Après le tourisme exotique Les vacances lubriques, le capital donne congé aux voyages de masse toxiques  

Au moment où le tourisme, partout dans le monde, bas de l’aile, certains officiels et affairistes algériens, par opportunisme politique ou esprit mercantile, veulent lui donner son envol dans nos pures contrées au ciel jusqu’à présent préservé de la pollution des avions emplis de voyageurs occidentaux aux mœurs toxiques. L’occasion, pour nous, de livrer aux lecteurs de La Nouvelle République notre étude consacrée au tourisme, rédigée en 2020. Cette étude, réactualisée, demeure encore d’une brûlante actualité.
« La terre est une vieille prostituée. Elle se vend partout », a écrit l’écrivain Pierre Mac Orlan. Transfigurée par le capital, elle sait mettre en valeur ses charmes naturels, monnayer ses paysages voluptueux, complèterai-je. Le tourisme est un phénomène inhérent au monde occidental capitaliste. Dans un univers concentrationnaire où l’homme moderne aliéné passe la majeure partie de sa vie enfermée dans les bagnes industriels ou les geôles du tertiaire, cloîtré dans des habitations carcérales bétonnées, cet homme – cette femme – opprimé et stressé éprouve le besoin de s’évader de sa prison urbaine et mentale. En guise de thérapie compensatoire, les voyages lui permettraient, pense-t-il, de soigner son affliction existentielle, de s’offrir quelques évasions furtives vers des contrées exotiques ; de s’accorder quelques moments de pureté loin de son monde urbain pollué, de sa vie quotidienne souillée, de sa famille atomisée, de sa culture originelle lobotomisée.

L’horreur touristique
Depuis un demi-siècle, l’horreur touristique s’abat sur l’ensemble de la planète. Tous les pays sont mis en coupes réglées. Aucun espace n’échappe à la concurrence. Chaque pays investit dans les infrastructures touristiques pour attirer le maximum de clients. À l’instar de la péripatéticienne luxurieuse vantant les agréments de son anatomie lascive et orgastique, chaque pays magnifie les attributs exceptionnels de son territoire : nature luxuriante, mer cristalline, patrimoine culturel exceptionnellement riche. Cette politique touristique participe de la spécialisation des pays, s’intégrant dans la division internationale du travail, obérant pour les pays du Sud toute diversification productive, pénalisant tout développement économique authentique et pérenne.
Au reste, l’industrie du tourisme participe grandement à la destruction de ces contrées dont elle tire profit. Ainsi, elle vend ce qu’elle contribue à détruire, notamment par la destruction écologique, la désagrégation sociale et culturelle, la défiguration des régions entières, transmuées en zones spécifiquement touristiques.
De surcroît, par la rapacité mercantile de l’industrie du tourisme, le « monde touristique » est mis en mode économique productive : les villes transformées en musées lucratives, les campagnes muées en parcs d’attraction rentables, les littoraux métamorphosés en mer bétonnée où surnagent en surface des verrues architecturales hideuses.
Par ailleurs, les populations « autochtones » sont folklorisées par les protagonistes de leur déculturation, ces Occidentaux ethnocidaires, responsables des désordres anthropologiques irréversibles infligés aux peuples longtemps colonisés (introduction de l’argent, de la propriété privée ; destruction des modes de production traditionnels, exode rural, etc.).
Sans oublier que la majorité de la population locale impécunieuse des pays dits touristiques ne profite jamais des infrastructures du tourisme (complexes touristiques, hôtels, piscines, plages, divers secteurs de distractions et de loisirs, et autres multiples sites), réservées exclusivement aux seuls voyageurs occidentaux richement solvables.

Naissance du tourisme
Historiquement, le terme touriste fut introduit dans la langue en 1816 et le vocable tourisme en 1841. Mais c’est au XVIIIe siècle que fleurit la mode du tourisme ou plus exactement des voyages. Elle prit naissance en Grande-Bretagne, première puissance économique à l’époque. En effet, c’est à cette époque que de jeunes riches aristocrates anglais commençaient à faire leur Grand tour de l’Europe. Ils visitaient la France, l’Espagne, l’Italie, etc. Ensuite, au cours du XIXe siècle se développa le tourisme bourgeois. Sa consécration se matérialisa par la création de la première agence de voyage par Thomas Cook en 1841. Dans le sillage de l’industrialisation et l’urbanisation de l’Europe se développèrent parallèlement les premiers moyens de transport modernes, favorisant l’expansion du tourisme Au début, le chemin de fer constitua la principale locomotion mécanique rapide. Ensuite, au XXe siècle l’avion remplaça les chemins de fer comme moyen de déplacement rapide. Plus tard, les premières autoroutes furent créées en Italie (1924) et en Allemagne (1932) – non pour permettre l’acheminement accéléré des touristes, secteur sous-développé à l’époque, mais pour favoriser le déplacement diligent des chars de guerre.C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au cours des Trente Glorieuses (piteuses, puisque de leur éphémère illusoire prospérité ne demeure que leurs réminiscences rêveuses) que le tourisme connut réellement son essor. Le tourisme se démocratisa, se massifia, se popularisa. L’industrie du tourisme se structura, notamment par la création de nombreuses agences de voyages, la publication de guides touristiques, l’invention de clubs, l’élargissement d’infrastructures dévolues au tourisme (hôtels, aéroports).
Aujourd’hui, le tourisme est devenu un véritable produit de consommation courant. Il génère des milliards de chiffres d’affaires et de substantiels profits. En matière économique, le tourisme devance l’industrie pétrolière et automobile. Il est devenu la première activité mondiale, avec plus de 200 millions de salariés employés. Soit quasiment 10% de l’emploi mondial. Le tourisme est en forte croissance. À mesure que le mode de vie occidental se répand et se vulgarise, le tourisme se propage tel un virus villégiateur, contaminant toutes les contrées du monde.

Tourisme : exutoire de l’aliénation
De façon générale, dans la société capitaliste moderne, le tourisme a pour fonction de procurer, à l’occidental stressé, immergé dans une atmosphère urbaine polluée, dans une ambiance temporelle haletante et un rythme de vie trépidant, un fugace parfum d’exotisme, une sensation factice de bonheur, un bain de soleil, un lit de détente, une sensation de bien-être absent de son quotidien cimenté par la spleenuosité. En un mot, un sentiment d’évasion et de dépaysement.
Pour ce touriste occidental à la vie accidentée par le stress oxydant et le travail aliénant, il s’agit de partir savourer la « pureté » de la nature, les sites vierges sauvages écologiques ; découvrir des « peuplades » autochtones folklorisées, infantilisées.
Le tourisme offre au voyageur occidental, en quête de son paradis perdu, un dépaysement garanti, par la découverte de paysages féeriques. Plongé dans ces horizons édéniques, le touriste occidental peut communier avec des espaces et horizons fantastiques. Il peut se ressourcer, se régénérer, se purifier, le temps de ce séjour éphémère furtif, avant de regagner l’enfer de son quotidien bétonné d’agressions stressantes protéiformes, barbelé d’activités professionnelles aliénantes, oppressantes, déprimantes.
À notre époque moderne capitaliste mondialisée, le tourisme constitue l’ultime étape de la marchandisation de la société. De fait, les pays du Sud, souvent sous-développés, sont livrés à la perversion du capitalisme. Longtemps épargnés par les rapports marchands, ces régions traditionnelles pauvres ont été infectées par l’introduction du mercantilisme, la « civilisation » capitaliste.
Désormais, la cupidité gouverne les mentalités de ces populations périphériques. Le mode de vie de ces sociétés a subi une véritable mutation anthropologique. Ces sociétés traditionnelles, sous l’effet corrosif du tourisme, se décomposent. Victimes des prédateurs touristiques et des spéculateurs immobiliers, ces populations sont expropriées de leurs terres et de leur village, pour être parquées à la périphérie des villes. Perdant ainsi le lien avec leurs racines, leurs coutumes, leurs traditions. Aussi finissent-elles par se désagréger.
De fait, ce secteur rentable du tourisme, le capitalisme l’a investi avec d’énormes moyens de communication, notamment par le recours effréné à la publicité. Pour l’exploiter de manière optimale et rentable, le capitalisme a favorisé le développement de cette industrie du tourisme collectif, le voyage organisé. Le voyageur, devenu consommateur quasi compulsif de produits touristiques, est constamment assailli de propositions de séjours aux tarifs réputés compétitifs et économes en temps. Aussi, les tarifs des séjours sont-ils tirés de plus en plus vers le bas, accompagnés d’une réduction du gaspillage de temps. Comme au sein du monde de l’entreprise où les gains de productivité et l’optimisation temporel dominent la logique entrepreneuriale, l’industrie du tourisme a intégré ces catégories marchandes capitalistiques dans ses offres de voyages. Le temps de transit est proscrit, car il est considéré comme du temps mort. Désormais, l’objectif principal des voyagistes est d’acheminer le touriste aux points de consommation touristique dans un temps court. Cet objectif est assuré grâce au développement exponentiel des moyens de transport à grande vitesse, comme l’avion et le TGV, et des réseaux d’autoroute.
Cette croissance des transports s’effectue malheureusement au prix de la pollution de l’écosystème. n

Khider Mesloub
A suivre …

 

 

 

 

En effet, toute cette technologie des transports modernes est obtenue moyennant une consommation de ressources énergétiques et d’une pollution grandissante. Ainsi, l’industrie touristique constitue-t-elle un vecteur de destruction écologique, sociale et culturelle (voilà qui devrait intéresser les égéries de l’Urgence climatique et de Sauvons la planète : au lieu de culpabiliser les « citoyens », ces hystériques écologistes, talibans de l’Occident, devraient s’attaquer aux grands argentiers du tourisme, responsables de la dégradation de l’écosystème).
Par ailleurs, si certaines sociétés traditionnelles érigent la virginité de la femme en dogme qu’aucune loi humaine ne doit violer au risque de stériliser définitivement la communauté, le capitalisme, quant à lui, a contrario, n’existe que par la violation permanente des espaces vierges réduits en terrains à exploiter et à féconder financièrement, sans souci de la postérité, de l’héritage légué aux futures générations. L’industrie du tourisme ne déroge pas à cette loi du viol des espaces vierges transformés en lieux de valorisation du capital par la colonisation mercantile de ces contrées longtemps demeurées impénétrables, vierges, épargnées de tout contact humain occidental infecté par la civilisation marchande ou plutôt « syphilisation » capitaliste virale, létale.
C’est ainsi que certains sites naturels, comme de nombreux monuments millénaires, épargnés longtemps par l’invasion humaine mercantile, sont aujourd’hui davantage menacés par la fréquentation outrancière des masses touristiques que par les outrages du temps (ou par les destructions de la guerre, des talibans ou de Daesh). On peut citer comme exemple le site de Lascaux : ce site a failli disparaître sous l’effet du souffle des visiteurs envahissants. Les relents infectes du capitalisme affectent même les patrimoines de l’humanité.
Cette analyse était valide jusqu’au début de l’année 2020, date de l’apparition de la pandémie qui a précipité le secteur du tourisme dans une profonde crise dont il n’est pas près de se relever. Désormais, la donne a changé.

Tourisme sexuel

Tout se consomme, la nature comme les humains. Aussi, ces dernières années, l’intérêt ne se portait plus seulement sur les paysages idylliques, la découverte des « bons sauvages », par ailleurs graduellement détruits par le capital. Le tourisme contemporain, à l’image de l’Occident libidinalement perverti, s’est sexualisé, comme l’a analysé magistralement le philosophe Dany Robert Dufour dans son livre « La cité perverse – Libéralisme et pornographie ». Le touriste prédateur s’envole vers les contrées exotiques pour goûter aux charmes des corps sensuels « indigènes » juvéniles, de préférence impubères, dotés d’une volupté virginale. Cette nouvelle consommation touristique sexuelle est la dernière forme d’exploitation capitaliste (occidental, oriental, asiatique).
Certes, les anciennes puissances coloniales et impérialistes n’occupent plus les terres fertiles et fécondes des pays du Sud, mais certains de leurs lubriques habitants n’hésitent pas à s’accaparer les corps lascifs des autochtones impubères, pour assouvir leur appétence libidinale insatiable.
Ces nouvelles prestations sexuelles participent de la nouvelle industrie touristique internationale offerte aux lubriques occidentaux et orientaux riches des pays du Golfe, en quête de transcendance sensuelle exotique, de débauches orgiaques touristiques. Ces escapades libidineuses participent de la nouvelle forme de domination du mode de production capitaliste libertaire et libertin mondialisé.
Dans ce secteur lucratif et lascif du tourisme sexuel géographiquement en pleine turgescence, outre la Thaïlande, le Maroc est devenu une des destinations favorites du tourisme lubrique, l’eldorado des pédophiles. En particulier, des pédophiles européens, sans oublier les féodaux orientaux des pays du Golfe, adeptes des prosternations lascives. Les victimes, en majorité mineures, sont racolées par des rabatteurs en échange d’argent.
Au Maroc, cette industrie du sexe, à la prospérité et postérité garanties, a toujours été tolérée par le Makhzen. Cette économie des amours tarifées, nullement prête à se raréfier, en particulier depuis la crise sanitaire et économique, profite à de multiples acteurs de la société marocaine : tenanciers de bars, videurs de discothèques, taxieurs, policiers (qui ferment les yeux en échange de quelques billets ou faveurs sexuels gracieuses), les loueurs d’appartement, les hôteliers qui vivent sans scrupule de l’exploitation sexuelle de leurs progénitures, leurs jeunes compatriotes livrés à la prostitution. Dans la plupart des hôtels touristiques des jeunes femmes offrent leurs services aux étrangers de passage.
Globalement, ce sont majoritairement des professionnels du sexe tarifé. Mais certaines se prostituent de façon occasionnelle. Plus anonyme, la prostitution masculine est très répandue également au royaume chérifien. Même des enfants se livrent au racolage, pour quelques dirhams.
Au Maroc tout se vend, surtout la dignité et l’honneur, bradés sans scrupules, notamment aux sionistes, nouveaux parrains de la monarchie. Il n’y a pas que la prostitution « traditionnelle » qui permet aux touristes hommes de s’offrir les services sexuels de jeunes filles ou garçons. Il existe également la prostitution « cougarienne », celle qui permet aux touristes femmes occidentales, âgées entre 50 et 70 ans, de passer leurs vacances lubriques en compagnie de jeunes hommes, moyennant rétribution et contribution des autorités chérifiennes qui rabattent la clientèle depuis le monde entier pour lui offrir ce marché du sexe intarissable, tant l’offre prostitutionnelle est abondante.
Sans conteste, pour les touristes en quête d’aventures lubriques, les conditions sont idéales dans ce lupanar à ciel ouvert : la monarchie marocaine leur garantit une royale impunité : la loi du silence et le silence de la loi. Selon les informations, le tourisme sexuel se serait considérablement développé dans le royaume chérifien. Dans la seule ville de Marrakech, les deux tiers des enfants prostitués se consacrent uniquement aux touristes. Touristes chouchoutés mais nullement chahutés, bichonnés mais jamais bastonnés, dorlotés mais aucunement menottés, par la population marocaine consentante. Contente de l’attrait touristique de son pays sexuellement dépaysant, sensuellement plaisant, voluptueusement apaisant. Le touriste ne vient pas à Marrakech pour admirer uniquement le minaret de la Koutoubia mais, surtout, cajoler les tibias des minets.
De façon générale, le tourisme est à l’aventure ce que la prostituée est à l’amante. Il est vénal et chronométré, et surtout il multiple les clients pour enrichir ses maquereaux financiers. C’est une entreprise de racolage. Les campagnes de publicité pour aguicher les clients sont envahissantes. Au plan des séjours, les parcours touristiques sont balisés, biaisés, banalisés. Ils sont soumis au conformisme. En lieu et place de l’aventure, le tourisme privilégie la visite guidée, téléguidée, l’atmosphère enguirlandée. Privilégie les nuits des chambres d’hôtel aseptisées aux nuits à la belle étoile naturellement climatisée. L’ensauvagement par l’esprit au corps ensauvagé. Les voyages aux pays des merveilles aux aventures dans les merveilles des pays. En un mot, un tourisme mis au format d’un centre de loisirs, à l’instar de Disneyland. Un tourisme sous cellophane. Un tourisme chloroformé.
En comparaison, jadis, nos ancêtres, sans voyagistes ni transporteurs, parcouraient la terre avec plus d’esprit aventurier que nos touristes dépressifs contemporains. Ils emportaient dans leurs pérégrinations pédestres interminables, à dos d’âne ou à cheval pour les plus nantis, pour seul bagage, leur viatique. Et pour seule quête : la spiritualité et l’apaisement de l’âme. Dans leurs itinéraires, motivés parfois par le pèlerinage, ils trouvaient partout gîte et couvert mis gracieusement à leur disposition par les habitants des villages traversés. Cet esprit d’hospitalité était la règle, la coutume millénaire en vigueur dans toutes les anciennes sociétés traditionnelles. (Notamment algérienne, comme vient de le découvrir, avec étonnement, un journaliste belge de la RTBF, marqué par la générosité et l’hospitalité des Algériens au cours de son séjour en Algérie. «J’ai découvert l’Algérie, le plus grand pays du continent africain. L’Algérie, c’est une variété de décors, de cultures, de populations, une histoire réellement exceptionnelle », avait témoigné François Mazure, dans un entretien accordé récemment à un média de son pays. « Et je vais vous parler de l’hospitalité des Algériens !» s’était-il exclamé, en précisant que c’était ce qui l’avait « le plus marqué ». « On n’est pas vu comme un dollar ambulant. Il n’y a pas ce réflexe de se dire : voilà un touriste, je vais lui vendre tout et n’importe quoi. On est considéré simplement comme un visiteur et jamais alpagué. On circulait de manière naturelle », avait-il témoigné, rejoignant ainsi ce qu’avait affirmé le photographe français Yann-Arthus Bertrand avant lui. « Sincèrement, on est accueilli partout comme si on était un membre de la famille», avait-t-il ajouté, en donnant l’exemple de ce geste qui l’avait touché dans un restaurant populaire algérois où il avait découvert, une fois à la caisse, que son plat lui avait été offert par un anonyme. «Nous n’avons pas l’habitude de tout cela», avait-il fait remarquer. Le touriste belge avait également raconté comment un groupe d’amis algériens, rencontrés au hasard, l’avait invité à fêter avec lui un anniversaire. Mieux : il s’était vu offrir des cadeaux dans un magasin de souvenirs. «C’est vous dire qu’il y avait vraiment ce rapport désintéressé, et cela m’a sincèrement touché parce qu’il me semble que c’est de plus en plus rare», avait souligné François Mazure. Ce « rapport désintéressé » se perpétue en Algérie car le peuple algérien n’a pas été contaminé par l’esprit mercantile capitalistique dominant, corrompu par le tourisme de masse vénal. Le tourisme est le cheval de Troie des intérêts du capital, de la finance internationale. La porte d’entrée à la contamination culturelle, la corruption morale, l’avilissement national.)
De nos jours, sur le chemin de la route, un voyageur, tenté par l’aventure, ne rencontre que portes closes et terrains clôturés. Qu’indifférence et méfiance. Cherche-t-il un endroit où passer la nuit ? Aucun espace sans clôtures ne s’offre au voyageur aventurier impécunieux : aucune âme charitable ne lui fournira gîte et couvert, ni portion de jardin pour la nuit. En revanche, l’endroit traversé exhibe une multitude de panneaux sur lesquels sont indiqués les noms des nombreux hôtels et auberges. Cette offre marchande de notre société capitaliste moderne marque la différence fondamentale avec l’invitation gratuite des sociétés traditionnelles où toutes les maisons étaient dépourvues de serrures, comme les cœurs de leurs habitants n’étaient pas verrouillés par l’individualisme et l’égoïsme. Elle marque la différence entre le gîte payant et l’hospitalité désintéressée. Entre la société marchande et la société du don. Entre la société capitaliste régie par la carte bleue et la société traditionnelle gouvernée par le cœur blanc.

Désert touristique algérien

Quant à notre cher pays l’Algérie, il a toujours été en délicatesse avec le tourisme. Assurément, en Algérie le tourisme ne décolle pas. Pourtant le pays recèle des trésors touristiques splendides. En dépit de ses multiples atouts enchanteurs, l’Algérie n’attire pas les investisseurs dans le secteur du tourisme. Donc les touristes.
Pourtant, pourvue d’un littoral de 1600 kilomètres, l’Algérie constitue une destination idéale pour le tourisme. Sans oublier d’autres merveilles, telle les vestiges romains, les gravures rupestres, le majestueux désert. Néanmoins, le tourisme sommeille sous le soleil ardent réchauffant et irradiant uniquement les habitants algériens, sous le ciel bleu azur réservé aux seuls citoyens algériens. Et pour cause.
Nombre d’Algériens intéressés, notamment la corporation affairiste sévissant dans le commerce, déplore l’absence d’investissement dans le secteur du tourisme. En effet, l’activité touristique en Algérie ne parvient pas à se réveiller de sa léthargie économique. Actuellement, en Algérie, ce secteur touristique fait l’objet d’un immense investissement verbal politique par les acteurs de la représentation nationale et commerciale pour redynamiser le tourisme. Toutes les solutions sont proposées par les affairistes du secteur touristique, ces requins financiers pressés de transformer les côtes balnéaires algériennes en complexes bétonnés lucratifs pour eux, mais écologiquement et architecturalement répulsifs aux yeux des Algériens.
D’aucuns suggèrent, pour booster le tourisme en Algérie, de favoriser le tourisme cynégétique ou chasse touristique. Rassurez-vous : il ne s’agit pas de « tourisme génésique », à la manière du voisin de l’ouest, autrement dit chasse de la chair fraîche humaine.
Le tourisme cynégétique, destiné à une clientèle fortunée, permet aux richissimes de se livrer à la chasse du gibier. Mais ces lubriques touristes, se livrent souvent aux deux formes de tourisme : cynégétique et génésique.
Une chose est sûre : l’activité touristique n’est pas près de décoller. Pour preuve, ces vingt dernières années, l’Algérie n’a attiré que 3 000 touristes par an. Chiffre ridiculement dérisoire comparé aux autres pays voisins, la Tunisie et le Maroc. En 2018, le nombre de touristes venus en Algérie n’a pas excédé 2 000 visiteurs. Le secteur du tourisme a été négligé sous le règne de Bouteflika, en particulier par ses acolytes ministériels et affairistes écornifleurs, occupés à exporter leurs richesses spoliées vers les pays étrangers, expatrier leurs progénitures et familles dans les contrées riches.
À cet égard, il est utile de relever que, sur la carte touristique mondiale, l’Algérie demeure toujours inexistante, inconnue du système GPS des voyagistes. Depuis 30 ans, l’Algérie est absente sur la carte touristique internationale. Pourtant, ces dernières années, à la suite de la baisse du prix du pétrole, dans le cadre du projet de diversification de l’économie algérienne principalement tributaire des hydrocarbures, l’activité touristique a été inscrite dans le programme de réorientation de l’économie. En dépit de la volonté affichée par le pouvoir de promouvoir et de relancer l’activité touristique, on assiste à aucun redémarrage de ce secteur déserté par les investisseurs. Outre l’indigence de la politique de promotion du tourisme en Algérie, vient se greffer le problème de l’obtention du visa algérien pour les nombreux voyageurs désireux de visiter l’Algérie.
Aujourd’hui, au plan des infrastructures touristiques, l’Algérie ne dispose que de 60 000 lits en bord de mer dont moins de 10% correspondent aux normes internationales. À l’échelle nationale, l’Algérie compte seulement un peu plus de 110 000 lits. En outre, pour des raisons de sécurité, de nombreux sites touristiques, tel le Hoggar, sont fermés aux étrangers.
Au reste, au plan rapport qualité/prix, en termes d’attractivité tarifaire, l’Algérie demeure parmi les destinations les plus onéreuses de l’Afrique du Nord. Le prix du billet d’avion à lui seul est prohibitif. De même le coût du séjour est très onéreux, comparé aux autres pays voisins. Néanmoins, eu égard à notre analyse critique du tourisme, en général, décrite plus haut, contrairement aux thuriféraires du libéralisme, partisans de l’ouverture de l’Algérie au tourisme, on peut conclure que la décision de fermer les frontières au tourisme international dans les années 80 a été un choix politique légitime.
En effet, à la faveur de l’augmentation considérable des recettes pétrolières, dès les années 1990 / 2000 l’Algérie avait tourné le dos au tourisme exogène, le tourisme réceptif international, pour promouvoir et investir dans le tourisme endogène, destinés aux seuls citoyens algériens. En outre, ce choix de se détourner du tourisme international avait été motivé par des raisons de préservation des traditions algériennes susceptibles d’être corrompues par l’invasion des touristes occidentaux porteurs de cultures étrangères dissolvantes (sic). Cette crainte du saccage du patrimoine culturel algérien par les hordes touristiques occidentales et/ou orientales est fondée.
De même, la peur de la pollution immorale de l’Algérie par ses multitudes occidentales / orientales libidineuses est motivée.
L’Algérie a eu raison de refuser de transformer le pays en dépotoir « déculturatoire » touristique, en bordel des Occidentaux ou des Orientaux, en contrée exotique exploitée par le capital financier international.
Le tourisme est le colonialisme contemporain de l’Occidental pauvre, cet idiot heureux appartenant à la petite et moyenne bourgeoisie, infatué de son aliénation, qui, l’espace de quelques jours, pétri de relents colonialistes et paternalistes, peut se croire riche dans un pays pauvre, se comporter en territoire conquis par la grâce de ses dollars ou euros amassés par son esclavage salarié.
Par ailleurs, le secteur touristique est très aléatoire, entièrement tributaire des caprices des touristes, des effets de mode, et, aujourd’hui, des vicissitudes géopolitiques ou sanitaires. Un pays dépendant des recettes du tourisme s’expose aux retournements de situation géopolitiques et sanitaires, au basculement des habitudes des consommateurs de voyage.
De toute évidence, comme nous l’avons souligné plus haut, sous le mode de production capitaliste, le tourisme est le cheval de Troie des intérêts du capital, de la finance internationale. La grande porte d’entrée à la contamination culturelle, la corruption morale, l’avilissement national.

L’ère du congédiement des voyages de masse

Après la fastueuse longue période de tourisme exotique, la brève ère des vacances lubriques, voilà venu le temps du congédiement des voyages de masse.
À la faveur de la pandémie apparue depuis 2020, nous sommes rentrés dans la nouvelle phase des confinements, de l’assignation à résidence, des restrictions de déplacement, de la fermeture des frontières, de la raréfaction des visas. Voire de la fin des congés payés programmée par le capital en crise. « Adieu veau, vache, cochon, couvée », comme dirait notre ami le sage Jean de la Fontaine, qui a l’art de faire voyager le lecteur dans le monde des animaux dotés de parole moralisante, sans sortir de sa chambre. La fin des voyages se traduira-t-elle par la résurgence de la lecture, ce tourisme livresque à la portée de toutes les bourses ?
Quoi qu’il en soit, depuis l’apparition de la pandémie flanquée de mesures restrictives de déplacement et de confinements, l’économie du tourisme traverse une crise d’une ampleur inédite à travers le monde. Tous les continents sont impactés par la baisse du nombre d’arrivées de touristes internationaux. Un rapport publié conjointement par l’ONU et l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le 30 juin 2021, évaluait, au niveau international, les pertes financières pour le tourisme à près de 4 000 milliards de dollars sur les années 2020-2021 par rapport au niveau de 2019.
Pourtant, jusqu’en 2019, comme on l’a analysé plus haut, le tourisme était un secteur qui, depuis un demi-siècle, n’avait jamais connu de crise. Bien au contraire, il avait connu une croissance exponentielle. En termes de voyageurs, le monde était passé de 25 millions d’arrivées de touristes internationaux en 1950 à 1,5 milliards en 2019. Pour l’année 2021, après une saison déjà catastrophique en 2020, l’OMT estimait la baisse à 75 % par rapport à 2019. Pour autant, elle ne prévoit le retour au volume d’arrivées internationales d’avant la crise qu’en 2023 ou 2024, voire plus tard (ou jamais ? – du moins sous le capitalisme en crise systémique finale). Selon l’OMT, les arrivées de touristes internationaux devraient ainsi demeurer « de 70 à 75% inférieures » à celles de l’avant-pandémie.
En avril 2021, le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC) organisme mondial représentant le secteur privé du voyage et du tourisme, s’était réuni lors d’un sommet à Cancún (Mexique) pour faire le point sur la crise du secteur du tourisme. À l’issue de la réunion le WTTC avait pronostiqué une modification de la consommation de voyages : « Les voyageurs n’iront plus vers les mêmes 20-30 destinations, ils iront plutôt vers les petites villes et les communautés rurales et renoueront avec la nature. »
En tout état de cause, tous les spécialistes pronostiquent la fin du tourisme de masse. Sous couvert de transition écologique, pour ne pas reconnaître la mort du tourisme du fait de la profonde crise économique du capitalisme, responsable de la paupérisation généralisée des populations désormais impécunieuses, afin d’éviter prétendument la dégradation de certains espaces provoquée par le tourisme de masse, ils prônent un « tourisme durable ». Un tourisme propre mais proprement onéreux, donc réservé à l’élite. Ce tourisme vert (payé chèrement en billets Verts, autrement dit en dollars) va supplanter le tourisme de masse.

La mort annoncée du tourisme de masse

Sans conteste, on assiste à la mort du tourisme de masse. Tout porte à croire que, crise économique oblige, paupérisation généralisée et basculement des habitudes de consommation réduites aux produits de première nécessité aidant, nous nous acheminons vers l’ancien temps où le tourisme était réservé à l’élite, c’est-à-dire aux classes privilégiées. Comme à l’époque de l’absence des congés payés d’avant la Deuxième Guerre mondiale, le tourisme redeviendra le privilège des élites. Et la majorité de la population, désormais insolvable, privée de voyages, pourrait se rabattre sur la lecture. Elle pourrait lire et relire gratuitement (1), par un voyage intérieur, le livre, parodie des récits de voyage : « Voyage autour de ma chambre », publié en pleine Révolution française (1794) par Xavier de Maistre.
Une chose est sûre, depuis trois ans, le tourisme international s’essouffle, étouffe sous le poids de la crise apoplectique économique. Affecté par l’inoculation du virus des mesures restrictives gouvernementales imposées durant l’épidémie, le tourisme est en fin de vie. Son pronostic vital économique est engagé. La gestion de la crise sanitaire et la crise liée à la hausse du coût de la vie ont durablement fragilisé le secteur du tourisme. Au reste, les projections dans le secteur du transport aérien sont tout aussi alarmantes que pour le tourisme international : l’AITA (Association Internationale du Transport Aérien) ne prévoit une reprise, avec un retour au niveau de 2019, que d’ici 2024, voire 2026 ou 2030.
Selon un récent rapport de l’OCDE, la reprise du tourisme est comprise par la crise de l’économie mondiale, sur fond de choc énergétique, de forte inflation et de baisse du pouvoir d’achat des ménages. En effet, les entreprises du tourisme, qui peinent déjà à sortir de la crise pandémique, doivent désormais aussi affronter la hausse des coûts de l’énergie, des produits alimentaires et autres ressources. À cela s’ajoutent les pénuries de main d’œuvre et de compétences, plongeant le secteur dans une grande incertitude, obérant la reprise du tourisme.
Les professionnels du tourisme, déjà frappés de plein fouet et floués par les conséquences catastrophiques des fermetures des frontières lors de la crise sanitaire, sont au bord du précipice, acculés à la faillite. Notamment au Maroc, ce pays d’attraction touristique néocoloniale, longtemps érigé en modèle par les thuriféraires du libéralisme libertaire et libertin, où le tourisme exotique, comme le tourisme lubrique, est en pleine débandade, faute de clientèles. Or, le tourisme représente 10% de la richesse du Maroc. Le secteur du tourisme constitue son deuxième employeur, après l’agriculture. Avec les transferts financiers des Marocains vivant à l’étranger, il est l’une des principales sources de devises du pays. Aujourd’hui, depuis trois ans, avec les fermetures des frontières et la crise économique, les professionnels du tourisme marocains assistent avec résignation au tarissement de cette source financière.

La mort du tourisme de masse planétaire ressuscite le tourisme régional élitaire

Depuis trois ans, pour justifier la destruction planifiée du secteur du tourisme, les autorités gouvernementales auront invoqué l’urgence covidale pandémique, ensuite la guerre d’Ukraine. Désormais, au nom de la défense du climat, de la biodiversité et des sites, s’institue insidieusement l’urgence climatique, énième paravent pour porter la dernière estocade au secteur du tourisme de masse, devenu obsolète du point de vue du grand capital financier. En effet, avec les contractions planifiées des salaires et des revenus, accentuées par le renchérissement des prix, les dépenses culturelles et de loisirs vont devenir un luxe inaccessible du fait de la faiblesse du budget des foyers. (Pour prendre l’exemple de la France, selon l’institut national de la statistique et des études économiques (l’INSEE), depuis 1960 les dépenses des ménages pour les loisirs ont été multipliés par 5,5 contre 3,2 pour l’ensemble de la consommation. Or, cet accroissement en volume est supérieur à tous les autres postes de dépense, exception faite de la santé – elle est également dans le viseur du capital, résolu à réduire considérablement les budgets alloués à ce poste de dépense « improductif », autrement non rentable. Cette augmentation exponentielle de la consommation en matière culturelle, touristique et attractive a été favorisée par les Trente Glorieuses et l’accroissement exponentielle des « classes moyennes » – différentes catégories de la petite bourgeoisie, actuellement en voie de paupérisation et de prolétarisation. Aujourd’hui, crise économique oblige, le grand capital occidental, en voie de déclassement, réadapte sa stratégie pour récupérer la moindre plus-value générée par la force de travail afin d’éviter son effondrement. C’est dans ce cadre de restructuration de l’économie orientée vers une consommation restrictive circonscrite aux produits essentiels que s’intègre la politique de destruction des secteurs dits non-essentiels (restaurants, cafés, cinémas, théâtres, salles de sport, et Filières Touristiques), devenus superfétatoires du point de vue du grand capital en proie à une crise multidimensionnelle systémique.)
Actuellement, pour renforcer le tourisme élitaire, d’aucuns militent, sous couvert de la transition écologique, pour « l’écotourisme », le « tourisme durable », respectueux de l’environnement. Un tourisme de proximité, épargné par la promiscuité. Un tourisme local, loin de la foule banale. Un tourisme écologique particulièrement onéreux car soumis à des normes drastiques, programmes d’absorption des émissions de CO2, Écolabel (qui impose des mesures d’économie d’eau et d’énergie, le tri des déchets en interne, l’utilisation de produits d’entretien écologiques ainsi qu’une offre de restauration bio ou locale à des prix prohibitifs).
Un tourisme écologique qui privilège le Train plutôt que l’avion. Les avions, cloués au sol durant toute la période de la pandémie de Covid-19, ne sont pas près de décoller. Les liaisons internationales, impactées par les restrictions de déplacement et, désormais, par les contractions des revenus des consommateurs, ne sont pas près de renouer leurs liaisons avec les touristes confinés à une existence casanière dans une société devenue une caserne à ciel ouvert régie par des lois d’exception et la tyrannie des interdits. À plus forte raison les vols intérieurs sont menacés de disparition. En effet, de nombreux pays, dans le soi-disant cadre de la transition écologique mais, en vrai, du fait de la profonde récession économique, ont annoncé la suppression de certaines lignes aériennes intérieures. Ils recommandent l’interdiction des vols intérieurs en cas d’alternative ferroviaire directe de moins de 4 heures.
Ironie de l’histoire, la majorité des touristes, souvent en proie au spleen, voyagent pour oublier le (leur) monde plus que pour le découvrir. Au final, par leur pollution mentale, avec leurs impulsifs voyages dérivatifs, ils contaminent l’esprit des habitants de la planète.
En effet, comme l’a écrit l’académicien français Jean Mistler « Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux ».
Le temps de chacun chez soi, permettant de voyager à l’intérieur de son Moi pour le découvrir, constitue-t-il la dernière salubre forme de tourisme personnel imposé par la crise du capitalisme ?
Rien ne remplace le voyage autour de son Être exploré avec passion, sa raison, dans sa maison, source de tonification morale, pour mieux admirer le monde, aimer la vie et autrui, loin des tribulations touristiques par ailleurs tarifées, et des aliénations protéiformes !

Khider Mesloub