La chèvre, un animal victime d’une ségrégation

Histoires légendaires

Décidément, cet animal n’a pas fini de faire parler de lui, tant il a beaucoup apporté à l’homme depuis la nuit des temps dans l’ingratitude générale.
La chèvre pour les pays qui en font un élevage intensif évoque le lait extrêmement apprécié pour sa valeur nutritive, son fromage recherché et dont la particularité est d’être varié. Ce qui fait penser à une immense diversité de races caprines, à travers le monde.
Des chèvres on en trouve presque dans tous les pays mais elles ne sont pas les mêmes. Il y en a à longues cornes, sans cornes, à barbichettes, à poils longs et doux au toucher, à grosses ou à petites mamelles. Il paraît que parmi des centaines de races, la meilleure c’est la Maltaise et nos aînés nous en ont parlés. Et l’originalité est telle que la chèvre a des cousins dans la jungle, le bouquetin qui est une copie conforme de ses lointaines ancêtres qui se sont laissés domestiquer par l’homme.

Un animal écologique
C’est pourquoi on n’a pas le droit de la bouder ou de lui jeter des pierres comme le font les bergers de chez nous qui ne cessent pas de l’effrayer et de lui laisser des marques indélébiles sur la peau dont les multiples usages ont depuis la nuit des temps répondu aux besoins de l’homme qui en retour, n’a jamais sur lui témoigné toute la reconnaissance qu’il lui doit. Tout d’abord, c’est grâce à la chèvre que les incendies se réduisent, en boutant, elle avale toutes les plantes sauvages qui traînent sur le sol et pour peu qu’elles soient nombreuses, elles font un travail de nettoyage considérable, car elles sont insatiables.
Dommage que nos anciens fellahs n’aient pas été partisans du nombre de bêtes, ce qui leur aurait donné l’idée de faire du fromage. Même les crottes de chèvres avaient une vertu, celles de rendre fertile une terre. C’était un engrais naturel fortement apprécié et comme le nombre de caprins était limité, la petite quantité d’excréments se retrouvait dans les pots ou les carrés réservés à la culture des plantes aromatiques comme le basilic, la menthe, la coriandre. Aujourd’hui, avec le recul, on se demande pourquoi nos anciens n’étaient pas partisans ou n’avaient pas la culture du nombre de chèvres comme cela se faisait pour les moutons et les brebis. Des personnes âgées que nous avons pris soin d’interroger sur l’élevage des chèvres nous confirmé cette information que nous avons eue, à savoir qu’on n’aimait pas beaucoup les chèvres qui, pourtant fournissent un lait bien meilleur à celui de la brebis et de la vache à condition qu’on l’alimente bien en lui faisant faire de vastes terrains de parcours dont elles débarrassent le sol de toutes les plantes sauvages. Quel service sont-elles capables de rendre à l’homme !

Des traditions anciennes à l’insouciance d’aujourd’hui
Aujourd’hui, il faut aller loin dans les régions rurales ou semi rurales, pour rencontrer des caprins. De temps à autre, des boucs apparaissent en tête de troupeaux de moutons. Les moutons, on souhaite en avoir au maximum, ou les milliards qu’ils peuvent rapporter à la veille de l’Aïd el-Adha. Ainsi va la vie où chacun essaie de profiter des convictions des autres. Pourtant que de légendes anciennes, d’histoires de famille souvent admirables nous sont rapportées à propos de la chèvre. Reconnue comme étant un animal attachant, doux, obéissant malgré ses coups de cornes qui lui servent d’armes de défense, la chèvre a élu domicile même là où on ne peut pas imaginer sa présence. Le commerçant comme le maître d’école ou le maçon peuvent avoir une ou deux chèvres pour avoir un lait frais chaque matin. C’est le cas d’un retraité de France qui en possède une, de race laitière et qu’il laisse paître en toute liberté. « Quand elle est repue, le soir, elle rentre seule à la maison et dès le lendemain à l’aube elle donne un lait si abondant qu’on en offre presque un livre à mon frère aîné pourtant attaché à la terre agricole et qui n’a jamais élevé une chèvre », dit-il, dans son témoignage riche d’enseignements. On n’a pas d’histoires très anciennes qui relateraient la vie d’il y a quelques siècles, mais nous savons par toponymes ou légendes et fables interposés qu’il y a eu jadis des chèvres. Les Turcs qui ont construit Djamaâ Ketchaoua, avaient choisi un plateau herbeux appelé jadis « plateau aux chèvres », c’était là qu’on trouvait le meilleur pâturage et qu’on y faisait venir les chèvres peut-être même avant la construction de la Casbah sur des nappes phréatiques. Parmi les animaux carnivores de la forêt, le chacal fait de la chèvre sa proie préférée. Aussi, que d’histoires abondent dans ce domaine. On raconte par exemple dans la tradition orale qu’un chacal avait fait d’une chèvre son amie intime, sans lui avoir dit qu’il avait l’intention de la dévorer un jour. Et lorsque le moment d’en faire un festin arriva le chacal lui trouva tous les prétextes possibles pour la manger. Et une fois, c’était avant se jeter sur son cou pour l’étrangler, il l’accusa de faire trop de poussière en marchant. Pourtant la chèvre marchait loin derrière le chacal.
De cette fable populaire, « la chèvre et le chacal » inventée pour instruire les hommes, nous passons à une histoire vécue. Il s’agit d’un cultivateur qui avait eu lors d’une visite dans un champ, la curieuse idée de ramener chez lui le petit d’une femelle chacal. Il l’avait nourri en biberon avec le lait de sa chèvre laitière. Et une fois capable de marcher, le petit chacal commença à suivre son maître partout où il allait. Ce dernier crut vraiment à une domestication miraculeuse, mais il déchanta au bout de quelques jours.
Le petit devint assez fort et d’une taille normale si bien qu’après des essais infructueux, il sauta sur la chèvre qui l’avait nourri pour la prendre par le cou comme le font tous les animaux de la jungle à toutes leurs proies. Et comme Dieu ne voulut pas du malheur de la chèvre, le maître ouvrit la porte de la petite bergerie et attrapa en flagrant délit l’animal qu’il avait cru avoir domestiqué. Il alla chercher son fusil et l’abattit sans état d’âme en lui disant : « puisque tu as le comportement de tes ancêtres, je te fais subir le sort que tu mérites ».
Abed Boumediene