Le divorce prend des ampleurs inquiétantes

Blida

Le divorce comme phénomène sociologique et social n’est pas propre à une société au détriment d’une autre. Le divorce est un acte légal, comme le mariage, puisqu’il constitue une rupture de l’union sacrée entre un homme et une femme. Nombreuses sont les causes conduisant au divorce et toutes sont justifiées vis-à-vis de la loi.

A Blida, par exemple, le nombre de divorces ne cesse d’augmenter de jour en jour, ne constituant plus un tabou comme auparavant. N’ayant pas un chiffre exact de ce phénomène, les témoignages des avocats en disent long sur l’augmentation de ce phénomène. « La plupart de mes clients sollicitent mes services pour demander le divorce.
Ce dernier s’est nettement banalisé et est même accepté par les familles », témoigne un avocat, avant de poursuivre : « Parfois pour un oui ou un non, le couple se sépare. Souvent, ce sont les femmes qui demandent le divorce, surtout lorsque celles-ci travaillent et sont stables professionnellement ». Pour Fodhil Retimi, professeur en sociologie à l’université d’El Affroun Ali Lounici, il y a en premier lieu «les dysfonctionnements sexuels, émanant soit de la femme, soit de l’homme, ou des deux à la fois. L’infidélité et l’adultère participent à l’effondrement de l’institution qu’est le mariage. L’environnement malsain, qu’il soit familial, social ou culturel participe activement à l’éclatement du couple. Il y a aussi l’intrusion de tierces personnes dans les affaires ou problèmes du couple, en influençant l’une ou l’autre partie. Les conditions sociales, la précarité, l’insuffisance matérielle, éléments de frustration pour le couple sont à l’origine du divorce », argumente-t-il.
Pour cet universitaire, les repères moraux ainsi que les principes ont disparu aujourd’hui, et certains hommes n’hésitent pas à avoir une maîtresse et certaines femmes n’éprouvent aucun remords à avoir un amant. «La femme qui travaille, détournant son regard de ses obligations d’épouse et de mère, est, elle aussi, responsable de la dislocation de sa famille puis de la rupture du lien du mariage», ajoute-t-il.
Ces dernières années, à Blida, le divorce a pris des proportions alarmantes, sachant que la femme, aujourd’hui, a tout autant que l’homme le droit de demander et d’obtenir le divorce grâce au « Khol’e ». En effet, entre 2020 et 2021, l’on a enregistré pas moins de 22 000 divorces obtenus par les femmes grâce au «Khol’e». La société Blideene a connu durant les vingt dernières années des mutations qui lui ont fait perdre dans certains de ses fondements des principes et des valeurs qui faisaient sa force et sa stabilité. L’intrusion des chaînes satellitaires dans les foyers, la démocratisation des nouvelles technologies et la vulgarisation des réseaux sociaux ont eu pour conséquence de désunir la famille et de l’éloigner de ses responsabilités et où chacun de ses membres est dans son propre monde virtuel. Reste, entre autres facteurs du divorce, le choix de l’époux ou de l’épouse, qui ne répond pas aux critères du mariage. «L’homme se marie avec n’importe laquelle et la femme se marie avec n’importe qui, pourvu qu’elle accède au statut de mariée. En fait, la génération actuelle a fait perdre à l’institution du mariage sa sacralité. L’on se marie juste pour se marier ». L’avis d’une universitaire psychologue. Sur le plan psychologique, le divorce est dû à une incompatibilité, ou plutôt à un problème de communication par rapport à la vie sexuelle du couple. « Nourri par tout ce qu’il consomme à travers les médias, la télévision plus particulièrement, de tout ce qui est sexualité, le jeune d’aujourd’hui, influencé, désire mettre en application les images diffusées par certaines chaînes satellitaires occidentales.
Cependant, il se heurte à la morale, aux normes de la société et aux principes religieux encadrant la relation sexuelle, d’où le refus de la femme de céder à des caprices contre nature», avance Fatma Zohra Lyazidi, psychologue et maître de conférences à l’université Ali Lounici. « D’autre part, la femme, vu ses multiples responsabilités, que ce soit au travail ou dans son foyer, exténuée, n’arrive pas à honorer convenablement son devoir conjugal. La vie sexuelle est un événement censé apporter bonheur et épanouissement au couple. La sexualité, ce n’est pas uniquement l’acte en lui-même, mais aussi la satisfaction de l’autre à travers la complicité, la séduction par l’intérêt, l’attention, l’amour qu’il porte pour l’autre. Aujourd’hui, l’harmonie du couple est entachée par une sexualité débridée, où ni l’homme, et surtout la femme, ne trouvent leur équilibre ». Pour notre interlocutrice, beaucoup d’hommes n’accordent que peu d’attention, de soin et d’affection à leur épouse. Celles-ci expédient alors la relation sexuelle, la vidant de toute sa sensualité et de toutes ses émotions. « La vie sexuelle, c’est la conquête de l’autre en termes d’élégance, de galanterie pour la production d’un sentiment, d’une envie portée vers l’autre. Aujourd’hui encore, les femmes ne sont plus ce qu’elles étaient auparavant, se murant dans le silence pour ne pas mettre en péril leur couple. Les mentalités ont changé et la femme, parce qu’elle est dans une aisance matérielle, n’hésite pas au moindre dysfonctionnement, qu’il soit financier ou sexuel, à demander le divorce si ce n’est pas elle qui divorce ». Et de conclure : « Le vécu sexuel étant un paramètre fondamental dans la vie du couple, la femme n’ayant reçu qu’une éducation limitée aux travaux ménagers, au détriment de l’éducation sexuelle dans tous ses repères et critères, ne peut aspirer à un épanouissement, ni dans sa vie conjugale ni dans sa vie intime. La sexualité doit retrouver toute sa valeur au sein du couple au risque de s’effondrer ». La moitié des jeunes couples divorcent : « Ces femmes qui rachètent leur liberté le mari espère toucher à l’argent de sa femme. De l’autre côté, l’avidité dans la famille étendue est parfois plus grande. Le mari qui habite dans la maison parentale est contraint de dépenser pour les deux foyers et cela ne plaît pas à la dame », explique M. Boudjenah. Et d’asséner : « Les gens croient avoir dépassé les tabous, mais il n’en est rien». Dans une société de plus en plus conservatrice, l’impératif du port du voile représente également, selon M. Boudjenah, un motif de divorce.

« On se marie pour une chimère »
Certains avocats s’insurgent contre le manque de maturité des couples qui attachent de l’importance à des fadaises. « Aujourd’hui, plus de 50% des jeunes couples divorcent. On ne se marie plus sur des bases solides, on s’unit sur une chimère. On pense faire comme dans les feuilletons télévisés et on se heurte à la dure réalité. Les filles veulent aujourd’hui un homme riche et beau. On se souvient de l’influence qu’avaient exercé les feuilletons turcs sur les filles », s’indigne maître Fadila rezig. Elle reproche surtout aux femmes de vouloir se marier à tout prix sans jamais en mesurer les responsabilités et les conséquences. En clair, les femmes célibataires ne rêvent que de mariage alors que certaines femmes mariées n’aspirent qu’au divorce. « Il y a des femmes qui aspirent à se caser parce qu’elles ont fait une erreur. Les hommes veulent vivre comme dans les films. Ils confondent la réalité et la fiction », observe M. Boudjenah. Le fait est, selon lui, qu’il n’y a plus, dans la société algérienne, un modèle identitaire crédible. «Le mariage se fait avec des connaissances rudimentaires faites de « on-dit » et de tabous », soutient-il. Il reste que la répudiation de la femme, sans justification, est la forme la plus répandue du divorce à Blida. « Les violences conjugales sont un problème récurrent. Cela touche toutes les couches de la société. Cela va de la femme de ménage au médecin spécialiste », rappelle Kahina Merzekad, avocate et membre du Ciddef.
Fadila Rezig, elle, accuse l’appareil judiciaire de « booster » les divorces. Le fait est que l’appareil judiciaire contraint les magistrats à remettre les jugements des statuts personnels dans un délai qui ne saurait dépasser les trois mois. « On ne peut traiter de la vie de personnes en quelques mois. On fait surtout de la quantité. Trois mois c’est le minimum pour un couple de se réveiller de sa dispute. Cela ne leur laisse pas le temps de revenir à de meilleurs sentiments », plaide Me Fadila Rezig, soulignant que « les divorces sont un levain des maux sociaux ». « La rupture de la cellule familiale entraîne la destruction du tissu social. On ne peut dissoudre comme cela le mariage sans prendre en considération les effets sur la société », clame-t-elle encore. Le fait est que s’il peut y avoir maldonne sur les divorces, les malentendus commencent dès le mariage, souvent étouffés par les youyous stridents et les emballements de la zorna et du bendir.
Rachid Lounas