La case de l’Oncle Djak

Un endroit mythique

Il est des endroits qui nous marquent, où l’on se sent chez soi et que l’on quitte à regret, des espaces qui sont comme des bouffées d’oxygène dans un monde étouffant. C’est le cas de ce temple du Grand Timonier qu’est notre camarade Djakoune, avec lequel je partage les mêmes chromosomes idéologiques, et qui a fait de son bureau particulier en plein milieu de la Maison de la Presse Tahar Djaout à Alger, un petit Eden de l’intelligence et de la fraternité, haut lieu de rencontres pour ceux qui sont animés par le même amour de l’Algérie, qu’ils ont servie et qu’ils servent encore avec loyauté, et qui ont gardé intacte la mémoire d’un temps révolu peuplé de figures disparues trop tôt. Le bureau de Djakoune est le point de convergence des amoureux de l’Algérie, qu’ils viennent d’Amérique, d’Europe ou d’Asie, et c’est toujours une joie pour moi de retrouver cet espace de camaraderie chaleureuse. Dans cet univers imprégné de patriotisme, de savoir et de souvenirs, j’ai vécu des moments intenses, notamment en pensant au regretté el Mohtarem, surnommé ainsi par feu le Président Boumediene, notre camarade Mohamed Alouane que Djakoune et moi avons évoqué avec émotion, ce monument de l’histoire algérienne à qui je rends un vibrant hommage. Je regretterai toujours de n’avoir pas pu lui dire au revoir avant son grand départ. A mille lieues des rédactions rigides et figées, le bureau de Djakoune est un endroit parfumé du jasmin de l’intelligence, de la connaissance, de l’humour et de la mémoire qui constitue la véritable matrice de la Maison de la Presse et où se croisent des gens qui ont tous une histoire. Sous le regard bienveillant de Kateb Yacine, de M’hamed Issiakhem et de Mohamed Demagh réunis dans la même photographie, et à côté d’une sculpture de Demagh, réalisée dans un bois survivant des bombardements au napalm par la France coloniale, des hommes formidables se réunissent pour échanger, se remémorer, plaisanter, analyser, construire, comme le journaliste économiste érudit Karim « le Bricsiste » ou Youcef le brillant fiscaliste, ou encore l’officier des forces spéciales, secrétaire particulier du général dit « Dégâts », que j’invite à témoigner comme je le lui ai proposé sur cette épopée d’Amgala 2 dont il a été un acteur majeur avec le général susmentionné. Je ne peux pas mentionner tous ceux que j’ai croisés.
Djakoune est un fervent partisan des débats, il a ça dans la peau, et il accueille tous ses visiteurs dans la bonne humeur et la cordialité fraternelle, heureux que son bureau soit le siège de débats passionnés et passionnants entre des journalistes, des intellectuels, des hommes d’affaires, des artistes, des hommes de culture, des ex-militaires, des syndicalistes, et autres, qui viennent respirer les fragrances du passé glorieux de l’Algérie et rêver d’un avenir radieux. Toutes les catégories sociales sont représentées et chacun amène son univers personnel dans ce lieu béni des dieux. Celui qui n’a pas visité cet endroit n’a pas vu Alger, et parcourir la Maison de la Presse sans passer par le bureau de Djakoune ne signifie rien ou en tout cas pas grand-chose.
Tout en étant avec nous, Djakoune est ailleurs. Il regarde, il écoute et l’ailleurs dans lequel il évolue est une sorte d’Île au Trésor où sont entreposées toutes les expériences qu’il a vécues et toutes celles que ses amis sont venues partager avec lui. Il n’y a pas de « parlotte » dans le bureau de Djakoune. Chacun y vient avec son savoir, ses acquis, son parcours, et offre tout ce qu’il est et tout ce qu’il sait en s’engageant dans des débats épiques qui enrichissent tous les participants. Les idées fusent, les analyses offrent des perspectives fascinantes, les explications éclaircissent les points nébuleux. Sans se couper la parole, on y parle de politique, de culture, d’économie, d’histoire, et de la vie aussi, avec ses histoires d’amour et de désamour, et des anecdotes parfois croustillantes qui provoquent de grands éclats de rire, mais aussi avec des moments d’émotion. On y parle toujours dans le vrai et ces discussions nous entraînent à nous remémorer avec nostalgie les débats de jadis avec nos amis évanouis dans le grand silence blanc. Comme je plains ces pauvres fous qui ont trahi leur pays et qui n’auront jamais accès à ce lieu magique, à la fois hors du temps et au cœur de tout. C’est l’Alger que l’on aime. Et puis, en connaissant les gens, en les appréciant, on s’attache à eux et on les aime aussi. On continue à penser à ceux qui ne sont plus là tout en aimant ceux qui sont là. Et cette synergie nous donne la force de continuer à se battre pour ce pays. Elle est plus que magique, la case de l’oncle Djak, et j’avais envie de l’immortaliser avec ces quelques mots. Si vous passez par Alger, cette capitale trépidante remplie de vie, de bruits, de klaxons, de jeunesse, sachez qu’il existe en son cœur, un endroit qui, tout en faisant partie de cette ville, est à part, dans un espace-temps hors du commun, comme une bulle de savoir et de fraternité qui me manque déjà.
Je suis parti en emportant dans ma poche un peu du soleil de mon pays et je garde vos éclats de rire dans la tête. Chers frères, chers camarades, que votre joie de vivre demeure pour l’éternité.
Mohsen Abdelmoumen