Le tiers-monde peut prolonger son dodo

L’Occident a bon dos

L’Occident a bon dos ! On peut, à bon compte, le rendre comptable de tous les crimes perpétrés dans le monde, l’accabler de tous les péchés. Particulièrement aux heures sombres de l’histoire. Notamment à notre époque sinistre, dans cette conjoncture contemporaine où les pays du Sud ou du tiers-monde sont confrontés à une crise multidimensionnelle.La « bouc-émissairisation » va bon train. Chaque pays du tiers-monde, pour se dédouaner de sa gabegie et son impéritie, incrimine l’Occident. Chaque pays du tiers-monde, confronté à la crise économique et politique, s’absout de sa responsabilité.
Tous les États du tiers-monde, instrument des intérêts privés géré par les multinationales mafieuses ou puissances étatiques impérialistes, en proie à la paupérisation généralisée, pour justifier la dégradation des conditions de vie de leurs populations respectives (et certainement pas respectueuses à leurs yeux), accusent l’Occident d’être responsable de leur sous-développement.
Chaque gouvernement du tiers-monde, réduit aujourd’hui à sa simple fonction répressive dans cette phase économique dépressive, s’exonère de sa responsabilité dans l’aggravation de la crise et la pérennisation du sous-développement.
Pour justifier la léthargie de leur économie, les gouvernants réveillent les démons de la médisance anti-occidentale. Or, la médisance est fille de l’oisiveté. Pour des pays pauvres envieux, rien d’étonnant. Le médisant, pour s’exonérer de la responsabilité de l’échec de sa vie, impute systématiquement le tort aux autres. En tout cas, la médisance induit la propagation de l’aversion et de la haine, ces deux sources du racisme. « La médisance est l’avoine des esprits poussifs », des pays qui peinent à avancer. Des pays cantonnés à la politique de la procréation, de la procrastination. Mais jamais à celle de la création économique et de la fabrication industrielle. Les gouvernants des pays du tiers-monde distillent machiavéliquement cette propagande : l’ennemi extérieur est partout, mais l’ennemi intérieur n’est nulle part. Encore moins au sommet de l’État, dans les sphères du pouvoir. Or, « Il est temps que les victimes s’avisent qu’en rejetant sur les autres la responsabilité du sort qui les afflige ils renoncent à leurs capacités de s’affranchir. »
Ces États du tiers-monde en banqueroute et leurs élites en déroute déroulent le même narratif idéologique nationaliste et populiste, assaisonné d’un anti-occidentalisme primaire. Y compris les intellectuels organiques (sociologues, philosophes, experts), officiant au service de leur État respectif (mais nullement respectable), s’attellent servilement à cette basse besogne d’embrigadement idéologique menée à l’endroit des masses populaires en vue de les arrimer et les asservir davantage à leurs potentats inamovibles.
Aussi, ces dernières années, à force de matraquages médiatiques, de maquillage de la réalité, de maquignonnage de leurs « connaissances » vénales, ces plumitifs de service, dont la fonction essentielle est de s’employer à manipuler l’opinion publique en faveur des pouvoirs constitués, ont-ils provisoirement réussi, par leur entreprise de conditionnement mental favorisée par la servile corporation maffieuse médiatique, à enchaîner les populations à leurs gouvernants.
À cautionner par cécité et complicité les pires mesures économiques dévastatrices, les pires attaques antisociales, les pires lois liberticides décrétées par l’État.
À soutenir les politiques belliqueuses de leur État, un État par ailleurs en passe de fourbir ses armes idéologiques et sécuritaires en vue de la prochaine opération de pacification pour neutraliser le turbulent ennemi intérieur, et en vue des conflits impérialistes internationaux.
À justifier son armement outrancièrement indécent eu égard à la misère de l’immense majorité de sa population précipitée aujourd’hui dans la paupérisation absolue. À couvrir ses entreprises idéologiques d’endoctrinement nationalistes et réactionnaires. À légitimer sa domination dictatoriale sur le pays. À seconder l’État (ce Léviathan des intérêts privés des possédants, affecté désormais exclusivement aux fonctions de la privation des libertés des citoyens et de la défense de l’ordre social vacillant des dominants), dans sa manœuvre d’obtention de l’adhésion des masses opprimées à ses politiques violemment antisociales et liberticides.
À absoudre ses sanglantes répressions exercées contre sa population par ses forces de l’ordre. À occulter son rôle au service des dominants, les puissances impérialistes actuellement en proie à des tensions commerciales exacerbées, préludes aux conflits armés généralisés. En résumé, à entretenir l’illusion de la neutralité de l’État prétendument au service de toute la société, des intérêts généraux des « citoyens ». En réalité, de nos jours, par ses fonctions intrinsèquement oppressives et répressives, l’État, ce valet des banques et des multinationales, est au service de la classe dominante. Dorénavant, « les mains de l’État ne manipulent que l’argent, la matraque et le mensonge ». En outre, contrairement à ce qu’on croit, dans cet univers dominé par le capitalisme mondialisé, béatement idéalisé et religieusement divinisé, les pays sont tous potentiellement impérialistes. Ils sont tous portés par la même logique impérialiste. Particulièrement dans cette période de crise économique aiguë et de conflits armés généralisés. Chaque pays, grand ou petit, est enclin à envahir un autre pays plus faible (le Vietnam a envahi le Cambodge, l’Irak a envahi le Koweït, la Turquie s’est livrée à des incursions en Syrie, en Libye, l’Egypte en Libye, Israël en Cisjordanie, et les pays d’Afrique de l’ouest s’apprêtent sans vergogne, à la manière impérialiste occidentale, à intervenir au Niger) pour résoudre à sa manière les contradictions de classes, le besoin de capital et d’espace vital, mais aussi pour détourner son peuple de ses préoccupations socioéconomiques vitales et l’entraîner dans des occupations belliqueuses et militaires.
La résurgence du nationalisme et du populisme ne s’explique pas autrement que par les menées guerrières actuelles et futures. Chaque État blinde idéologiquement sa population pour la préparer aux confrontations armées, aux interventions impérialistes. Et l’augmentation exponentielle des dépenses militaires dans tous les pays du tiers-monde nous conforte amplement dans notre analyse. Les budgets de l’armement explosent au même rythme que les conditions de vie des peuples implosent. Certes, le capital se livre une guerre économique inter-impérialiste exacerbée. Mais la guerre qu’il mène aujourd’hui aux prolétaires par la dégradation de leurs conditions de vie est encore plus cruelle et sanglante. Et le premier à conduire cette guerre sociale contre les prolétaires, c’est l’État, c’est-à-dire le gouvernement national, succursale du capital mondial. En effet, chaque État (des riches) fait intégralement partie du gouvernement capitaliste mondial. Chaque décision économique est l’émanation directe de la direction collégiale du capital financier international. Autrement dit de la bourgeoisie mondialisée. Au reste, dans cette phase de domination despotique impérialiste, l’indépendance économique et politique est une illusion, une imposture. À plus forte raison dans les pays du tiers-monde inféodés à un camp impérialiste (occidental ou oriental : G7-OTAN ou BRICS-OCS). Intégré dans une économie capitaliste mondialisée, chaque État est confronté aux mêmes enjeux de l’offre et de la demande, de basculements des orientations géostratégiques internationales, voire des renversements d’alliances, en œuvre dans tous les pays secoués par ailleurs par des tensions politiques internes, dévastés par une crise économique systémique et une instabilité institutionnelle chronique, submergés par des soulèvements sociaux de leur population affamée.
Dans le système capitaliste contemporain mondialisé et interdépendant, la marge de manœuvre en matière de développement économique est fortement limitée, restreinte. L’indépendance politique de chaque État, obérée.
Aujourd’hui, dans cette période de crise sociale et économique, où chaque État a prouvé son impuissance à assurer la prospérité de sa population, plus que jamais aucun État ne mérite la confiance. Une chose est sûre : jamais dans l’histoire contemporaine, les pays du tiers-monde n’ont été gouvernés par des dirigeants aussi irresponsables que dangereux, aussi incapables qu’inutiles, aussi farfelus qu’insignifiants, aussi incultes qu’immatures, aussi amateurs que déficients mentaux, aussi pervers que cyniques. Jamais les gouvernants n’ont sabordé leur pays avec autant de cynisme, au nom de la raison irrationnelle économique capitaliste soucieuse exclusivement de la valorisation du capital, occupée uniquement à œuvrer à sacrifier tous les « acquis » sociaux, exception faite des richesses frauduleusement conquises par les dirigeants, toujours insuffisants, selon ces requins de la finance, adorateurs du billet vert (et non du Livre Vert, pour ce qui est des potentats des pays musulmans).
Au vrai, dans les pays du tiers-monde, les gouvernants, à divers titres et à différents échelons, ont beau incriminer l’Occident, ils sont tous responsables de la misère, des famines, de la crise économique, du chômage, du délitement des liens sociaux, de la déliquescence des valeurs morales, de la décomposition de la société, de l’explosion de la délinquance et de l’insécurité, des exodes massifs, de l’émigration.
Dans ces pays du tiers-monde, les puissants despotes politiques et affairistes infligent leur dictature tentaculaire, leur démocratie totalitaire ou caporalisée esthétisée par des mascarades électorales racoleuses. Cela étant, ces gouvernants n’ont jamais été autant unis et solidaires dans leur détermination à dicter les mêmes mesures d’austérité, décréter des réformes inhumaines, instaurer des lois liberticides. Dans le même temps, les prolétaires n’ont jamais été autant désunis et divisés dans leur combat pour riposter aux attaques dirigées contre leurs conditions de vie ou plutôt de survie.Les prolétaires des pays du tiers-monde semblent soumis à la résignation et résignés à la soumission, confinés dans leur servitude volontaire et volontairement asservis au confinement existentiel misérable, nourri de ressentiments anti-occidentaux. Cet Occident, parangon et compère des potentats des pays tiers-mondistes, mais livré comme bouc émissaire commode à la vindicte populeuse de leurs populations, en guise d’os à ronger, pour s’épargner leurs morsures politiques subversives, leurs assauts insurrectionnels, leur ultime sursaut révolutionnaire.
Khider Mesloub