Forces occultes à la manœuvre L’Empire vers la 3e Guerre mondiale ? (II)

La situation actuelle dans le monde ressemble beaucoup à celle prévalant à la veille de la Seconde Guerre mondiale et, dans une moindre mesure, à celle qui précédait la première. En effet, en toile de fond du conflit russo-ukrainien, on voit des forces occultes et pétries d’une idéologie belliciste et hégémonique des mondes politique, diplomatique et militaire à la manœuvre au sein de l’Empire pour pousser à une guerre totale contre la Russie, au risque d’un conflit nucléaire.
Au moment de la conférence de 1904, les Britanniques et les Américains soutiennent d’ailleurs le Japon dans sa guerre contre la Russie qui permet au Japon de soustraire la presqu’île coréenne, une partie de la Mandchourie et le sud de la presqu’ile de Sakhaline à la Russie, privant cette dernière de l’accès à l’océan Pacifique tout au long de l’année, but stratégique très «thalassocratique».

«Celui qui contrôle l’île-monde contrôle le monde»
Dans les cercles dirigeants de l’Empire britannique, une doctrine géopolitique se développe rapidement à la suite de la conférence de Mac Kinder : persuadés que «celui qui contrôle l’île-monde contrôle le monde», ils considèrent comme vital que les puissances thalassocratiques se coalisent pour affaiblir constamment les puissances continentales de l’Ile-monde et, par-dessus tout, empêcher leur jonction ou leur collaboration pouvant aboutir à terme à leur cauchemar absolu : une coalition continentale ayant une profondeur stratégique inexpugnable et des ressources inépuisables, avec une sensibilité encore plus exacerbée vis-à-vis de l’unification du «Heartland» qui correspond aux immenses plaines sibériennes, prolongées au Sud et à l’Est par les steppes de l’Asie centrale et de la Chine. Depuis le début du XXe siècle, cette doctrine a servi de soubassement à la politique de fractionnement systématique des anciens Empires intégrés d’Eurasie, selon des lignes religieuses, ethniques, linguistiques, culturelles, géographiques ou mêmes politiques (royautés contre républiques). Elle continue encore à dominer la psyché des élites anglo-saxonnes du XXIe siècle, qui lui ont rajouté le raffinement de la guerre dite de quatrième génération avec l’émiettement interne, selon les lignes de genres, d’orientations sexuelles, de sociétés civiles vs. l’Etat, etc. Et cette politique de fractionnement de l’Eurasie a historiquement eu lieu à la faveur des deux guerres mondiales et de leurs traités de paix iniques, puis de la vague de décolonisation des anciens Empires européens et, enfin, du délitement brutal de l’URSS.

Début des émiettements des Etats
En l’espace de 120 ans, les anciens ensembles intégrés de l’Eurasie cèdent le pas à des Etats beaucoup plus petits et dressés les uns contre les autres après que la haine eut été semée méthodiquement, rendant la paix ou la collaboration lointaine et l’intégration illusoire : l’Allemagne a été abattue (au prix de deux guerres mondiales), l’Empire austro-hongrois s’est émietté, les Balkans se sont balkanisés, l’Empire ottoman s’est libanisé, le Caucase s’est «confettisé», l’URSS s’est morcelée, la péninsule indienne s’est fractionnée et la péninsule indochinoise s’est démembrée. Seule la Chine est demeurée unie, bien qu’elle soit sortie très affaiblie de la semi-colonisation occidentale du XIXe siècle, puis de la colonisation japonaise brutale de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre civile qui a suivi. A la fin de ce cycle d’émiettement, en 1972, c’est dans ce même schéma de pensée que Nixon et Kissinger ont signé des accords de coopération avec la Chine communiste pour achever de l’éloigner de l’ex-URSS et pour pouvoir concentrer les efforts de l’Empire au cours des deux décennies qui ont suivi sur l’effondrement de l’URSS. La doctrine Mac Kinder et ses prolongements constituent donc la matrice stratégique de l’Empire pour assurer sa domination impitoyable sur les puissances continentales et son corollaire, empêcher leur unification par tous les moyens, de même, aucune puissance thalassocratique, considérée comme vassale, ne peut faire défection à cette ligne de conduite.

Diviser la Russie, la Chine, l’Iran
Aujourd’hui, cette doctrine est réactivée comme cadre stratégique pour diviser la Russie et la Chine et, dans une moindre mesure, l’Iran, et tuer dans l’œuf toute velléité de coopération entre l’Europe (Ouest de l’Eurasie) et l’Est souverainiste et multipolaire. Nous en avons eu une illustration récente avec la destruction des gazoducs Nord Stream reliant la Russie et l’Allemagne par une opération anglo-américaine. La doctrine de l’île-monde va également donner naissance à un second dogme, plus tactique, également mis en application durant la même période : il s’agit du contrôle des périphéries et des bordures de l’île-monde (le Rim-land) par les puissances thalassocratiques, notamment les voies de passage maritimes où circulent les matières premières stratégiques comme le pétrole, le gaz, le charbon, le fer, le cuivre, le zinc, les céréales, la viande, etc. Ce contrôle a un double but : d’une part, il s’agit de favoriser le développement de l’économie mondialisée lorsque l’Empire bénéficie des échanges (principalement les flux de matières premières des pays de la périphérie vers les centres de transformation industrielle de l’Empire et leur retour sous la forme de biens manufacturés vers les pays de la périphérie). A l’inverse, ce contrôle permet d’étouffer dans l’œuf la possibilité d’échanges directs par voie maritime entre les pays de l’ile-monde, qui risqueraient de rendre celle-ci économiquement auto-suffisante et de satelliser les puissances thalassocratiques (typiquement les ventes de pétrole du Moyen-Orient alimentant la machine industrielle chinoise). Ce dogme du contrôle va avoir deux conséquences tout au long du XXe siècle : d’une part, la mise en place par l’Empire d’Etats-clients de l’Empire dans le Golfe et au Moyen-Orient riche en pétrole et, plus tard, en gaz lors de processus de décolonisation volontaires et contrôlés et, d’autre part, un contrôle obsessionnel du chapelet de détroits et de points de passage clé sur les routes maritimes des matières premières et des marchandises entre l’Atlantique, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient, y compris par le déploiement de bases militaires avec la double fonction de points de passage pour les flux amis et de points d’étranglement des flux «ennemis». Ainsi, on peut citer, dans l’ordre de la route entre l’Europe et la Chine : le détroit du Bosphore entre la mer Noire et la mer Méditerranée sert de verrou pour les flux maritimes depuis et vers l’URSS puis la Russie via son contrôle total par la Turquie, intégrée à l’OTAN après la Seconde Guerre mondiale ; on en a une illustration parfaite actuellement avec l’application zélée par les autorités turques de la nouvelle règle édictée par l’Empire empêchant les exportations de pétrole russe via la mer Noire sur des pétroliers ne montrant pas patte blanche. Ensuite, il y a le confetti de Gibraltar, verrou de la Méditerranée vers l’Atlantique, toujours sous contrôle britannique à ce jour. Ensuite, le canal de Suez qui a fait l’objet d’une expédition en 1956 pour reprendre son contrôle à l’Egypte de Nasser et qui doit toujours rester entre des mains «amies» de l’Empire, ce qui fut assuré à nouveau avec le rapprochement de Sadate vis-à-vis des Occidentaux, dès le milieu des années 1970, ligne de conduite jamais démentie depuis lors par les dirigeants égyptiens. Ensuite, il y a le détroit de Bab El-Mandeb de 20 kilomètres de large faisant la jonction entre l’océan Indien et la mer Rouge, avec la base militaire française de Djibouti, côté africain, et le port d’Aden, côté asiatique. Le contrôle du port d’Aden est l’enjeu majeur des deux guerres «civiles» qui ont ravagé le Yémen en 50 ans, dont la dernière, en cours, implique lourdement l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis qui jouent le rôle de gendarmes régionaux de l’Empire (pour l’instant). Puis, il y a le très étroit détroit d’Ormuz qui contrôle l’accès stratégique au Golfe persique et par où transite 40% du pétrole mondial. Ce détroit a été attribué au mépris de la contiguïté géographique à Oman du Sultan Qabous, favori de la couronne britannique, plutôt qu’aux Emirats arabes unis, jugés trop indépendants pour une telle responsabilité,

Confrontation entre l’Empire et la Chine communiste et la menace Taiwan
Il y a également la création puis le développement de la place forte militaire et économique de Singapour dans le détroit de Malacca. Celle-ci est extraite à la Malaisie en 1963 au nom de la défense des intérêts de la minorité chinoise. Ensuite, le sultanat de Brunei, riche en pétrole et situé également sur des voies maritimes stratégiques, ancien protectorat britannique où les Britanniques écrasent le mouvement nationaliste et démocratique en 1962, instaurent l’état d’urgence durant 20 ans puis confient les rênes à un Sultan à l’indépendance en 1984. Ensuite, il y a bien sûr l’encerclement maritime de la Chine communiste, double ennemi géographique et idéologique de l’Empire par les reliquats d’Empire, Hong Kong et Macao, ramenés depuis dans le giron chinois à l’époque de la lune de miel avec l’Empire. Enfin, les alliés thalassocratiques de l’Empire (Philippines, Corée du Sud et Japon post-Seconde Guerre mondiale) et l’île porte-avion sanctuarisée, Taïwan ; celle-ci, jamais rendue par les Etats-Unis à la Chine, après la capitulation du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en violation complète du droit international. Au contraire, depuis que la Chine est devenue communiste en 1949 et que Taïwan a servi de sanctuaire aux troupes et partisans de Tchang Kaï-chek, défaites sur le continent, celle-ci sert de menace dans la confrontation entre l’Empire et la Chine communiste, notamment au cours des dernières années.
(Suite et fin)
Mohsen Abdelmoumen