Stephen King : «L’intelligence artificielle ne me fait pas peur»

Littérature

Quand le roi de l’horreur parle d’avoir peur, le mieux reste de l’écouter attentivement. Dans un texte diffusé par The Atlantic, le King répond à deux problématiques. La première découle de ce que l’intelligence artificielle a recours à ses écrits pour s’améliorer.
La seconde, qu’elle représenterait une authentique menace pour les créateurs.

Si tout a déjà été écrit, qu’attendre d’une machine qui malaxe la matière de centaines de milliers de livres, pour rendre sa copie ? Entraînée avec des corpus d’ouvrages, la machine n’invente donc rien : elle se borne à ruminer des mots et des structures de phrases, en bovin cybernétique. Et si elle ne relâche pas de méthane, son incidence sur le réchauffement climatique n’en demeure pas moins tragique : probablement est-il pire encore.

Créativité et IA
Ayant récemment découvert, comme nombre d’auteurs, que les IA puisent dans ses ouvrages pour exister, Stephen King s’est fendu d’une délicate analyse. Substantiellement résumable par : « Rien à foutre. « Ou plus sérieusement : « Même pas peur. « Car notre modernité a déjà amplement développé les outils qui conduisent à cette nouvelle évolution technique. King a toujours affirmé qu’un auteur, avant d’écrire, devait lire. Beaucoup. Des tonnes. L’analogie est frappante : la machine « lit « avant d’écrire. Et ce, à des niveaux quantitativement stratosphériques : plus qu’aucun humain n’absorberait dans une vie — ou même deux.
«Les poèmes de l’IA imitant le style de William Blake ou de William Carlos Williams (j’ai regardé les deux), ressemblent à s’y méprendre aux blockbusters du cinéma : bons, à première vue, moins, à y regarder de plus près. « De Galatée au monstre de Frankenstein, l’humanité a déjà pris goût à ces histoires de créations mettant en péril leur humain créateur. Pour King, nous en sommes loin. De même que toute tentative de lutter est dérisoire.
Et d’exprimer un scepticisme réel à l’idée que les machines développent cette sensibilité indissociable de la créativité. À ce titre, interdire l’utilisation de ses œuvres aux IA relève de l’ineptie. Autant jouer au gentil Breton qui tente de vider la mer avec sa petite cuillère. « Je pourrais tout aussi bien me prendre pour le roi Canut, et interdire à la mer de monter «, résume King.

Art et technologie
Son argument tient en une fragile démonstration, mais que n’aurait pas renié Pascal : la créativité humaine, c’est le roseau pensant. Elle plie, mais ne casse pas. De fait, elle se plie à l’usage technologique, mais garde un temps d’avance : elle ne peut que recréer à partir de ce qui a été. Fallacieux ? De fait, s’il faut avoir lu avant d’écrire (bien ou mal, c’est une autre affaire), le schéma présenté s’appliquerait à l’auteur qui s’inspire avant de trouver sa voix — sa voie, même, sans qu’on ait besoin de lui trancher la tête. King dévoile ainsi une séquence de son prochain roman, à paraître en septembre : Holly. Dans ce dernier, un personnage surgit et tire une balle qui se loge dans la nuque d’un autre. Sauf que, cliffhanger oblige : le tueur retourne le corps supposé sans vie de sa victime. Non seulement la balle n’est pas sortie, mais elle a laissé une petite bosse sur le front.
Au moment de l’écriture, Stephen King indique qu’il avait une image en tête, sans direction précise. Le meurtrier de son histoire sera hanté par cette boursouflure. « Voilà un pur moment de créativité : être dans l’histoire et percevoir ce que le tueur a vu. Ce fut une révélation. Une machine aurait-elle conçu cette situation ? ».
Peut-être pas demain, mais après-demain, qui sait ? Pas même : pour King, les machines d’aujourd’hui manquent de cette fibre qui les rendrait véritablement maîtresses de nouvelles œuvres. Sans pour autant verser dans la prédiction hasardeuse. Un jour ou l’autre, la technologie générera un art, qui sera tout à la fois effrayant et étrangement humain. Les actuels algorithmes ont tout du mort vivant, marionnettes guidées par une série de calculs : certes, et c’est déplorable, des millions de livres, d’articles, d’essais, de scénarios, protégés par le droit d’auteur, servent quotidiennement à l’enrichissement de ces machines. Google Books fut le premier d’une longue lignée.
Mais il y a loin, de la coupe aux lèvres (ou aux livres), avant qu’elles fassent plus qu’imiter.
C. S.