Procure cette sensation de produire quelque chose, mais en différé

L’écriture

L’écriture a énormément de vertus insoupçonnées, elle permet à celui qui écrit d’éprouver le plaisir de mettre sur papier des histoires, anecdotes drôles, romans, pièces de théâtre ; bref, toutes sortes de textes qui peuvent intéresser les lecteurs connaisseurs et amateurs de nouveautés. Cela procure une sensation unique, celle de savoir qu’on est apprécié en tant que producteur de textes, quel bonheur immense ! Et à l’heure actuelle, le plaisir qu’on peut éprouver lorsqu’on possède l’art d’écrire, est inestimable, étant donné les moyens dont nous disposons pour la mise en forme de toute sorte d’écrit grâce à l’ordinateur, cet appareil admirable qui en l’espace d’une décennie a relégué au rang de pièces de musée les plus belles machines à écrire et à calculer dont certaines ont atteint le perfectionnisme, elles sont appelées machines électroniques pour dire qu’elles font partie des dernières inventions nées des dernières réalisations des techniques ultra modernes.L’ordinateur au service de l’écriture, on ne peut pas espérer mieux comme outil de travail le plus pratique. Avec ce nouvel outil, on n’a plus besoin de prendre la gomme ou le corrector pour supprimer pour ajouter autre chose qui convient mieux. Qu’est ce que les écrivains d’antan et parmi les plus doués faisaient comme ratures lorsqu’ils avaient mis en chantier un ouvrage, et tous les écrivains écrivaient au brouillon avec beaucoup de ratures ce qu’ils devaient mettre soigneusement au propre. Il se passe quelque chose d’inhabituel chez les hommes ou femmes de plume, au fur et à mesure qu’ils écrivent, ils découvrent de nouvelles manières d’exprimer des comportements, des détails d’un paysage riche et varié mais qu’on n’a pas su mettre en valeur pour donner à l’œuvre une meilleure tenue puis pour soi-même pour mettre en forme une occasion de se valoriser, des histoires rocambolesques qu’on pas su rendre intéressantes. En fait le goût de lire ne peut que venir de la manière de raconter de l’auteur, cela dépend aussi du style qui met en éveil les esprits sur la peinture des caractères et les détails importants du décor pouvant créer de la gaieté, source de plaisir.

Ecrire des ouvrages, c’est d’abord faire des ratures
Le mot littérature est dérivé de ratures. Il est impossible de mettre au propre sans barrer des lignes entières, et sans ajouter des mots oubliés ou des expressions répondant mieux à certaines situations particulières. On a vu quelques chefs d’œuvre d’écrivains mais fait sur brouillon qu’il est parfois impossible de déchiffrer ou de décrypter. A l’époque où le stylo a bille n’existait pas et où les écrivains étaient obligés d’écrire avec le porte plume qui pose parfois quelques problèmes dans sa manière de tremper la plume dans l’encrier. Il arrive qu’on prenne trop d’encre et qu’on fasse des taches ou qu’on écrive plus gros que d’habitude. Tout ça fait partie des obstacles à la mise en forme de l’œuvre et à sa parution, surtout quand on a annoncé sa mise en chantier. Mais les anciens avaient de la volonté, malgré les difficultés qu’ils rencontraient, ils travaillaient avec ténacité jusqu’à la mise en forme définitive de l’œuvre correspondant au manuscrit qu’il remet à la maison d’édition. Quand il arrive chez l’éditeur, une commission composée d’écrivains confirmés est chargé de le lire, corriger des passages, donner ensuite son avis sur la qualité de ce manuscrit. Celle –ci peut soit donner son avis favorable pour être édité, soit l’accepter mais à condition que l’auteur veuille bien supprimer certaines parties. Ce qui est arrivé même à des écrivains de renommée de la trempe de Kateb Yacine à qui on a demandé, lorsqu’il a déposé le manuscrit de « Nedjma », d’enlever des parties entières qui ont servi à l’auteur de matière à un deuxième roman « Le Polygone étoilé », aussi beau que le premier à condition que l’on sache le lire, étant que tous les romans de kateb ne sont pas linéaires. Pour découvrir toute leur beauté, il faut savoir le lire en suivant l’ordre de ses pensées passées, présentes, futures. Donc, pour éprouver la sensation de produire quelque chose, il faut passer par plusieurs étapes : faire des ratures au fur et à mesure qu’on écrit et c’est inévitable car quand on écrit à la main, il arrive qu’on ait de meilleures idées après avoir mis sur papier des phrases et que ces idées sont parfois jugées insuffisantes tant du point de vue contenant que contenu. Au fur et à mesure qu’on écrit, on fait des découvertes intéressantes en moyens lexicaux plus appropriés ou de nouvelles idées et on les met sur papier, tout nécessite le gribouillage et c’est de cette façon qu’on arrive à améliorer son style ; chemin faisant les substantifs et les verbes qu’on n’avait pas au départ amènent d’autres expressions, d’autres idées qui exigent un gommage, ou des ratures

Hommes et femmes de plume qui ont éprouvé cette sensation de produire, en différé, quelque chose par l’écriture
Ils ont vécu cette sensation de produire quelque chose mais en différé. Avez- vous connu un écrivain qui a écrit directement des livres qu’ils ont proposés à des éditeurs sans même les avoir relus. C’est impossible car tout ce qu’on peut écrire est susceptible de changement. C’est ce que nous disions dans la partie précédente, la production ne voit le jour qu’en différé sous prétexte qu’il y a un processus sans lequel rien de concret ne peut se réaliser sans peiner, ce qui explique le différé.
Tous les hommes et femmes de lettres écrivent mais à des rythmes différents. Nous allons, si vous le voulez bien, travailler sur des exemples concrets. Balzac était un vrai phénomène, quand il se mettait à lire, il arrivait à lire dix lignes à la fois et nous sommes convaincus qu’il écrivait avec la même rapidité, il était prolifique dans la production de romans, il a produit plus de 90 œuvres romanesques et dans le plus beau style, soit à peu près 3 romans tous les trois mois alors que Flaubert mettait 4 ou 5 ans pour produire un ouvrage parce qu’il s’appliquait beaucoup pour arriver à composer dans une belle écriture. Dans un respect rigoureux de la concordance des temps, il a produit une écriture parfaite, mais Balzac, dans le même temps, a produit des dizaines de romans écrits à la perfection et très intéressants à lire. On disait de Balzac qu’ils produisaient plus de noms qu’il n’en naissait et qu’il faisait concurrence à l’état civil. Avec quatre romans et bien écrits par année, c’était un record mondial, et des romans réalistes même s’il y avait beaucoup d’imagination. Cet écrivain était connu pour ses grandes capacités de rédaction et son esprit inventif. Un autre génie algérien, c’est Kateb Yacine qui s’isolait pendant deux à trois mois pour écrire. Il avait des capacités énormes et des facultés naturelles très développées. Il disait quand il se mettait à écrire : « Je suis comme un torrent sous un orage inattendu », c’est pourquoi, en période de forte inspiration, il s’isolait pour écrire vite et bien. Il avait le don d’écrire en prose pleine de poésie. Ses romans, c’étaient de longs poèmes et en même des pièces théâtrales. On ne l’a jamais vu écrire mais on suppose qu’il ne faisait pas beaucoup de ratures, les mots coulaient de lui comme de l’eau de roche. Kateb Yacine était incontestablement un génie.
Du côté des femmes, il y a encore des merveilles émanant de génies féminins, telle Assia Djebbar, Agrégée d’histoire, mais intéressée beaucoup plus par le roman et elle en a écrit un grand nombre qui au fil du temps, l’intellectuelle algérienne s’est beaucoup affinée et elle avait véritablement la maîtrise de la langue, ce qui signifie qu’elle avait dépassé l’âge des ratures, et quand elle mettait en chantier un ouvrage, cette sensation de produire quelque chose ne la quittait jamais. Au début des années soixante dix, elle a fait un passage par la fac centrale où elle a été chef de département, mais elle avait d’autres ambitions, on la retrouve partout, et même comme productrice de films et comme auteur de pièces théâtrales, mais sa vocation était celle de romancière. Elle a été admise à l’académie française et elle a été proposée au prix Nobel qu’elle méritait largement comme consécration à sa belle carrière de romancière émérite.
Son dernier ouvrage romanesque, à moins qu’elle nous ait caché quelque chose de plus récent, s’intitule « Nulle part dans la maison de mon père », c’est un livre d’une lecture passionnante. Ecrit à la première personne, avec beaucoup de passage en style direct ou indirect libre, il nous a paru comme un roman autobiographique, à moins d’une erreur de jugement, c’en est un avec une prédominance de la première personne opposée parfois à la deuxième, mais qui ne semble pas désigner la même personne. Comme autre romancière talentueuse, il y a Taos Amrouche, pour ses nombreux ouvrages dont « Rue des Tambourins » où, dans un style châtié émaille d’expressions populaires, elle évoque sa vie à Tunis, sa ville natale.
Boumediene Abed