Le spectre de la chute de l’Empire romain rôde autour du capitalisme

Occident

En cette période de fin d’un monde (capitaliste), mais pas du Monde, il est de la plus haute importance de se pencher sur la chute de l’Empire romain et, corrélativement, de l’esclavage, pour comprendre les mobiles du déclin du mode de production esclavagiste, qui a des résonances avec notre époque actuelle marquée par l’effondrement de l’économie, de la « civilisation» de pacotille capitaliste.

«Civilisation » la plus gadgétisée de l’Histoire de l’humanité, au sens du terme fixé par le dictionnaire, qui définit le gadget comme une chose (société) artificielle qui plaît plus par sa nouveauté et son originalité que par son utilité, tant elle brille par sa futilité, son artificielle fonctionnalité dictée, non par la satisfaction des besoins (collectifs) pérennes, mais la recherche effrénée de l’intérêt (narcissique et pécuniaire) immédiat. En d’autres termes, le gadget capitaliste, fondé sur le principe de plaisir et l’économie pulsionnelle (et non rationnelle), demeuré fixé, selon la topique freudienne, au stade anal (banal) régi, comme on le sait, par les conduites excrémentielles (morale bourgeoise fétide) où les matières fécales (l’argent) constituent le mode essentiel d’échange, n’a aucune utilité sociale étant par essence individuel, autrement dit égocentrique. Il ne vise pas l’épanouissement social de la communauté, mais la satisfaction primitive et égoïste de quelques élus richissimes, la jouissance débridée d’une minorité parasitaire accapareuse, et non la réjouissance sociale de l’ensemble de la population laborieuse.
Pour illustrer notre analyse, nous nous appuierons sur un extrait tiré du livre de Friedrich Engels, « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat ».
Afin de souligner, en matière de décadence, les similitudes avec notre époque, j’ai pris la liberté de réactualiser certaines données, mises entre parenthèses.
« Dès les derniers temps de la République, la domination des Romains avait pour but l’exploitation totale des provinces conquises ; l’Empire n’avait pas supprimé cette exploitation, mais, au contraire, il l’avait réglementée. » (À l’instar de la domination impérialiste mondiale actuelle.) « Plus l’Empire déclinait, plus les impôts et les prestations augmentaient, plus les fonctionnaires pillaient et pressuraient sans pudeur ». (Cela rappelle étrangement la dépravation des classes dirigeantes prédatrices contemporaines, responsables du renchérissement des tarifs des matières énergétiques et des produits de première nécessité, et de l’augmentation des taxes spoliatrices, cet impôt déguisé illégal et illégitime – véritable vol –, causes de la paupérisation absolue de centaines de millions de personnes, provoquée par la baisse de leur revenu général et du pillage de leur épargne).
« Le commerce et l’industrie n’avaient jamais été l’affaire des Romains dominateurs de peuples ; c’est seulement dans l’usure qu’ils avaient surpassé tout ce qui fut avant et après eux. » (Ces dernières décennies, l’Occident décadent, en voie de désindustrialisation accélérée, ne survit que par l’addiction au crédit et la spéculation boursière, c’est-à-dire la financiarisation pathologique de son économie, sur fond d’une consommation compulsive moyennant paiement à tempérament.)
« Ce qui existait et s’était maintenu en fait de commerce sombra sous les exactions des fonctionnaires ; ce qui survécut malgré tout se trouvait en Orient (aujourd’hui en Asie, notamment la Chine, Atelier du monde), dans la partie grecque de l’Empire, qui est en dehors de notre sujet. Appauvrissement général, régression du commerce, de l’artisanat, de l’art, dépeuplement, décadence des villes, retour de l’agriculture à un niveau inférieur – tel fut le résultat final de l’hégémonie mondiale romaine. » (Le constat dramatique de notre présente époque marquée par l’effondrement de l’économie, la faillite de centaines de milliers d’entreprises, la mise au chômage de millions de travailleurs, le retour à des activités archaïques sous contrat précaire. Aggravés par la désindustrialisation, dans la majorité des pays capitalistes occidentaux pourtant féministes, les emplois précaires de domesticité – aide-soignante, femme de ménage, assistante maternelle, serveuse, caissière – sont devenus les seules activités professionnelles proposées aux nouvelles générations sacrifiées, ces nouvelles femmes prolétaires du tertiaire.
Pour compléter le texte d’Engels, il est utile de rappeler que la chute de l’Empire romain s’accompagne d’une diminution de terres cultivées de 30 à 50 % selon les endroits, indice clair d’une baisse de la population dans une proportion identique : l’Italie par exemple passe de 10 millions d’habitants sous Auguste (début de notre ère) à 5 millions.
L’Empire s’effondre sous les effets conjugués de la désagrégation de l’économie et des invasions « barbares », qui envahissent aisément l’Italie en dépit du doublement des effectifs de l’armée, passée de 240.000 hommes sous Auguste à 500.000 sous Constantin le Grand – début du IVe siècle. D’aucuns, notamment au sein de la « galaxie fachosphère », soutiennent que l’Occident – l’Europe – s’effondrera sous l’assaut des invasions migratoires. Au reste, comme à notre époque décadente marquée par l’augmentation exponentielle des dépenses militaires des États payées avec l’argent des contribuables réduits, eux, à la paupérisation absolue, la plus grande partie des ressources fiscales de l’Empire romain est consacrée au budget de la défense, au détriment des autres secteurs d’activité réduits à la portion congrue. Notamment l’enseignement public, sacrifié, entraînant la disparition des lettres, des arts et de l’architecture. On assiste en effet à la régression de l’usage de l’écrit.
Dans cet Empire déclinant, seules les aristocrates peuvent encore se payer des précepteurs privés pour l’instruction de leurs progénitures, sans oublier les milieux ecclésiastiques. Du VIIème siècle jusqu’au XIème, il n’y aura plus aucun auteur laïc en Occident. De même, les routes ne sont plus entretenues ; les échanges commerciaux sont perturbés, entraînant une dépopulation des villes : Rome passe de 1 million d’habitants à 20.000 au lendemain de la chute de l’Empire – fin du Vème. Le niveau de vie de la glorieuse époque romaine – 1er et IIe siècle – ne sera retrouvé qu’au XIVe siècle. De même, avec la baisse des recettes fiscales enregistrée dès le début du Vème siècle, l’État est dans l’impossibilité de payer ses soldats, contribuant à la dislocation de l’Empire. Aussi, il n’y aura plus d’armée permanente payée par l’État avant le XVe siècle.)

Liban : préfiguration de la future société mondiale
« L’agriculture, branche de production essentielle dans tout le monde antique, l’était redevenue plus que jamais. » (Ce qui risque d’advenir prochainement : le retour forcé à la terre : c’est déjà le cas au Liban où de nombreuses personnes sont contraintes de retourner dans leur village pour s’adonner à l’agriculture. À cet égard, il est utile de souligner que le Liban, pays autrefois appelé la Suisse du Moyen-Orient, aujourd’hui précipité dans la paupérisation absolue, est en voie de se transformer en Yémen, Éthiopie, pays ravagés par la famine.
L’effondrement du système éducatif est imminent. Comme c’est le cas déjà de son système de santé sinistré. Nul doute, le Liban est la préfiguration du futur immédiat réservé à l’ensemble des pays. Nous entrevoyons à l’échelle internationale les préludes apocalyptiques de l’avenir proche avec l’exemple du Liban en proie à l’effondrement de son économie. C’est la pire crise économique au monde depuis 1850, selon la Banque mondiale. « La crise économique et financière est susceptible de se classer parmi les 10, voire les trois épisodes de crise les plus graves au niveau mondial depuis le milieu du XIXe siècle », indiquait la Banque mondiale dans un rapport publié le 1 juin 2021. Sa monnaie a perdu 90% de sa valeur, son économie s’est contractée de plus de 20% depuis 2020. « Sous réserve d’une incertitude extraordinairement élevée, le PIB réel devrait se contracter de 9,5% supplémentaires en 2021 », selon la Banque mondiale, obérant tout espoir de reprise économique. Plus de 80% des Libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté national, sans revenus, sans électricité, sans chauffage, sans eau, sans essence, sans médicaments, sans soins, sans éducation nationale, sans culture, sans possibilité de voyager faute de visa, autrement dit ils sont enterrés vivants – sort qui attend la majorité de la population mondiale, déjà largement paupérisée du fait de la contraction de ses revenus et du renchérissement des prix des matières énergétiques et produits de première nécessité. Autre phénomène observée au Liban, rappelant étrangement la débandade des armées romaines, la dislocation de l’armée libanaise en proie à une hémorragie de ses effectifs.
En effet, l’institution militaire, assaillie par la plus grave crise financière du Liban, assiste à la désertion de milliers de soldats, décampés en raison des conditions économiques désastreuses, de la modicité de leur solde – passée de 800 dollars à 20 dollars du fait de la dépréciation de la monnaie libanaise. Le gouvernement ne peut plus payer son armée. L’armée libanaise déguenillée est réduite à vivre de colis alimentaires et de soutien médical, d’assistanat. Aujourd’hui, la dévaluation monétaire a fait fondre les salaires en livres libanaises des soldats, mais également le budget de l’institution militaire, menaçant sa capacité opérationnelle. Dernier rebondissement : par crainte d’une dislocation totale de l’armée, et, corrélativement, de l’effondrement du pays, les États-Unis envisagent de verser directement les soldes à la troupe pour maintenir à flot cette institution militaire de plus en plus désertée. Le même phénomène sévit au sein de la police. En outre, nombre de soldats et policiers doivent cumuler d’autres emplois pour arrondir leur misérable salaire. Autre signe symptomatique de la régression sociale, pour ne pas dire de décadence de la société libanaise : les femmes, du fait de la cherté de la vie provoquée par l’hyperinflation, du dérèglement de leurs conditions sociales générées par l’hémorragie financière et la fuite des capitaux, n’ont plus les moyens de s’acheter des serviettes hygiéniques (passées, en fonction des marques, de 2 dollars avant la crise à 20 dollars aujourd’hui). Alors chaque mois, durant leur période menstruelle, les femmes recourent à de vieux chiffons, voire, pour les mamans, aux couches de leur bébé.) « En Italie, les immenses domaines (latifundia) qui, depuis la fin de la République, couvraient presque tout le territoire, avaient été exploités de deux façons. Soit en pâturages, où la population était remplacée par des moutons ou des bœufs, dont la garde n’exigeait que peu d’esclaves ; soit en villas, où une foule d’esclaves faisaient de l’horticulture en grand, tant pour le luxe du propriétaire que pour la vente sur les marchés urbains.
Khider Mesloub
(A suivre…)