Prospectives La menace ne vient pas du voisin chérifien, mais du lointain empire élyséen et otanien

La prospective a pour dessein d’anticiper au mieux les évolutions de la société. Néanmoins, elle n’a pas la prétention de prédire l’avenir. Elle vise seulement à éclairer les choix stratégiques du présent. Son objectif est de réaliser des diagnostics, d’élaborer des scénarios sur l’évolution de la société, les mutations géostratégiques futures, sur la base de multiples variables.
L’étude prospective est une réflexion visant à répondre à un ensemble d’interrogations sensibles d’une actualité brûlante. Elle consiste à identifier différents scénarios des avenirs potentiels, des futurs possibles, à imaginer des situations inédites diversifiées et contrastées, voire indésirables afin d’améliorer ainsi la visibilité du futur et d’apporter des outillages analytiques propices à l’élaboration de décisions stratégiques. Par ses explorations élargies, la prospective se différencie de la prévision et de la planification. C’est dans ce cadre prospectif que s’inscrit notre analyse.
« L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant », dixit René Char. Autrement dit, l’insignifiant vient parasiter et dévoyer l’essentiel de l’existence menaçante. Ou l’existence de l’essentielle menace. « Un ennemi invisible est pire qu’un ennemi qu’on voit ». Et si l’ennemi apparaît invisible, c’est en raison de notre aveuglement politique, cécité analytique.
Contrairement aux élucubrations de nombreux analystes toujours prompts à suspecter le Maroc coupable, selon ces experts autoproclamés, de velléités guerrières contre l’Algérie, la menace ne vient pas de ce côté-là de la frontière. De ce voisin chérifien.
C’est même accorder à cette déliquescente monarchie trop d’honneur en la gratifiant de pouvoir de nuisance infaillible, de capacité de destruction imparable. En effet, le Maroc, pays semi-féodal semi-colonisé, embourbé dans une récession économique et une crise de légitimité institutionnelle, dépourvu d’une armée puissante susceptible de mener une guerre moderne, ne représente en fait aucun danger pour l’Algérie. Et son alliance avec Israël ne révèle pas d’une politique diplomatique à visées géopolitiques ou géostratégiques. Elle est bassement motivée par des considérations d’ordre intérieur, c’est-à-dire pour tenter de sauver la monarchie chérifienne menacée d’implosion. L’entité sioniste est le dernier rempart du Makhzen. Les sionistes israéliens, réputés pour leurs compétences en matière de maintien de l’ordre et de répressions contre les Palestiniens, ont été recrutés en qualité d’agents de sécurité pour assurer (vainement) la pérennité du royaume chérifien menacé de l’intérieur par une population marocaine paupérisée de plus en plus frondeuse.
En dépit des rodomontades bellicistes de ses narco-dirigeants et de ses serviles journalistes va-t-en-guerre, le Maroc ne dispose pas de forces armées performantes pour se lancer dans une suicidaire guerre contre l’Algérie. L’État marocain est tout juste capable de mener des opérations de maintien de l’ordre contre la population sahraouie déshéritée et désarmée, de faire régner la terreur dans le territoire occupé sahraoui, notamment par sa police haillonneuse et des bandes de civils déguenillés armés.
Au reste, les gesticulations bellicistes actuelles de la monarchie anachronique moribonde visent en vérité à occulter la fragilité d’un régime aux abois. Et les récurrentes interventions militaires contre le Sahara occidental (dernier vestige, avec la Palestine, colonial) ont pour unique dessein de détourner l’attention des masses populaires miséreuses marocaines, mobilisées ces dernières années dans de multiples révoltes sociales contre le royaume chérifien, qui chérit bien ses nouveaux partenaires sionistes, ces garde-corps dragués pour se mettre sous leur virile protection. Pour éteindre les brasiers incendiaires des revendications sociales du peuple marocain paupérisé, le régime despotique colonial allume fréquemment un feu nationaliste plus festif pour enflammer la fibre patriotique marocaine ternie par la crise économique, la répression policière et la normalisation de ses relations avec Israël. Ainsi, la population misérable marocaine est-elle appelée régulièrement à communier avec ferveur en faveur des exaltations chauvines et des manœuvres impérialistes chérifiennes dirigées contre le Sahara occidental. Cette exhibition ostentatoire de la force ressemble à s’y méprendre à une farce. Cette fébrilité de la diplomatie marocaine, illustrée par la célébration de ses noces voluptueuses avec l’État (l’étalon) sioniste, s’apparente à une danse du ventre, tout juste bonne à exciter la concupiscence des partenaires plénipotentiaires. Activités voluptueuses dans lesquelles excelle la monarchie touristique libidineuse.
Nul doute, dans l’éventualité d’une opération militaire dirigée contre l’Algérie, il est improbable que la population marocaine maintienne sa fidélité et son soutien au régime chérifien, amplement discrédité depuis la normalisation de ses relations avec l’entité sioniste. Le peuple marocain ne cautionnera jamais une telle entreprise militaire dirigée contre ses frères algériens. Non seulement il se désolidarisera du régime chérifien dictatorial par une mobilisation massive contre la guerre, mais il saisira cette opportunité pour abattre définitivement l’anachronique monarchie moyenâgeuse, déjà contestée par d’incessantes manifestations qui s’en prennent non seulement au gouvernement mais également au roi. Régulièrement, à chaque révolte sociale, le Makhzen est directement vilipendé et sa déchéance réclamée.
À focaliser les projecteurs médiatiques alarmistes sur ce pays semi-féodal, on lui prête, et une influence politique immotivée et une puissance militaire imméritée. On peut conjecturer que la survie du régime monarchique est en sursis, sa disparition imminente, sous l’effet conjugué de la crise économique, de la paupérisation généralisée de la population marocaine, de l’insurrection populaire. De surcroît, le Makhzen se jette dans les bras (sous les draps) de son nouveau partenaire sioniste au moment où celui-ci est impuissant, frappé d’une frigidité institutionnelle insurmontable. Ne pas perdre de vue qu’Israël est également menacé d’implosion. Israël est en sursis. Sa disparition est inéluctable. Deux régimes anachroniques aux abois réduits à aboyer car l’Histoire s’apprête à les broyer. Leurs aboiements n’illustrent pas la force de deux colosses militaires près à mordre, mais dévoilent les râles de deux cadavres étatiques agonisants.
En réalité, la menace d’invasion de l’Algérie viendrait de l’autre rive de la méditerranée, plus précisément de la France. En effet, la France, pour d’évidentes motivations géostratégiques primordiales et vitales, avec l’appui de l’OTAN, n’hésitera pas à envahir de nouveau l’Algérie. Cette conquête se fera même avec la complicité d’une certaine élite algérienne établie à l’étranger ou tapie à l’intérieur du pays. Je m’explique.
Récession et tensions internationales mondiales obligent, à l’instar de tous les pays, avec l’accélération et l’approfondissement de la crise économique et la dégradation des conditions de vie, l’Algérie va inévitablement être confrontée à des tensions sociales. En absence d’amélioration notable de la situation économique du pays, ces tensions sociales revêtiront inéluctablement un caractère contestataire radical.
Au plan géostratégique, nul n’ignore l’aggravation des tensions entre la France et l’Algérie. On se souvient comment le président français avait en 2021 provoqué le gouvernement algérien par ses déclarations incendiaires. Macron avait accusé « le système politico-militaire algérien d’entretenir une rente mémorielle en servant à son peuple une histoire officielle qui ne s’appuie pas sur des vérités mais sur un discours qui repose sur une haine de la France ». Selon le journal Le Monde, Macron avait également affirmé que « la construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question (…) ». Traduction : l’Algérie est une création de la France, l’œuvre de la France, donc l’Algérie reviendrait à ses fondateurs, ses légitimes propriétaires, y compris par la force.
En tout cas, les relations entre la France et l’Algérie ne cessent de se dégrader. En particulier depuis le renforcement du partenariat entre l’Algérie et la Russie, pays « paria » menacé de destruction totale par l’OTAN qu’il lui livre une guerre de proxy et d’attrition.
C’est dans ce contexte de tensions internationales marquées par la guerre russo-ukrainienne et la crise énergétique que l’OTAN a publié récemment un rapport « secret ». Ce document confidentiel de l’OTAN, révélé par le site d’information américain Business Insider et relayé par l’agence Ecofin, qualifie à dessein l’Algérie de « risque pour la sécurité de l’Europe ». La menace d’une intervention contre l’Algérie est implicitement évoquée dans un passage du rapport : « la sécurité énergétique est considérée depuis de nombreuses années comme un facteur important en matière de politique étrangère et de sécurité, au sein de l’OTAN ». L’OTAN craint que l’Algérie, à l’instar de la Russie, « utilise ses livraisons de gaz aux pays d’Europe du Sud comme une arme géopolitique, ce qui représenterait un risque pour la résilience politique et économique de l’Europe et à long terme, menacerait le statut de l’Algérie en tant que fournisseur d’énergie pour l’Europe ». La véridicité de cette menace qui pèse sur l’Algérie est également appuyée par un autre rapport de l’assureur Allianz Trade qui classe l’Algérie parmi les dix pays « à fort risque de tensions sociales à cause de la crise alimentaire ». Une chose est sûre, l’Algérie est explicitement ciblée par l’OTAN, notamment en raison de ses liens privilégiés avec la Russie et la Chine, de sa coopération technique et militaire avec ces deux pays, dorénavant hissés en puissances ennemies à abattre.
Par ailleurs, au plan intérieur, à la faveur de cette crise économique et instabilité institutionnelle, les mouvements identitaires, islamistes et sécessionnistes vont s’enhardir et s’engouffrer dans cette brèche pour se livrer à des surenchères revendicatives déraisonnables déstabilisatrices. Il faut surtout redouter la prolifération de mouvements séparatistes. À cet égard, force est de relever que, contrairement à l’opinion communément partagée par tous les Algériens, le séparatisme le plus périlleux ne vient pas de la Kabylie, qui ne recèle aucune richesse. Mais du Sud-Algérien, région pétrolifère, nourricière de l’Algérie.
Sans conteste, l’intensification des révoltes sociales et la prolifération des mouvements autonomistes vont inexorablement menacer la stabilité du pays. Entraînant immanquablement la dislocation de l’État algérien.
Dans un tel contexte social apocalyptique, par instinct de survie, de nombreux Algériens chercheront refuge dans des pays sûrs. Avec l’importante communauté algérienne établie en France et dans les pays européens, chiffrée en millions, la tentation pour chacun de ces membres de sauver leurs proches installés dans cette Algérie en pleine déliquescence est évidente, surtout naturelle. À la fois pour neutraliser cette « invasion » et, essentiellement, prévenir la sécession du Sud algérien susceptible de tomber aux mains d’une nouvelle classe dirigeante indépendantiste favorisant les intérêts d’un autre pays rival (Russie ? Chine ?), la France renouera avec sa politique colonialiste. Elle n’hésitera pas à lancer une intervention militaire contre l’Algérie pour obvier cette tragique perspective. Pour assoir sa domination, la France ne ménagera pas ses efforts militaires en vue d’installer un pouvoir entièrement inféodé à ses intérêts. Somme toute, la France se chargera, en gendarme de l’Europe otanienne, de rétablir l’ordre et de préserver ses intérêts économiques, même au prix d’une intervention militaire coûteuse. Pour autant, elle n’aura pas d’autre choix que de devoir pacifier le pays, quitte à sacrifier des milliers d’Algériens enrôlés dans les rébellions ou la résistance.
De surcroît, pour réussir cette entreprise de sauvegarde de ses intérêts, la France sera contrainte de mettre en œuvre un plan de développement économique opérationnel (équivalent du Plan Marshall) afin de remettre la société algérienne sur les rails de la normalité institutionnelle et sociale, évitant ainsi l’exode de millions d’Algériens vers la France, les pays d’Europe, hantise de ces pays. Certes, il s’agit d’une analyse géostratégique iconoclastique, d’une thèse personnelle de prospective. Mais à méditer collectivement avec attention.
Khider Mesloub