Quelle place pour l’Algérie dans sa coopération énergétique avec l’Europe ?

Face aux tensions géostratégiques en Ukraine

Au sein de la région méditerranéenne et africaine, l’Algérie est un acteur stratégique en matière sécuritaire et énergétique. Après la visite en Algérie du président du parlement européen début septembre 2022, la coopération Algérie/Europe, dans sa démarche d’évaluation réclamée ne vise nullement à remettre en cause l’Accord d’association mais à l’utiliser pleinement dans le sens d’une interprétation positive de ses dispositions permettant un rééquilibrage des liens de coopération. L’objectif est de favoriser un partenariat gagnant-gagnant, l’Europe ne devant plus considérer l’Algérie qui entend diversifier ses partenaires, du point de vue d’un marché.Tous les accords qu’a signé l’Algérie pour une zone de libre-échange avec l’Europe, le monde arabe, et l’Afrique ont pour fondement à terme les baisses tarifaires qui sont un manque à gagner à court terme du fait du dégrèvement tarifaire, mais pour bénéficier des effets positifs, sinon les effets pervers l’emporteront. Du côté européen, on évoque des possibilités de discussions constructives, des relations bilatérales prometteuses aussi bien dans le domaine sécuritaire de l’énergie que dans d’autres secteurs. Aussi, malgré ces divergences conjoncturelles, il s’agit comme je l’ai souligné il y a quelques années lors d’une conférence, à l’invitation du Parlement européen à Bruxelles, de dépassionner les relations. Sur le plan géostratégique, plusieurs rapports entre 2018/2021 du département d’Etat US et de l’Union européenne saluent les efforts de l’Algérie en matière de sécurité et de défense où les tensions au niveau de la région influent, par ricochet, sur l’Europe.
L’Algérie qui a toujours respecté ses engagements internationaux, la coopération Algérie/Europe dans sa démarche d’évaluation réclamée ne vise nullement à remettre en cause l’Accord d’association mais, bien au contraire, à l’utiliser pleinement dans le sens d’une interprétation positive de ses dispositions permettant un rééquilibrage des liens de coopération, l’objectif étant de favoriser un partenariat gagnant/gagnant, l’Europe ne devant plus considérer l’Algérie uniquement du point de vue d’un marché. Pour l’Europe, il n’est pas question de la modification de l’accord cadre, mais des recommandations qui permettraient de relancer la coopération entre l’Algérie et l’UE dans le but de mettre les relations économiques au centre de cette coopération, de donner à cet accord toute son importance et d’utiliser tout son énorme potentiel dans ses trois composantes: politique, économique et humaine.
L’Europe se félicite de l’assouplissement introduit récemment par les autorités algériennes de la règle 51/49 pour cent, au moins pour les secteurs non-stratégiques qu’il s ‘agira de définir avec précision, attendant toujours les décrets d’application de la loi des hydrocarbures et le nouveau code des investissements, mais souhaite la création d’un cadre juridique stable et transparent, propice à l’investissement, ainsi que la réduction des subventions, la modernisation du secteur financier et le développement du potentiel des partenariats public-privé. Aussi malgré ces divergences conjoncturelles, il s’agit de dépassionner les relations. C’est que l’Europe reste un partenaire clef pour l’Algérie comme en témoigne la structure du commerce extérieur de l’Algérie pour 2020, en attendant un bilan complet des échanges pour 2021, avec 48.5% des importations et 56.8% des exportations pour 2020. Par rapport à 2019, les importations en provenance de l’UE ont enregistré une baisse de l’ordre de 17.7% passant de 18.6 Mrd à 14.8 Mrd dollars US (USD).
De même, les exportations de l’Algérie vers ces pays ont baissé de 34.1%, soit à 13.4 Mrd USD. A l’intérieur de l’UE, on peut relever que le principal client de l’Algérie est à nouveau (comme en 2018) l’Italie avec 14.5% des ventes à l’étranger, suivi de la France, première de cette catégorie en 2019 et désormais en seconde position avec 13.7%, suivie par l’Espagne avec 9.8%. En termes d’importations, la France occupe toujours le premier rang au sein de l’UE avec 10.6%, suivie par l’Italie et l’Espagne avec des taux de 7.1% et de 6.2% du total. Les échanges dans le cadre de l’accord avec les pays de la Grande zone arabe de libre-échange (GZALE), ont enregistré une baisse de 9.6% en 2020 par rapport à l’année 2019, passant de 1.3 Mrd USD à 1.2 Mrd USD en rappelant que l’Algérie a ratifié fin 2019 l’accord ZLECAF, entré en vigueur en janvier 2021, prévoyant la suppression des droits de douane pour 90 % des lignes tarifaires sur 5 ans pour les pays les plus développés et sur 10 ans pour les pays les moins développés.
Dans le cadre de la Grande zone arabe de libre échange (GZALE), l’Algérie traite essentiellement avec 3 pays, à savoir la Tunisie, l’Egypte et le Maroc, qui représentent 80% des échanges commerciaux entre l’Algérie et les pays arabes et africains, qui ne dépassent pas les 3 milliards USD (1,5 Mds USD d’exportations et 1,5 Mds USD d’importations). Les pays de l’Asie viennent en 2ème position par zone géographique avec une part de 32.73% des importations de l’Algérie et de 28.7% des exportations vers ces pays avec une nette diminution passant de 9.2 Mrd à 6.8 Mrd USD. Parallèlement, les importations de l’Algérie en provenance de ces pays ont enregistré une diminution importante de 23.5%, passant de 14.7 Mrd USD à 11.3 Mrd USD.
L’essentiel des échanges commerciaux avec cette région étant réalisé avec la Chine, où existe un important déséquilibre commercial en défaveur de l’Algérie entre 2010/2021, qui reste le premier fournisseur de l’Algérie. Les échanges avec les pays d’Amérique (majoritairement USA, Brésil et Argentine) ont enregistré une baisse de 27.8% par rapport à 2019 (de 9.5 Mrd USD à 6.9 Mrd USD), les exportations étant passées de 3.9 à 1.5 Mrd USD (baisse de 60.4%), tandis que les importations ont baissé légèrement, de 5.6 Mrd USD à 5.3 Mrd USD (chute de 5.1%). La valeur des échanges avec l’Afrique a enregistré une baisse de 13% par rapport à 2019, soit une diminution de 456.3 Mio USD et les importations ont connu une baisse de de 16.2% (de 1.3 Mio à 1.1 Mio USD) et les exportations chutent également de 11.1% (de 2.2 Mio à 1.9 Mio USD), vers l’Afrique. L’UMA entre 2,4 et 2,9% est la zone au niveau de la région MENA qui connaît le moins d’intégration avec entre 2,4 et 2,9% (voir sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul et du docteur Camille Sari le Maghreb face aux enjeux géostratégiques Editions Harmattan Paris 2 volumes 1050 pages 2015/2016 ayant regroupé 36 experts des deux rives de la Méditerranée). L’enquête réalisée par la banque mondiale montre qu’en 2020 existent d’importantes disparités d’intégration entre les zones : Mercours entre 14,7 et 16,4%, Cedeao entre 8,7 et 11,5%, Comesa entre 5,7 et 5,9% et la Cea entre 3,7 et 5,9%. Certes pour l’Afrique, avec plus d’un milliard de consommateurs et un PIB combiné d’environ 3 000 milliards de dollars américains, la nouvelle zone de libre-échange continentale crée le deuxième plus vaste marché mondial derrière le Partenariat régional en Asie et dans le Pacifique, mais reste un long parcours, le commerce intra-africain en 2020 représentant environ 15,2% selon la CNUECD.
La Sonatrach peut-elle fournir davantage de gaz à ses partenaires européens ?.Les premiers indicateurs de production révèlent une augmentation de près de 5% de la production d’hydrocarbures, qui passe de 175,9 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2020 à 185,2 millions de TEP en 2021. Pour ce qui est du volume de production au niveau des unités de raffinage, nous avons une stabilité de l’ordre de 27,9 millions de TEP en 2021, contre 27,8 millions en 2020. S’agissant de la production de gaz naturel liquéfié (GNL), Sonatrach a réalisé en 2021 une progression de 14%, le niveau de production ayant atteint 26,3 millions de m3 en 2021 par rapport à la quantité produite en 2020 (23,1 millions de m3), tout en ayant couvert les besoins du marché national, estimés à 64 millions de TEP en 2021, soit une augmentation de 9% par rapport à 2020, avec une baisse importante des quantités importées (-70%), passant de 859.000 TEP en 2020 à 255.000 tonnes en 2021.
En ce qui concerne les niveaux d’exportation, le bilan fait état d’une augmentation significative de 18% entre 2020 et 2021, ce qui a permis d’accroître les quantités exportées de 80,7 millions de TEP fin 2020 à 95 millions en 2021 pour une recette (à ne pas confondre avec le profit net devant déduire les coûts) en 2021, d’une valeur dépassant 34,5 milliards USD (contre 20 Mds USD en 2020). Afin de développer les capacités nationales de production, en vue de répondre aux besoins internes qui enregistrent une croissance annuelle de 5%, ainsi qu’aux engagements contractuels avec les différentes partenaires, notamment en Europe et en Asie, il est prévu que Sonatrach investit 40 milliards de dollars à l’horizon 2026, dont 8 Mds USD.
Les appoints en gaz naturel et/ou en GNL vers l’Europe sont tributaires de la disponibilité de volumes excédentaires après satisfaction de la demande du marché national, de plus en plus importante, et de ses engagements contractuels envers ses partenaires étrangers et cela nécessite un investissement important dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant- avec les firmes étrangères, afin de développer les infrastructures nécessaires pour le transporter à grande échelle. Pour l’Algérie, en s’en tenant aux données officielles, les réserves de pétrole sont estimées selon, la déclaration officielle du ministre de l’Energie (source APS décembre 2020) à environ 10 milliards de barils et les réserves de gaz à environ 2500 milliards de mètres cubes pour le gaz traditionnel.
Les exportations, à ne pas confondre avec la production (et tenant compte d’un pourcentage d’injection de gaz dans les puits pour maintenir leurs activités, la différence étant la consommation intérieure) à ne pas confondre avec la production pour 2020/2021 ont fluctué entre 450.000/500.000 barils/j contre environ 1 million de baril d’exportation vers les années 2007/2008, et 40 milliards de mètres gazeux d’exportation en 2020 et 42/43 en 2021 (33% GNL et 67% par canalisation). La première destination du gaz algérien reste le marché européen, essentiellement l’Italie (35%), l’Espagne (31%), la Turquie (8,4%) et la France (7,8%). Mais existent des limites économiques, l’Algérie étant confrontée à deux contraintes majeures, la forte consommation intérieure qui avoisine les exportations actuelles en 2021 , 50 milliards de mètres cubes gazeux en 2025 selon le PDG de Sonelgaz et plus de 60 horizon 2030, renvoyant à l’urgence d’une nouvelle politique des subventions ciblées. Pour les canalisations nous avons le TRANSMED, la plus grande canalisation d’une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux via la Tunisie, le MEDGAZ directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension depuis février 2022 a une capacité qui a été portée à 10 milliards de mètres cubes gazeux et le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner0, le contrat s’étant achevé le 31 octobre 2022, d’une capacité de 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux.
En ce mois de septembre 2022, le constat est que les exportations sont toujours dominées par les hydrocarbures y compris les dérivés, pour le bilan 2021, 34,5 milliards de dollars dont 2,5 de dérivées comptabilisées dans la rubrique des 4 milliards de dollars hors hydrocarbures par le Ministère du commerce, soit environ 98% des exportations totales et en mars 2022, Sonatrach c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach irriguant l’ensemble du corps économique et social : taux de croissance, taux d’emploi, niveau de l’inflation, réserves de change : 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014 et ayant terminé au 31/12/2021 à environ 44 milliards de dollars. Aussi, à court terme, elle peut augmenter substantiellement les volumes , peut être entre 4 à 5 milliards de mètres cubes gazeux à travers le Transmed via l’Italie où l’Algérie a exporté en 2021, environ 22 milliards de mètres cubes vers l’Italie sur une capacité du gazoduc de 33,5 milliards, C’est si Sonatrach est confronté à plusieurs contraintes : des contrats de gaz fixes à moyen et long terme dont la révision des clauses demandent du temps ; le désinvestissement dans le secteur la nouvelle loi des hydrocarbures par certains assouplissement notamment fiscal pourrait attirer les investissements étrangers mais à moyen terme et devant tenir tenant compte de la forte concurrence étrangère et surtout de la forte consommation intérieure qui risque à l’horizon 2025/2030 de dépasser les exportations actuelles.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur
des universités, expert international
(A suivre…)