La gouvernance par la terreur (II)

Après le règne par la peur

Les classes régnantes ont toujours gouverné par la peur. Le règne de la peur est l’arme des puissants. Pour régner les classes dominantes œuvrent en permanence pour garder le «peuple» sous tension afin de le déstabiliser, le démoraliser. Donc le maintenir dans l’assujettissement. La peur est le principal ressort de toute gouvernance.

Ainsi, il aura suffi de l’irruption d’un virus énigmatique, instrumentalisé par les gouvernants en proie au prurit du despotisme, pour briser l’ardeur pugnace des millions d’activistes fugaces, pour susciter un climat apocalyptique entretenu complaisamment par les puissants, impatients de prendre leur revanche par la psychose exercée contre le prolétariat frondeur, cet «animal féroce» qui avait osé perturber la tranquillité de leur règne prédateur.

La terreur est inhérente à la contemporaine bourgeoisie mondialisée psychopathe
Cependant, devant l’échec de cette entreprise de soumission totalitaire, dans la majorité des pays en proie à une crise systémique, à l’épidémie du règne par la peur, ce virus effrayant désormais inopérant, vient de succéder la pandémie de la gouvernance par la terreur, dernier rempart des classes dirigeantes pour tenter de sauvegarder leur pouvoir honni et contesté, leurs privilèges menacées par les révoltes populaires insurrectionnelles endémiques.
Notamment en France en proie depuis des mois à des contestations sociales de grande ampleur, notamment contre la réforme des retraites. Et depuis le 27 juillet à des révoltes de jeunes prolétaires des quartiers populaires.
Face à la contestation sociale subversive, le pouvoir de Macron, saisi d’affolement et d’apeurement, agité par la crise institutionnelle, épouvanté par l’affaiblissement des corps intermédiaires d’encadrement sociaux et syndicaux, l’étiolement de l’emprise politique, le dépérissement de l’influence médiatique, au lieu d’accéder aux revendications légitimes des travailleurs en lutte contre la réforme des retraites, pressé par ses parrains de ne pas fléchir (quoi qu’il en coûte), a préféré engager un bras de fer par l’instauration d’un climat de terreur effarant et effrayant par l’imposition d’une ultra-violence policière, dans le but de circonscrire la révolte sociale, de faire plier les protestataires. Nous savons de quelle ignominie la bourgeoisie française peut se couvrir lorsqu’elle s’alarme de ses intérêts économiques, financiers, impérialistes ou coloniaux menacés. L’histoire de la Commune de Paris et celle des récurrents massacres de masse commis en Algérie illustrent la barbarie de la bourgeoisie française. Et le déchaînement vengeur des tribunaux déclenché au moment des récentes révoltes des jeunes prolétaires des quartiers populaires, soulevés à la suite de l’assassinat de Nahel, nous offre un témoignage édifiant sur les méthodes répressives de la justice de classe.
Quoi qu’il en soit, une société fondée sur l’antagonisme de classes implique nécessairement une violence de classe. Celle de la classe exploiteuse. Toute exploitation de classe fonde son pouvoir sur la violence. Une violence toujours croissante au point de devenir institutionnelle. C’est-à-dire étatique, comme la France l’illustre avec acuité et brutalité.
De nos jours, la violence organisée et institutionnalisée, incarnée par l’État, est l’unique technique de soutènement de la société capitaliste. Sans la violence institutionnelle structurelle, exercée par l’État, tout l’édifice social de la société s’effondrerait immédiatement.
Corollaire de l’exploitation d’une classe par une autre, la violence étatique organisée est la condition fondamentale de l’existence et de la pérennisation de la société d’exploitation. C’est à l’État de la classe dominante, au moyen de sa police, son armée, ses tribunaux, ses prisons et ses lois coercitives, qu’est dévolue la fonction de maintenir l’ordre établi, donc d’assurer les conditions infrastructurelles et «superstructurelles» de la reproduction sociale d’exploitation.
Une société fondée sur l’exploitation est inconcevable sans violence. La violence est organiquement inhérente à la domination de classe. Comme le notait l’écrivain canadien Gilles Lamar «Tout pouvoir est violence». Le Marquis de Sade alla jusqu’à écrire : «Le pouvoir est par nature, criminel». En effet, autant la violence peut exister hors des rapports d’exploitation (violences domestiques : familiales, conjugales, relationnelles), autant les rapports d’exploitation ne peuvent exister qu’au travers et par la violence institutionnelle et structurelle. La violence imprègne toutes les strates de la société de classe. Entre les gouvernants et les gouvernés. Les patrons et les travailleurs. Entre les différentes couches sociales rivales. Entre les entreprises qui se livrent une violente concurrence. Entre États qui se livrent régulièrement la guerre.
Au vrai, dans une société de classe, pour assurer la pérennisation de l’exploitation de l’homme par l’homme, la violence est la principale activité de l’État, garant de l’ordre social établi. Cependant, avec le capitalisme, doté d’une technologie cinétique hautement sophistiquée et pléthorique, cette violence institutionnelle a changé qualitativement : elle est devenue terreur. Comme l’illustre actuellement l’État français, où la terreur est dorénavant érigée en mode de gouvernance normatif et permanent. Comme le notait Karl Marx, le capitalisme «dégouline de boue et de sang par tous ses pores». Il charrie en permanence cadavres, destructions, massacres, génocides, souffrances, détresses, misères, famines, guerres. Et désormais Terreur. Son ultime rempart pour assurer sa survie. À l’ère du capitalisme totalitaire, les classes dominantes n’assurent leur gouvernance, donc leur domination, que par la terreur. La bourgeoisie ne peut fonder son pouvoir que sur la terreur. La gouvernance par la terreur est spécifique au capitalisme contemporain décadent. La terreur est inhérente à la bourgeoisie mondialisée contemporaine sénile. Aux oligarchies étatiques psychopathiques modernes, foncièrement honnies par les prolétaires. Autrement dit la terreur est l’œuvre d’une minoritaire classe privilégiée qui, pour maintenir et perpétuer sa domination massivement contestée, l’impose à l’ensemble de la population exploitée, à la classe prolétarienne dominée.
La terreur est par ailleurs exercée par un corps spécialisé dévoué, trié sur le volet, étroitement inféodé à l’État (des riches), donc échappant à tout contrôle de la société, des «citoyens». La terreur n’a d’autre fin que la soumission et l’écrasement de l’ensemble des membres dominés de la société.
Les classes possédantes et dirigeantes contemporaines, confrontées dorénavant à un prolétariat mondial instruit et politisé, insoumis et rebelle, animé de valeurs d’égalité sociale et d’espérance émancipatrice, mû par un esprit révolutionnaire larvé quoique étouffé par la pression propagandiste bourgeoise, par ailleurs relié par des réseaux sociaux incontournables et incontrôlables, ne peuvent assurer leur funeste règne qu’en plongeant toute la société dans un état de terreur permanent. C’est-à-dire un climat de terrorisme étatique. De terreur policière. De massacres militaires, comme on l’observe dans certains pays du Tiers-Monde en butte à des révoltes populaires endémiques.
La terreur étatique est devenue un système de gouvernance structurelle et systémique de la classe capitaliste et de son État. La terreur est organiquement inhérente aux classes dominantes contemporaines en voie d’ensauvagement. La terreur est l’expression des classes dominantes et exploiteuses fragilisées et délégitimées. Depuis que les bases matérielles de leur domination sont ébranlées, illustrées par l’effondrement de leur système économique, l’érosion de leur industrie de façonnement des esprits, l’étiolement de leur idéologie fédératrice, les classes dominantes n’imposent leur règne que par la terreur. Il n’y a pas pire bête qu’une bête agonisante. Elle se transforme en bête immonde pour tenter de sauver son mortel monde (capitaliste). Toutefois, il faut distinguer la terreur et la violence. Si la violence est contingente, la terreur, elle, est structurelle. Aussi, peut-on définir la Terreur comme une violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue, pérennisée et institutionnalisée, constamment en voie de perfectionnement et de durcissement, déployée en vue de perpétuer l’exploitation et la domination de classe. La terreur est l’œuvre d’une classe privilégiée minoritaire, une terreur perpétrée contre la grande majorité de la société. De nos jours, comme on le relève partout dans le monde, le prolétariat n’est plus la seule classe à subir les exactions de la terreur d’État capitaliste. La terreur s’exerce dorénavant sur toutes les classes et couches sociales (petits-bourgeois, paysans, artisans, petits producteurs et commerçants, intellectuels et professions libérales, scientifiques, jeunesse populaire et estudiantine), dès lors qu’une de ces catégories manifeste son mécontentement ou se révolte.
À l’ère de la domination totalitaire du capital, pour l’État l’espace de vie se réduit dorénavant exclusivement aux périmètres des lieux d’exploitation (entreprises) et de consommation (centres commerciaux, boutiques, restaurants, cinémas, théâtres, etc.). Les autres espaces publics sont soumis à une codification coercitive et à une restriction draconienne.
À la faveur du récent mouvement de contestation en France, tout le monde aura remarqué que chaque manifestation s’achève dans une atmosphère de violences inouïes. De terreur perpétrée par les forces de l’ordre.
Au vrai, ce climat de terreur provoqué et perpétré par l’État vise deux objectifs. D’une part, empêcher les manifestants de former des groupes de discussions, des «Assemblées générales» à ciel ouvert, susceptibles de s’implanter durablement, avec comme perspective de s’étendre à l’ensemble des villes. Donc, de se transformer en véritables institutions délibératives et décisionnelles alternatives majoritairement adoptées par l’ensemble du prolétariat. Un véritable contre-pouvoir. Une dualité de pouvoir telle qu’elle avait surgi lors de la révolution russe avec la constitution des Soviets.
D’autre part, à dissuader une partie des travailleurs de se joindre aux cortèges ultérieurs programmés, c’est-à-dire de participer aux manifestations par crainte des violences policières. Autrement dit par peur de subir la terreur de l’État bourgeois.
En France «démocratique», vous avez le droit de manifester mais dans un climat de harcèlement, d’intimidation, d’humiliation et de terreur policiers. De quoi dissuader le plus téméraire des protestataires. Des révolutionnaires. C’est ce qui s’appelle une démocratie totalitaire. Ou un totalitarisme démocratique. Un Totalitarisme light. Une démocratie sous la férule de la Terreur.
Pour autant, pour évoquer le phénomène des violences urbaines actuellement très médiatisé en France, la focalisation sur les casseurs a également pour dessein de distiller dans l’esprit des protestataires l’opinion selon laquelle la révolte sociale engendre inéluctablement la violence et, par voie de conséquence, le chaos.
Ce n’est pas un hasard si les Black-Blocs sont fréquemment instrumentalisés par l’État, notamment par la création de climats de psychose propres à susciter la sidération et l’abattement, le repliement et la résignation. Cette focalisation sur les violences des black blocs permet surtout de justifier et de légitimer le durcissement autoritaire étatique, la répression policière et la militarisation de la société. Et, surtout, cette focalisation sur les violences urbaines a pour finalité de présenter l’État et ses institutions comme les principaux remparts pour défendre la «démocratie» (bourgeoise), «menacée par les hordes de casseurs». Or, comme on vient de le démontrer, ce ne sont pas quelques centaines de black blocs manipulés (infiltrés par des agents de police) qui menacent et répriment les millions de prolétaires en lutte, mais les centaines de milliers de policiers, qui font régner un climat de terreur.
Cette orchestration étatique des violences vise également à diviser les manifestants, à désagréger les manifestations, à susciter la méfiance et la suspicion au sein des travailleurs, donc à neutraliser toute éclosion de sentiments de solidarité, de volonté de cohésion afin d’impulser une réelle structuration du mouvement de révolte sociale inscrite dans une perspective révolutionnaire. Avec les classes régnantes, on avait la fameuse devise «diviser pour régner», nous avons dorénavant, avec la bourgeoisie décadente radicalisée : «Terrifier pour désagréger» le prolétariat en lutte.

(Suite et fin)
Khider Mesloub