Claudie Hunzinger récompensée pour «Un chien à ma table»

Littérature

C’est l’écrivaine et plasticienne française Claudie Hunzinger, 82 ans, qui a décroché le 7 novembre dernier au premier tour le prix Femina 2022 pour son roman «Un chien à ma table» (Grasset).

Le jury exclusivement féminin couronne ainsi une œuvre à la fois féministe et consacrée au lien très particulier de l’autrice à la nature. Après le prix Décembre en 2019 pour Les Grands Cerfs, l’écrivaine alsacienne Claudie Hunzinger remporte ce lundi avec son douzième roman le prestigieux prix Femina. Son roman Un chien à ma table raconte l’histoire d’un couple vivant retiré dans les montagnes qui voit sa vie bouleversée par l’arrivée d’une chienne errante. Un clin d’œil littéraire à sa propre vie qu’elle mène depuis 1965 dans un hameau des Vosges. Dans un élan littéraire opposé à l’anthropocentrisme, elle nous offre une réflexion profonde et enracinée dans la nature sur les vies animales et végétales, le désastre écologique et la vieillesse.

Quel rôle pour le prix Femina ?
Après Annie Ernaux, distinguée par le prix Nobel de littérature, après Brigitte Giraud, choisie pour le plus grand prix en langue française, le prix Goncourt, quelle est aujourd’hui la mission du Femina, prix littéraire français créé en 1904 à l’initiative de 22 collaboratrices du magazine La Vie heureuse pour s’opposer à un prix Goncourt longtemps ouvertement misogyne (avec une première lauréate en 1944) ?

Mission accomplie ? Ou reste-t-il une contre-proposition à l’air du temps pour défendre une littérature inclusive ?
Les neuf membres du jury, dont la romancière rwandaise Scholastique Mukasonga, sous la présidence de Évelyne Bloch-Dano, ont visiblement voulu envoyer un signal. Au-delà du prix Femina pour Claudie Hunzinger, il a décerné aussi le prix Femina étranger et le prix Femina Essai à des femmes, Rachel Cusk pour La dépendance, œuvre originale racontant un huis clos entre trois couples gagnés par l’orgueil, et Annette Wieviorka pour Tombeaux : autobiographie de ma famille. Parmi les dix derniers lauréats du prix Femina se trouvent aujourd’hui, avec Claudie Hunzinger, quatre femmes, dont l’écrivaine camerounaise Léonora Miano (2013), l’autrice haïtienne Yanick Lahens (2014) et la Française Clara Dupont-Monod (2021).
En 1904, la première lauréate du prix, alors encore appelé La Vie heureuse, est Myriam Harry, suivie en 1905 par Romain Rolland. Depuis, de très nombreux hommes ont reçu le prix Femina qui s’est taillé la réputation de dépasser le seul clivage homme/femme. Dès l’origine, les membres du jury ont pris soin de respecter un équilibre à la fois très difficile à atteindre et à garder face aux soubresauts de la société contemporaine, entre différentes formes de misogynie et mouvement #MeToo.

La vie verte de Claudie Hunzinger, entre art plastique et écriture
Née le 9 avril 1940 en Alsace, à Colmar, la vie de Claudie Hunzinger ressemble à une rivière à méandres. Après des études supérieures à Paris pour le professorat de dessin, elle s’installe avec son compagnon Francis Hunzinger dans une ferme, sans l’eau courante, dans les Vosges pour y élever des brebis. Elle enseigne encore quelques années dans un lycée avant de se consacrer entièrement à son rêve de montagne qui apparaît déjà dans son premier récit, Bambois, la vie verte, publié en 1973 et devenu un bestseller.
Les années 1980 sont surtout dédiées à sa passion pour l’art plastique et force est de constater que le nombre de ses expositions dépasse largement le nombre de ses livres publiés. En tant qu’artiste, elle ausculte la violence faite au livre de façon métaphorique et physique à travers de rouleaux d’écritures calcinées et sa série Bibliothèques en cendre, présentée dans des lieux prestigieux comme l’Hôtel Salomon de Rothschild à Paris, la Biennale de Lausanne, le musée Bellerive à Zurich ou le Centre culturel Barbican à Londres. Elle fait même entrer l’écriture des herbes dans une bibliothèque.

Elle publie son premier roman à l’âge de 70 ans
En 2010, à l’âge de 70 ans, elle publie son premier roman, Elles vivaient d’espoir (Grasset), inspiré par sa mère très émancipée, professeure de lettres et militante antifasciste dans sa jeunesse. Contrastant avec l’admiration portée à sa mère, elle est toujours restée discrète par rapport à son père, instituteur de culture germanique et très marqué par son enfance dans l’Alsace de Guillaume II. Après, cette admiratrice de Nathalie Sarraute et James Joyce n’a plus arrêté d’écrire le roman de sa vie : La survivance (2012), La langue des oiseaux (2014), L’incandescente (2016), Les grands cerfs (2019)…
Son œuvre plastique a sans doute fortement influencé son œuvre romanesque, avec une langue organique, cherchant à fusionner les composants divers et variés, en évitant à mettre des barrières entre les vies humaines, animales et organiques. Un défi devenu urgent, dépassant largement le clivage entre genres, et qui s’impose de plus en plus dans beaucoup de domaines artistiques comme le cinéma et l’art.