Aliou Cissé à Onze Mondial (3e partie) «L’Afrique, le réservoir de joueurs et d’entraîneurs de qualité»

Dans cette interview accordée par Aliou cissé à Onze Mondial, pas question de se poser la question, pourquoi l’Afrique du football n’a pas autant de place en Coupe du monde ? Que peut-on bien reprocher à ce continent qui fournit aux clubs européens, les meilleurs joueurs. On continuera encore à sous-estimer l’Afrique, ce véritable réservoir de joueurs mais aussi d’entraîneurs de qualité, et à chaque complétion, cette partie de la planète le démontre. Est-ce la vision de Aliou ?
Lui il l’exprime à sa manière : «Notre rêve, c’est que l’expertise africaine soit valorisée aussi que les gens comprennent qu’en Afrique, il y a de très bons entraîneurs et que nous sommes capables d’avoir une réciprocité, un respect mutuel, et de savoir qu’un entraîneur occidental peut venir entraîner en Afrique parce qu’il a la compétence, mais aussi qu’un entraîneur africain qui a gagné, qui a fait de très bonnes choses en Afrique est capable d’exister sur les Championnats français, espagnol, anglais et allemand». Voilà ce qui est bien dit : «Il y a combien d’entraîneurs africains en Europe ? (Silence) Voilà. C’est le débat. C’est là où il faut qu’on aille. En France, il y a combien d’entraîneurs issus des minorités ? En Angleterre, il y en a combien ? Au Portugal ? En Allemagne ? Quel est le problème ? C’est aux décideurs de nous le dire.»

«Nous, notre génération, c’est jouer à la belote»
Il explique dans cette interview, ce qui est important, c’est aussi de planter l’image du football africain. Ce n’est certainement pas celui qui se laisse bercer par les réalisations du football européen, rien ne presse, l’Afrique avance et offre aux clubs européens cette chance de se consolider grâce aux représentants de ce plus grand continent. «Il y a génération X et génération Y». Son regard sur le passé «nous, notre génération, c’est jouer à la belote, des jeux où l’on est trois-quatre. Au fond du bus, il y avait toujours quatre-cinq mecs pendant qu’on voyageait et ils jouaient à la belote. On était plus tournés vers le collectif. Aujourd’hui, c’est la PlayStation. Les garçons jouent seuls. Ils sont plus centrés sur eux-mêmes, ils ne s’ouvrent pas à ce qu’il se passe ailleurs. Mais c’est la société qui évolue donc forcément les gamins évoluent, les mentalités évoluent et les entraîneurs doivent aussi évoluer de ce côté-là. Sinon on risque d’être des ‘vieux papas’».

«Ton rôle c’est de t’adapter»
L’histoire du football africain visitée par Aliou, à travers une interview où rien n’est oublié, «dans mon temps, cela ne se passait pas comme ça. Oui mais tu n’es plus dans ton temps. Tu es dans un autre temps et ton rôle c’est de t’adapter. Nous sommes obligés de nous adapter et d’avoir des discussions avec les joueurs parce qu’ils ont leurs sensibilités aussi sur le plan tactique et c’est important. Notre rôle est de mettre nos joueurs dans les meilleures conditions possibles».

«Avant, on ne posait pas de question»
Dans cet entretien, il explique ce que les fans attendent de vous et ce qu’ils veulent. C’est très important. Et laisse exprimer ses idées. Il ne veut pas calculer. Il veut une équipe qui joue pour gagner chaque match, «un entraîneur peut penser qu’il est en train de mettre un joueur dans de bonnes dispositions alors que ce n’est pas le cas. Avant, on ne posait pas de questions. Aujourd’hui le joueur est capable de venir te dire : «Coach, mon poste ce n’est pas là, moi je veux jouer devant». (Il y a un garçon qui me l’a dit). J’ai rigolé. Par exemple, Bamba Dieng, première sélection, il arrive, deuxième sélection, je lui dis : «Bon Bamba, tu rentres, tu vas jouer à droite», il s’approche de moi, il n’a que 18 ans et me sort : «Coach, ok je vais jouer, je vais faire le boulot, mais moi je suis attaquant coach». Je lui ai dit : «Ok, il n’y a pas de souci, mais aujourd’hui, j’ai besoin de toi à droite». Moi je ne suis pas fermé à ça. «Dans mon temps, tu disais ça à un entraîneur, tu ne rentrais pas sur le terrain. Ça veut dire que ces échanges-là, je trouve que c’est pas mal parce que l’objectif c’est de les utiliser dans les meilleures conditions.»
«On doit également évoluer avec cette génération»
Mais c’est bien qu’il le dise. En me le disant, je me suis dit que les choses avaient changé. Parce qu’un gamin qui arrive, il trouve une équipe où il y a quand même des cadres, des ténors et te dit : «Non, je suis attaquant coach». Les choses ont changé donc, nous aussi devons changer. En réalité, c’est ce qu’il se passe dans la vie. Les gamins sont dans un autre niveau et nous poussent à évoluer et à être à leur niveau pour échanger. Avant, tout se passait sur le terrain. Si on t’appelait, c’était soit pour te virer, soit pour te dire que ce que tu fais ce n’est pas bon mais on ne t’expliquait pas pourquoi ce n’était pas bon. Tout le monde sait que ces choix sont faits par le coach, le dernier mot lui appartient. Même si nous prenons la décision finale, il est important d’être en concertation avec les joueurs qui sont sur le terrain parce que ce sont eux qui sont là et leur bien-être sur le terrain est déterminant pour la victoire.»

«Ne confondez pas équipe nationale et un club de Championnat»
La difficulté de lier principes de jeu et recherche du résultat abordant l’autre partie technique du football, il met en avant le travail d’un sélectionneur d’une équipe nationale et d’un entraîneur de club. «Nous sommes des sélectionneurs, nous sommes différents des entraîneurs en club. L’entraîneur en club, a 38 journées. Il ne gagne pas tous les matches, il peut gagner, perdre, pas de souci, il a encore 29 jours devant lui». C’est en effet à ce niveau que se situe la différence entre le sélectionneur et un entraîneur en club. «Moi ce n’est pas le cas. Si je perds un match en éliminatoires, peut-être que je n’irai pas à cette phase finale. Tous les matches sont décisifs. Vous avez quatre jours pour préparer un match».
«La lumière pour moi, c’est la phase finale de la Coupe du monde, de la CAN – il faut gagner pour pouvoir y aller. Vous le gagnez, vous continuez à avoir la sérénité et le calme pour continuer vers l’avenir sereinement. Vous le perdez, c’est pratiquement un tremblement de terre. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de résultat immédiat parce qu’on n’a pas le temps de construire en sélection.»

«École du jeu ou école du résultat ?»
Dans cette avant-dernière partie de cette interview, le sélectionneur de l’équipe nationale sénégalaise détermine son choix entre «une école de jeu, et école du résultat» Sans hésiter : «Je me place dans l’école du jeu». Pourquoi ce choix ? « Moi je veux jouer, c’est clair et net. Je n’ai jamais donné des consignes : ‘Prenez le ballon et jetez le dehors’, non, moi je veux jouer. Mais comme je le dis, jusqu’où l’on va jouer ? Jouer, c’est quoi ? Se faire 15 passes derrière ? Ou bien 30 passes derrière et ne jamais approcher les 20 mètres adverses ? Ce jeu ne m’intéresse pas. Je ne suis pas dans cette philosophie de jeu. Jouer pour aller de l’avant, mettre de l’intensité, attaquer les 30 derniers mètres adverses, créer le danger, créer des moments de crise chez l’adversaire, ça, ça m’intéresse.»
Endosser le maillot de l’équipe nationale ce n’est pas rien. Il explique : «Jouer, ce n’est pas seulement attaquer, c’est aussi se retrousser les manches dans les moments difficiles pour pouvoir défendre et savoir que l’adversaire est dans son bon temps.» Un choix qui détermine ses victoires, mais aussi. «L’adversaire aussi aura son temps fort. Là, les comportements doivent changer. J’aime quand mon équipe arrive à gérer ces périodes d’un match. C’est ça qui est important.» Comment sélectionne-t-on un joueur ? «Il n’y a pas de problème d’intégration, moi je n’ai pas eu ce problème avec les binationaux qui sont arrivés.»
Synthèse de H. Hichem