La dynamisation de la société civile pour une participation citoyenne et la lutte contre la corruption, passe par l’intégration de la sphère informelle

Fondement du développement et de la sécurité nationale

Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur.L’intégration de la sphère informelle au sein de la sphère réelle ne peut relever d’un seul département ministériel devant impliquer les différents départements ministériels, Présidence, chefferie du Gouvernement, services de sécurité, tous les départements ministériels dont les Finances, la Justice, l’Intérieur et ce avec la participation réelle de tous les segments de la société qui mobilisent et non qui vivent du transfert de la rente. Car comment vouloir mobiliser la société lorsque plus de 50% de la population, dans certains pays d’Afrique plus de 80% ,vivent en dehors du cadre légal ? Cette présente analyse a pour objet de rappeler nos différentes propositions opérationnelles (IFRI Paris décembre 2013 les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb ) et l’importance des travaux du docteur Hernando De Soto un des plus grands spécialistes au niveau mondial de la sphère informelle, que j’ai eu le plaisir de rencontrer il y a de cela plusieurs années, toujours d’une brûlante actualité, où il m’a fait l’honneur d’une contribution en annexe d’un de mes ouvrages paru en 2004 simultanément en arabe – français et anglais sous le titre Économie de marché et Démocratie en Algérie qui peut être un enseignement précieux pour la réorientation de la politique économique 2022/2025.
La sphère informelle pose le fondement du pouvoir algérien existant des liens dialectiques entre la logique rentière et l’extension de cette sphère. Or, la base de toute économie moderne est basée sur deux fondamentaux comme le rappelait un des plus grands économistes du XXème siècle, Joseph Schumpeter : le contrat et le crédit, où la dominance du cash reflète l’état de la société et la non confiance du citoyen. La lutte contre la sphère informelle implique avant tout une gouvernance transparente, un Etat de droit et l’efficacité des institutions par l’extension de la numérisation, le tableau de la valeur que j’avais préconisé en 1982 au moment où j’étais haut magistrat premier conseiller et directeur général des études économiques à la cour des Comptes, tableau relié aux réseaux financiers internationaux, qui n’a jamais vu le jour car s’attaquant à de puissant intérêts rentiers. Un Etat de droit n’est pas un Etat fonctionnaire qui gère un consensus de conjoncture ou une duplicité provisoire, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d’une certaine philosophie du droit d’une part, d’autre part par une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d’une vision future de ses perspectives. Actuellement les partis politiques, toutes tendances confondues, joue un rôle marginal dans la mobilisation.
La confusion qui règne actuellement dans le mouvement associatif national rend difficile l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation, laissant en cas de malaise social les forces de sécurité, seuls, en face de la population. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui le traversent et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion et rendent impérative sa restructuration sur d’autres bases. Nous avons une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, certains segments étant l’appendice de partis islamiques légaux. Nous avons une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions, par problèmes de leadership. Mais la société civile la plus dense atomisée et non organisée est la société civile informelle mais formant un maillage dense et sans son intégration non pas par des mesures bureaucratiques autoritaires, ou par l’octroi d’importantes sommes d’argent, il ne faut pas compter sur une réelle dynamisation de la société civile mobilisant les citoyens. Force est de constater, contrairement aux idées du passé, même certaines confréries religieuses qui, avec la désintégration sociale et une jeunesse branchée, ont de moins en moins d’impacts contrairement à une vision du passé.
La sphère informelle en Algérie est favorisée par l’instabilité juridique et le manque de visibilité de la politique socio-économique. Les entrepreneurs qu’ils soient nationaux ou étrangers demandent seulement à voir clair, du moins ceux qui misent sur le moyen et long terme (investissement inducteurs de valeur ajoutée contrairement à l’importation solution de facilité).
Or ils sont totalement désemparés face à l’instabilité monétaire car comment peut-on réaliser une étude de projet avec cette fluctuation incessante de la cotation du dinar qui a été dépréciée de plus de 100% de 2000 à septembre 2022, et aux changements périodiques du cadre juridique. Que nos responsables visitent les sites où fleurit l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et ils verront que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure mais avec des hypothèques car existe une intermédiation financière informelle. Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse. Lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation sociale, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer.
Les ex pays du camp communiste et l’Italie ont connu l’ampleur de cette sphère informelle et ont réussi à l’éradiquer grâce aux réformes. Les chiffres en Algérie, faute d’enquêtes précises, sont les plus contradictoires, 6000 à 10.000 milliards de dinars circulant hors banques ,selon le président de la république déplorant l’effritement du système d’information, soit pour un cours du 15 septembre 2022 , 140 dinars un dollar pour un PIB d’environ de 160 milliards de dollars soit entre 37 et 62% du PIB, avec une intermédiation financière informelle limitant la politique monétaire globale de l’Etat, mais beaucoup plus si l’on inclut les transactions en nature. Cela pose d’ailleurs problématique des transferts sociaux dans le budget de l’État prévu pour l’année 2022, en passant de près de 24% en 2021 à 19,7% en 2022, qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisées (parce généralisables à toutes les couches) rendant opaques tant la gestion des transferts sociaux, somme colossale inscrite chaque année dans les différentes lois de finances que la gestion de certaines entreprises publiques et nécessitant à l’avenir que ces subventions soient prises en charges non plus par les entreprises mais budgétisées au niveau du Gouvernement après l’aval de l’APN, pour plus de transparence Cette sphère contrôle plus de 60% des segments obéissant à la loi de l’offre et de la demande , produits subventionnés : fruits/légumes, marché du poisson, de la viande rouge/ blanche et le textile/cuir à travers les importations auxquels les ménages algériens consacrent plus de 70% de leurs revenus. Cela ne concerne pas uniquement les catégories économiques mais d’autres segments difficilement quantifiables. Ainsi, la rumeur est le système d’information informel par excellence, accentué en Algérie par la tradition de la voie orale, rumeur qui peut être destructrice, donnant d’ailleurs du pouvoir à ceux qui contrôlent l’information.
L’utilisation de divers actes administratifs de l’Etat à des prix administrés du fait des relations de clientèles transitent également par ce marché grâce au poids de la bureaucratie qui trouve sa puissance par l’extension de cette sphère informelle. Les différents segments de la sphère réelle et informelle entretiennent des relations diffuses et complexes.
Cette situation menace le fondement de l’Etat lui-même. Son intégration favorise la légitimité de tout Etat du fait qu’elle permettra à la fois de diminuer le poids de la corruption à travers les réseaux diffus et informels et le paiement des impôts directs qui constituent le signe évident de la citoyenneté.
Ce qui m’amène à traiter de l’apport du docteur Hernando de Soto. L’auteur articule sa démonstration en deux parties : la confiance base des échanges et les titres de propriété. Premièrement, une caractéristique fondamentale de la culture des pays où domine l’Etat de droit et où la sphère informelle est relativement faible, c’est la confiance qui est perçue sûrement comme celle qui permet à une économie de fonctionner favorisant l’accélération des échanges sur des bases transparentes. Dans certains pays, il y a plus de confiance que dans d’autres. Des enquêtes précises réalisées par l’auteur montrent qu’à une question en Suède : « Est-ce que vous faites confiance aux autres Suédois ? La réponse est que 65% des Suédois disent « oui, je fais confiance à un autre Suédois », aux Etats- Unis presque 54% des Américains disent oui, j’ai confiance aux autres Nord-Américains. Quand on arrive au Brésil, c’est seulement 8% qui font confiance aux autres Brésiliens. Quand on arrive au Pérou, c’est 6% et les Argentins, entre 1 et 2%.
Au niveau du Tiers Monde les relations sont basées surtout sur des relations personnalisées et tribales. Pourtant la révolution dans les domaines de l’information et des télécommunications permet de communiquer tant avec des cultures lointaines qu’avec des signes. L’être humain a deux façons de connaître les choses : une c’est par les sens directs, et les autres par description. En fait, c’est le droit qui permet cette confiance.
L’économie mondiale fonctionne, avec une multiplication des échanges sans précédent en l’espace de quelques décennies. D’où, d’ailleurs, l’importance de la stabilité des règles juridiques et leur adaptation à l’environnement comme moyen d’attirer l’investissement.
Deuxièmement, pour atténuer la sphère informelle il faut des titres de propriété. Cela pose toute la problématique de l’accumulation du capital qui n’est pas fixé seulement par l’argent. Les latino-américains, y ont cru. C’est pour cela que des politiques économiques ont produit les plus grandes inflations du monde. En réalité, l’argent n’est pas assimilable au capital. L’argent vous permet de mesurer la valeur des choses mais ne vous crée pas le capital. C’est le système de propriété qui permet de fixer la valeur des choses et d’extraire la plus-value qui vous permet de créer une économie moderne. C’est la propriété qui transmet, assimilable à un véhicule où se transporte la valeur et en plus c’est un véhicule qui convertit les actifs en liquide. Ce n’est pas la liquidité de l’argent mais la liquidité de la propriété qui permet la création de la valeur, c’est-à-dire la richesse d’une Nation. Certains croient que réformer le droit de propriété dans un pays pour le rendre accessible aux pauvres et faire un système de droit est une question de registre foncier tel que cela est enseigné à l’Université. Cela n’est pas efficace, devant intégrer toutes les procédures, y compris celles du droit coutumier.
Professeur des universités, expert
international Dr Abderrahmane Mebtoul
(A suivre…)