L’impérialisme Diplomatie normative de tous les États capitalistes (II)

L’actuel conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine offre l’occasion inespérée aux gauchistes et tiers-mondistes de toutes obédiences politiques de fustiger « l’impérialisme américain », désigné comme le principal responsable de l’escalade guerrière. Fauteur de guerres, voire l’unique coupable de toutes les guerres.
À l’ère du désarroi, tout le monde croit au miracle. Une partie de la planète des pays du Sud, curieusement imprégnée de religiosité, pense construire un nouvel ordre mondial florissant au moyen de la miraculeuse brique (BRICS : si je devais laisser libre cours à mon habituel humour algérois, je dirais BRICKS algériennes, succulent mets réputé pour ses vertus caloriques et facultés régénératives), et ce, en pleine phase d’effondrement du capitalisme, de découplage économique, de flambée du paupérisme, d’explosion des nationalismes chauvinistes et bellicistes, d’escalade guerrière internationale, de crises institutionnelles et civilisationnelles, de révoltes insurrectionnelles populaires menaçant la survie des régimes.
« Les BRICS vont nous sauver », tel est le nouveau credo des pays du Sud, qui prétendent bientôt détrôner la première puissance mondiale, les États-Unis. Selon les thuriféraires du nouvel ordre chimérique, la Chine s’apprêterait à devenir la locomotive de l’économie mondiale (et ce, au moment où Pékin, en plein déclin, impulse son découplage économique, opère un tournant productif et commercial autarcique, autrement dit où elle tourne le dos au reste du monde désormais plongé dans la récession).
Les tiers-mondistes jubilent : l’hégémonie américaine sera bientôt pulvérisée. Grâce à la puissance du BRICS, symbole du miracle économique, les peuples du Sud vont enfin vivre dans un monde (capitaliste) plus équilibré et équitable (comme si le capitalisme pouvait offrir une seule année sans guerre ni crise, sans misère ni détresse). Ce naïf engouement exhibé par les tiers-mondistes, au-delà d’être risible, révèle leur attachement au monde capitaliste. Car, en l’espèce, ce projet BRICS, porté par un bloc impérialiste rival, est une énième vaine tentative de refondation du monde au sein du capitalisme. Or, le capitalisme ne peut plus être refondé ni réformé. Car le capitalisme, à l’instar de l’esclavagisme et du servage anéantis, est un système d’exploitation condamné également à disparaître. Telle est l’unique mission historique dévolue à l’humble humanité exploitée et opprimée, le prolétariat : enterrer le capitalisme, devenu irrationnel, incontrôlable, génocidaire. Tout le reste, n’est que littérature ou parlature.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un ordre nouveau mais un désordre nouveau que va apporter le BRICS. Car il n’y a pas d’Ordre au sein du capitalisme par définition anarchique, fondé sur la concurrence entre entreprises et la guerre entre nations, sur fond d’exploitation salariée et d’oppression de la majorité de population par la classe capitaliste et son État. Et, corrélativement, fondé sur la concurrence de chacun contre tous les autres, le chacun pour soi, autrement dit l’individualisme forcené. Enfin, fondé sur l’insécurité économique, source de désordres criminels, autrement dit de délinquance et de criminalité.
Au vrai, pour revenir à notre sujet central, l’incrimination du seul impérialisme supposément agressif, alléguée par la propagande adverse, légitime l’enrégimentement de la population dans la guerre.
Quoi qu’il en soit, depuis un siècle, le militarisme et l’impérialisme constituent le mode de fonctionnement systématique du capitalisme ordinaire. À l’ère de l’impérialisme triomphant, tous les États sont fondés, outre sur la guerre économique, sur une économie de guerre. Plus que jamais, l’économie est au service de la guerre. Et la scandaleuse flambée des dépenses militaires en pleine crise économique et sociale vient rappeler l’irrationalité du capitalisme. Au moment où tous les budgets sociaux sont déclarés en mort cérébrale, le budget de la mort connaît une résurrection extraordinaire. Le budget militaire affiche une santé financière indécente. Depuis le début de notre siècle, c’est-à-dire en vingt ans, les dépenses militaires de tous les pays ont doublé, illustration de la militarisation des États, de l’économie de guerre dans laquelle tous les États s’embourbent. Actuellement, une grande partie du globe est en proie à des conflits armés. C’est le cas du Yémen, en guerre, dans l’indifférence générale, depuis au moins 11 ans, victime de l’agression impérialiste menée par la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite. Le Yémen déplore plus de 233.000 morts et 2,3 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë dont 400.000 risquent de mourir sans traitement, selon l’ONU. La population manque d’eau potable et de soins médicaux. L’Organisation des Nations unies (ONU) classe le Yémen comme la pire situation humanitaire au monde, avec 5 millions de Yéménites au bord de la famine. On peut citer également les guerres en Syrie, Haïti, l’Afghanistan, Mali, etc.
Dans cette phase historique marquée par l’expansion phénoménale du capitalisme d’État et l’exacerbation des tensions commerciales, la guerre est devenue le seul instrument de régulation du système économique en crise permanente. L’unique moyen employé par chaque impérialisme pour tenter de résoudre, au détriment des autres États rivaux, ses contradictions. Désormais, chaque capital national est contraint par les lois imparables du mode de production capitaliste à s’insérer dans la compétition impérialiste à son seul profit ou à la solde d’un camp puissant hégémonique. Pour se faire, l’État mobilise tous les moyens coercitifs et instruments propagandistes pour enrégimenter l’ensemble de la société au service de l’économie de guerre en vue d’affronter militairement ses rivaux économiques ou stratégiques. La guerre est devenue le pivot de la production industrielle, la variable d’ajustement du fonctionnement économique de la société. C’est la raison pour laquelle tout progrès technologique est conditionné par le militaire. Toute l’économie nationale repose sur le développement exponentiel de l’armement destiné à neutraliser les pays rivaux ou à dissuader les États concurrents menaçants. À l’ère de l’unification mondiale du commerce sur fond d’une surproduction effrénée, la guerre est devenue l’unique moyen employé par les États pour s’accaparer les marchés ou préserver leur hégémonie. Cependant, avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de déclin historique, la guerre impérialiste a perdu sa rationalité économique. La dimension géopolitique ou purement idéologique (défense de la liberté abstraite ou de la « nation ancestrale » offensée) tend à phagocyter l’intérêt proprement économique. Comme on le relève avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’agit d’une simple conquête géostratégique, arrachée au prix de destructions massives barbares. En effet, comme l’illustre l’actuel conflit militaire en Ukraine, la guerre constitue un véritable désastre socioéconomique et une hécatombe humaine. Autrement dit, dans cette guerre en Ukraine, comme la majorité des guerres impérialistes entreprises ces dernières décennies partout dans le monde, notamment par les États-Unis, les coûts dépassent largement les bénéfices tirés par les belligérants. Déjà, moralement, toute guerre est, par principe, condamnable et inacceptable. À plus forte raison à notre époque impérialiste décadente la guerre, de plus en plus « irrationnelle » du point de vue économique, devient inadmissible et révoltante. Surtout incompréhensible. Assurément, la guerre en Ukraine témoigne de l’accélération brutale du militarisme. Rappelons que le militarisme se manifeste, ces dernières décennies, par la prolifération de conflits militaires sanglants, fréquemment opérés sous la forme de guerres civiles, la manifestation d’ambitions impérialistes et la désintégration des structures étatiques : Somalie, Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Mali, etc. Sans conteste, la guerre en Ukraine illustre l’irrationalité de toute guerre impérialiste. En effet, l’actuelle guerre menée par la Russie est dénuée de toute fonction économique et intérêt stratégique. Pour preuve. Pour justifier et légitimer le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine, baptisée par euphémisme « opération militaire spéciale », la Russie a argué défendre les russophones ukrainiens. Or, elle massacre des dizaines de milliers de civils dans les régions habitées essentiellement par des russophones. Elle détruit des infrastructures et des immeubles situés principalement dans les zones russophones (toute la partie ouest contrôlée par le régime nazi de Kiev est curieusement épargnée). Où est l’amour et le respect de la Russophonie ?

Des régions russophones ?
Quand toutes les régions russophones sont transformées en champs de ruines. En charniers. Une chose est sûre, quand bien même le régime de Poutine (ce n’est pas le brave peuple russe qui fait la guerre à ses frères ukrainiens) viendrait à s’emparer du Donbass et des régions limitrophes du Sud, il conquerrait des décombres, des débris, mais, surtout, soumettrait une population meurtrie animée d’une haine inexpiable, totalement rebelle et ingouvernable. Sans oublier que la Russie subirait une débâcle stratégique dans ses ambitions d’hégémonie et une érosion de sa moyenne puissance économique régionale. Sans nul doute, avec sa politique belliciste, sa stratégie de la « terre brûlée », dépourvue de bénéfices économiques et intérêts stratégiques manifestes, la Russie illustre de manière éclatante l’irrationalité de toute guerre menée à l’ère du capitalisme impérialiste décadent. D’où la nécessité pour les peuples opprimés et le prolétariat mondial de ne pas choisir un gang capitaliste contre un autre gang capitaliste. La priorité des peuples opprimés est de défendre, non pas un camp impérialiste contre un autre, mais de défendre fermement leurs conditions de vie attaquées brutalement par les capitalistes et les gouvernants de leur pays, devenus irresponsables et dangereux.
En effet, de nos jours, l’amplification de l’irrationalité des conflits militaires se conjugue avec l’irresponsabilité et la dangerosité des nouveaux gouvernants hissés aux commandes de l’État, illustration de l’intensification du militarisme et du délitement de la gouvernance, corollaires de l’étiolement du pouvoir d’encadrement de la bourgeoisie sur ses structures politiques et ses institutions étatiques, livrées à la gabegie générale, l’incurie gouvernementale, l’amateurisme en matière d’administration, conduisant à des politiques aventuristes menaçant la stabilité et le fonctionnement de la société, voire la survie de l’Humanité. Notamment par le brandissement du recours à l’arme nucléaire, comme s’il s’agissait d’une arme inoffensive, ainsi que l’agite actuellement Poutine contre les dirigeants occidentaux, tout autant psychopathes que va-t-en-guerre, ces soudards de la politique, soulards de guerres, enivrés d’une hystérique bellicosité éthylique, addicts aux conflits impérialistes.
(A suivre…)
Khider Mesloub