Le forgeron, un artisan emblématique

Vieux métiers

On l’a appelé dans le langage populaire l’artisan du fer laissant supposer des qualités physiques et morales, un talent inné, une habileté dans le travail et un échange langagier acquis par expérience.
C’est un homme qui, depuis les temps anciens, avait ce privilège d’exercer un métier manuel aussi utile que celui de fellah ou de marchand. En effet, il fut un temps, celui d’avant l’ère industrielle mécanisée, où le cultivateur et le boucher ne pouvaient rien faire sans les outils que leur apprêtait le forgeron de leur région. C’était chez lui que tous les outils de production artisanale étaient fabriqués.

Un artisan au milieu des siens
On veut dire par là qu’il fut omniprésent pour le rôle essentiel qu’il exerçait et consistant à forger méticuleusement et dans le respect des formes demandées toutes sortes d’objets indispensables au travail manuel. D’ailleurs, le verbe dérivé du nom de métier en voie de disparition a acquis une valeur sémantique bien plus importante que celle qu’il avait à l’origine.
Forger, aujourd’hui, renvoie beaucoup moins aux objets en fer que le forgeron façonne qu’à n’importe quelle chose à laquelle on donne forme, au moyen d’une machine ou d’un moule moyennant un métal ou un alliage. Et par extension, on parle d’inventer ou d’imaginer quelque chose d’abstrait mais d’essentiel pour la nature humaine comme un alibi, une personnalité, une argumentation convaincante. Ne dit-on pas communément et dans tous les contextes socioculturels que c’est en forgeant qu’on devient forgeron ? Et si le forgeron était adulé par les siens, c’était par rapport à sa moralité et à sa compétence artisanale acquise en donnant durant des décennies des coups de marteau retentissants mais magiquement fructueux, puisqu’il en sortait des hachettes, binettes, pioches, socs de charrue, couteaux et autres armes.

Peut-on parler d’artisan polyvalent ?
Indéniablement il l’est, au vu de sa facilité à exercer par exemple le métier de serrurier. Malheureusement, cette improvisation s’est fait une fois au profit d’une bande de voleurs très astucieux. Ils avaient amené à un forgeron la marque exacte d’une entrée de clef de serrure ancienne pour entrer sans casser la porte dans un établissement public où les voleurs avaient repéré des objets de valeur. Il a suffi d’un jour pour que l’artisan forge la clef devant correspondre à l’authentique puisqu’elle a permis aux voleurs d’ouvrir la porte qui donne accès à des denrées dont les voleurs avaient rempli des sacs entiers. Une histoire malencontreuse à ne pas renouveler, car les vrais forgerons sont honnêtes et travaillent au service des autres. On a parlé de l’un d’entre eux qui s’est improvisé boucher le matin et forgeron l’après-midi dans un village en voie de dépeuplement. On a vu aussi maints forgerons exerçant le métier de maréchal ferrant sur la place des marchés traditionnels ou chez eux pour rendre service à des paysans qui n’arrivent pas à ferrer leurs bêtes de somme, ce métier de étant aussi en voie de disparition.
Et que d’anecdotes drôles nous a-t-on rapportées sur les forgerons ! L’un d’eux travaillait pendant une dizaine d’années avec son fils âgé d’à peine dix-huit ans. Ils battaient le fer tous les deux, chacun de son côté sur une grande enclume. Mais, une fois par inadvertance, le fils n’avait pas touché la pièce à forger, il l’avait ratée de près. Et que fit-il ? Il lâcha le lourd marteau et prit la fuite à travers champs. Le père courut derrière lui, malgré son âge avancé, le suppliant de s’arrêter en lui expliquant que pareille faute était courante. Après un grand effort, il le rattrapa. Les deux exténués tombèrent à terre. Et le père dit au fils : «Maintenant, tu vas me porter sur ton dos jusqu’à la maison». Ce que fit le fils sans discuter pour se faire pardonner.
Abed Boumediene