, ont fini par se résigner. «Tous les trottoirs de la ville sont exploités par des jeunes délinquants, nous devons par conséquent nous acquitter des frais du ’’droit’’ de stationnement même devant chez soi», lâche, dépité, un habitant de Blida.

Les combats interquartiers ont atteint également les quartiers les plus isolés
Des groupes de jeunes se livrent des batailles à coups de sabre pour avoir la mainmise sur des parcelles de terrain qu’ils exploitent et s’imposer en tant qu’unique exploitant, ont affronté plusieurs autres groupes rivaux avant de s’assurer que l’endroit leur est acquis.
Toutefois, cette stabilité est couramment rompue par des accrochages entres anciens exploitants et nouveaux arrivants. Les belligérants utilisent des armes blanches, dont des couteaux, des barres de fer et même des fusils de pêche sous-marine», témoignent les habitants.
Au train où vont les choses, la violence
urbaine prendra encore des proportions grandissantes. Une prise en charge de ce phénomène s’impose plus que jamais.

Connaissez-vous «Madame courage» ?
«Madame courage», ce sont des comprimés de barbituriques appelés dans le langage des jeunes. Ces pilules font perdre à ceux qui les consomment toute connaissance de la réalité. Ils sont l’une des causes qui poussent les jeunes délinquants à commettre des agressions et des meurtres. Selon un spécialiste en psychiatrie, ces psychotropes diminuent de 80% les capacités de jugement, ce qui rend le passage à l’acte plus facile, car l’individu «drogué» n’apprécie pas les agissements à leur juste valeur, sauf après la disparition des effets de la prise de toxiques. La consommation de telles substances est devenue, au fil du temps, monnaie courante dans les quartiers populaires.
Hamid, un jeune de Blida, ne s’en cache d’ailleurs pas : «Je prends de l’Artane pour avoir du courage et me sentir fort. En prenant ma dose de comprimés, je peux faire n’importe quoi, sans même m’en souvenir», témoigne-t-il fièrement.
À Soumaa où s’est passé le sinistre meurtre de Youcef, beaucoup de citoyens se demandent encore si la ville de Blida fait partie d’un État régi par des lois que les services de sécurité ont en charge de faire respecter.
«J’ai eu un profond sentiment de peur pour moi et pour ma famille après cette bataille mortelle. Un tel scénario renseigne que nous ne sommes plus sécurité et que l’on peut venir t’abattre chez toi sous le regard de ta femme et de tes enfants», nous dira un voisin de la victime.
Face à cette situation, les services de sécurité qui multiplient pourtant le recrutement du personnel parmi leurs rangs et l’ouverture de nouveaux postes de police et de brigades de gendarmerie semblent assister en spectateurs pour ne pas dire s’effacer complètement devant cette inquiétante montée de violence. La rue fait désormais la loi.
Rachid Lounas