Les causes réelles de l’inflation

Crise économique

Pour autant, considérons comme fondé que la mobilisation des travailleurs coalisés permet en effet l’obtention d’une hausse des salaires nominaux. Or, ce que les économistes bourgeois feignent d’ignorer, c’est que si, aussitôt les prix augmentent, ce sera à cause de la riposte des patrons qui, pour maintenir ou accroître leurs profits, activent l’escalade inflationniste.

Systématiquement, face à des hausses de salaires, les patrons augmentent leurs prix pour accroître ou maintenir leurs profits. Ils n’appliquent pas cette politique inflationniste par esprit de vengeance malveillant, mais en vertu de la loi imparable du capitalisme. Si les salaires nominaux augmentent, les capitalistes se doivent d’en reprendre tout ou partie par la hausse des prix. Il n’y a pas de miracle : dans la phase du capitalisme monopolistique et étatique, si les prix augmentent, c’est du fait des agissements des capitalistes (privés et étatique), déterminés à maintenir ou accroître leurs profits (recettes pour l’État).
Comme on le relève actuellement avec l’augmentation vertigineuse des prix des matières énergétiques fabriquées et vendues par des multinationales, les monopoles s’approprient des surprofits grâce à leur domination et contrôle du marché, à leur pouvoir d’obstruction bloquant toute concurrence dans la branche, leur octroyant la possibilité de fixer des prix de vente supérieurs au prix de production (comme on le voit actuellement en France avec le prix de l’électricité fixé à un tarif prohibitif par les fournisseurs d’énergie).
Une chose est sûre : dans la phase de domination monopolistique et étatique du capitalisme, « l’histoire économique » nous enseigne que les taux de profit sont systématiquement supérieurs dans les secteurs les plus monopolisés (TotalEnergies vient d’en administrer la preuve : en 2022 la multinationale a dégagé des bénéfices record de plus 20 milliards de dollars). Par ailleurs, les prix dans ces secteurs monopolistiques augmentent davantage que les prix dans les autres secteurs. Néanmoins, à terme cette flambée inflationniste suscitée dans les secteurs monopolistiques, activée pour accroître ou maintenir leurs profits, entraîne mécaniquement une hausse du niveau général des prix dans les autres secteurs et dans toutes les entreprises, comme on le constate actuellement avec l’envolée des prix relevés dans tous les secteurs d’activité : industriel, agricole, tertiaire, commerce.
Ainsi, les vrais responsables de l’inflation sont, au niveau de l’entreprise, les patrons des groupes monopolistiques, et au niveau national, l’État, c’est-à-dire le gouvernement.
Or, à lire ou écouter les théories relatives à l’inflation des économistes libéraux, animés d’une logique bourgeoise irrationnelle, il s’agirait presque d’une fatalité sécrétée par une force surnaturelle incontournable et incontrôlable, à laquelle tout le peuple doit infailliblement croire, se soumettre. Ces chamans de l’économie sont de véritables chenapans de la société. Ces théologiens du capital excellent dans l’art du chamanisme économique, cette forme de croyance magico-religieuse pour qui le système capitaliste incarne l’Esprit absolu insaisissable. Contrairement à ce que laissent entendre ces obscurs écho-nomistes (de la vraie économie ils ne perçoivent que les échos), l’inflation n’est pas l’œuvre de forces (surnaturelles) incontrôlables, mais l’œuvre de puissances financières et étatiques réelles, siégeant dans les multinationales et au (leur) gouvernement. Ce sont ces puissants qui causent et entretiennent l’inflation. Non pas par manœuvre complotiste mais sous l’impulsion des lois imparables du capital.
En vrai, au-delà de ces différentes interprétations libérales (inflation par la monnaie, par la demande, les coûts, l’anticipation des achats et par l’augmentations des salaires), il convient de rechercher les causes fondamentales de l’inflation dans les modalités spécifiques du fonctionnement du mode de production capitaliste depuis longtemps entré dans sa phase de déclin, objectivée par la récurrence des crises et des guerres, responsables de l’explosion des dépenses improductives et de l’inflation. D’emblée, il est de la plus haute importance de souligner que l’inflation est un phénomène nouveau dans l’histoire du capitalisme. Son apparition correspond à la domination étatique du capitalisme ou, dit autrement, à la phase du capitalisme d’État surgi au mitan du XXe siècle. Qui dit capitalisme d’État dit domination totalitaire. C’est-à-dire augmentation exponentielle des dépenses improductives (armée, police, bureaucratie, etc.). Par ailleurs, l’inflation galopante exprime, au niveau national, l’intensification de la lutte des classes. Et reflète, à l’échelle internationale, l’exacerbation de la concurrence intercapitaliste entre les bourgeoisies nationales.
Ce faisant, au vrai, l’inflation n’est pas d’abord un phénomène monétaire ou économique, mais il s’agit d’emblée d’une problématique politique, c’est-à-dire étatique (voire militaire car l’inflation surgit surtout en période de militarisme, d’économie de guerre, sur fond de récession, comme notre époque actuelle l’illustre).
Fondamentalement, les périodes marquées par l’aggravation de la crise économique et les préparatifs de guerre favorisent la prolifération des dépenses liées à l’armement et des frais improductifs. Par ailleurs, la période de crise aiguë se caractérise, d’une part, par l’augmentation exponentielle du nombre de chômeurs et de travailleurs précaires, nécessitant l’assistance sociale (cette dépense improductive supportée par l’ensemble de la société se répercute mécaniquement sur les coûts de production des marchandises). Et d’autre part, par la sous-employabilité de l’appareil productif induite par la contraction de la consommation (donc par la surproduction) et le ralentissement des échanges commerciaux.

L’escalade inflationniste est la réplique économique à l’escalade guerrière
Or, en dépit du ralentissement de l’activité économique, les entreprises doivent supporter l’amortissement de la proportion du capital constant qui, quoique opérationnel, n’est pas utilisé dans la production. Ces frais improductifs se répercutent systématiquement sur les prix. En effet, le coût de production d’une marchandise créée dans des conditions de sous-utilisation des capacités de production incorporera néanmoins, en sus du capital fixe concrètement consommé, la fraction inemployée de ce capital fixe.
Ainsi, la prolifération du chômage, génératrice d’expansion démesurée de dépenses improductives, et la sous-utilisation des capacités productives, vectrice de faux frais, associées à un contexte géopolitique marqué par des conflits armés, constituent les deux facteurs favorisant la récession et, corrélativement, la flambée inflationniste. L’escalade inflationniste est la riposte économique à l’escalade guerrière dans une conjoncture internationale marquée concomitamment par la baisse de la consommation provoquée par la récession, et l’augmentation exponentielle des dépenses improductives et militaires.
En général, pour juguler l’inflation, fréquemment les gouvernements, via les banques centrales, augmentent les taux d’intérêt. Or, cette politique de limitation du crédit tend davantage à accentuer et l’inflation et la récession, engendrant le phénomène désigné sous le vocable de stagflation. De surcroît, ces mesures de
« crédit cher » entraînent mécaniquement l’augmentation des frais d’amortissement du capital investi, frais qui vient se répercuter sur le prix des marchandises, provoquant un nouveau cycle (cercle vicieux) d’inflation. En fait, depuis plusieurs années, le capitalisme est entré dans une phase de déclin symbolisée par la chute dans l’inflation galopante et la récession permanente. Contrairement à ce que laisse entendre le discours dominant étatique et médiatique, l’inflation n’a pas été occasionnée par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le processus inflationniste avait entamé son envol bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. À preuve, le 16 novembre 2021, autrement dit bien avant la guerre russo-ukrainienne, la Banque Centrale Européenne publiait une étude consacrée à la flambée de l’inflation. « En août, septembre et octobre 2021, après des années de hausse très modérée des prix, l’inflation a atteint son niveau le plus élevé depuis treize ans ». (…) « Les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité ont crû partout dans le monde ». (…) « L’accélération récente de l’inflation est attribuable pour moitié à la hausse des prix de l’énergie », soulignait-elle.
Pour autant, si l’inflation, c’est-à-dire la taxe inflationniste, pénalise dramatiquement les ménages et les travailleurs, en revanche elle arrange grandement l’État, le gouvernement. En effet, en période de crise économique aiguë, c’est-à-dire de récession, l’inflation, la taxe inflationniste, permet aux gouvernements de renflouer les caisses de l’État. Autrement dit, l’inflation devient un levier de gouvernance économique des dirigeants. (le levier de commande sert simultanément à augmenter la vitesse et à modifier le sens de déplacement. Telle est la politique des États occidentaux dans cette période de crise, caractérisée par l’augmentation de la vitesse de captation des revenus des ménages par l’arme de l’inflation, et le déplacement des dépenses sociales vers les dépenses militaires).
Par exemple, en Europe, actuellement, le renchérissement du prix des sources d’énergie sert à renflouer les caisses de l’État, indirectement par l’encaissement valorisé des taxes, ou directement par l’accaparement intégral des profits du fait de la monopolisation de certains secteurs économiques névralgiques, à l’instar de l’entreprise EDF détenue majoritairement par l’État français (entreprise bientôt nationalisée).
En réalité, l’inflation, particulièrement prononcée en période de guerre couplée à une crise économique profonde, est provoquée également par la pression des « politiques captatrices » de l’État pour faire face à l’augmentation vertigineuse des dépenses publiques, et par le renchérissement des prix décrété, comme on l’a analysé plus haut, par les entreprises pour sauvegarder leurs niveaux de profits.
(A suivre)
Khider Mesloub