Le syndrome de la déconcentration et de la déconnexion

Communication

C’est un phénomène courant, surtout en ce 21e siècle, particulièrement perturbé et où il devient difficile d’entretenir une discussion dans le calme et la sérénité avec quelqu’un ou de lire un livre et de le comprendre.

Bien se concentrer sur un sujet est devenu difficile, voire impossible de notre temps pour la plupart d’entre-nous tant les conditions sont loin de correspondre aux normes.
Les gens ont du mal à s’écouter pour s’entendre, c’est à croire qu’ils ne parlent pas le même langage. Que de fois avons-nous entendu : répète, je n’ai pas compris, telle séquence nous a échappé, peux-tu me préciser ta pensée là-dessus, il y avait du bavardage, bien des choses intéressantes nous sont passées sous le nez. Bien des malentendus proviennent du manque d’attention dans la communication entre partenaires dont certains n’arrivent pas à suivre une discussion.
Quand il y a des discours importants, quelques soi-disant présents venus pour écouter, ils sont assis sur les bancs mais ils sont ailleurs, leur esprit a d’autres préoccupations. Là où la déconcentration est évidente, c’est dans les cinq prières, on oublie souvent ce qu’on a fait comme «Rkaat». Pour «dhor» il faut quatre, «Elmeghreb», c’est trois et ainsi pour chaque prière; lorsqu’on n’est pas bien concentré, on oublie non seulement le nombre de prières, mais on ne sait pas si la sourate «Fatiha» est accompagnée d’une «Aya».
On doute et on refait toute la prière pour être sûr qu’on a accompli son devoir. Cela parait bête mais c’est vrai pour ceux qui se laissent déconcentrer.
La déconcentration est courante en lecture de récit long comme le roman ou le conte. Pour les premières pages, on suit l’histoire, on essaie de mémoriser les actions des personnages, mais au fur et à mesure qu’on avance, on perd le fil du récit, on s’embrouille et il arrive un moment où on n’a plus envie de continuer.
Les discussions entre amis ou entre voisins de quartier sont révélatrices de la nature humaine
Elles nous montrent que certains hommes ou femmes ont le don de parler pendant des heures sans se fatiguer pendant que d’autres restent taciturnes, ils peuvent rester des heures sans qu’un mot ne vienne de lui -même. Dans la catégorie des gros parleurs, il y a ceux qui font du bavardage, c’est du n’importe quoi, ils changent souvent de sujet parce qu’ils sont incapables de soutenir une discussion sur un même thème à moins d’être comme eux pour participer à leurs palabres inutiles, on les écoute dire n’importe quoi, mais on ne retient rien tant c’est décousu et qu’il n’y a rien de bon à garder en mémoire. A côté, il y a des gens qui racontent des histoires intéressantes devant un public d’une grande diversité, les plus passionnés écoutent attentivement jusqu’au bout pour que rien ne leur échappe. Ils essaient de saisir au vol la moindre expression intéressante, le plus beau proverbe qui fait grandir culturellement quiconque est assoiffé de connaissances et qui va servir de point de repère pour qu’à l’avenir, il puisse retrouver toute l’histoire.
Jadis, la place publique était un lieu d’apprentissage des jeunes aux côtés des vieux. A la manière des griots en Afrique, les aînés racontaient des choses de valeur inestimable en histoire, littérature populaire. La plupart des jeunes étaient motivés et prenaient soin de mémoriser l’essentiel de ce qui se disait. Au fil des jours, ils apprenaient des fables à contenu moral, récit de tous genres à valeur éducative, maximes et proverbes qui rendaient sages ceux qui les apprenaient ; la djemâa était l’école de la vie. On y venait pour s’instruire. Mais à côté de ces gens, il y avait ceux qui ne se faisaient même pas le moindre effort pour apprendre.
Le même phénomène s’est généralisé de nos jours, les générations ne s’écoutent plus et ils ne se donnent même pas la peine d’écouter ce qui se dit dans l’environnement pour s’actualiser parce qu’ils sont accaparés par la tablette, Smartphones, internet, facebook, etc., un vocabulaire de plus en plus compliqué et dans lequel ils s’enfoncent sans aucun profit.
Les jeunes qui ont le devoir d’écouter les aînés pour recevoir ce qu’ils doivent perpétuer ne peuvent plus être sollicités sous prétexte qu’ils sont trop pris par les sms, e-mail, facebook, et à longueur de journée, ils se livrent à la communication virtuelle, oubliant tous ceux qui gravitent autour d’eux, si bien que les générations ne se parlent plus.
Chez les femmes, la situation est moins grave, sauf rares exceptions, les jeunes filles ont de meilleurs rapports avec leurs mamans. Et parmi les mères, il y en a qui jouent pleinement leurs rôles et tiennent toujours à se faire obéir. De plus, le monde des femmes est tout autre. Parmi elles, il y a celles qui s’abrutissent, elles n’apprennent rien au cours de leur vie de mères, elles sont esclaves des tâches ménagères : s’occuper des enfants, faire des lessives interminables, cuisiner du matin au soir, le soir elles sont épuisées et n’aspirent qu’au repos et comme ça, toute la journée et toute la vie, elles n’ont rien appris.
Mais d’autres, plus malignes font moins d’enfants et trouvent toujours le moyen de mieux s’organiser pour avoir quelques moments de liberté pour se retrouver avec les autres femmes, surtout les plus vieilles qui leur apprennent beaucoup de secrets sur la manière de mieux organiser sa vie de famille.
Au contact des vieilles et au fil des décennies, elles retiennent ce qu’il y a de meilleur, les histoires, toutes les légendes anciennes, les proverbes, les poésies qui font la sagesse populaire. Toute leur vie, ces femmes ont répandu à leur tour, autour d’elles, ce qu’elles ont appris de meilleur. Elles ont semé à tous vents et partout, on les a trouvées admirables tant elles apprennent toujours quelque chose avec elles. Aujourd’hui, face au phénomène de la déconcentration, l’élément féminin est beaucoup plus à l’écoute des autres, contrairement aux garçons totalement déconnectés par rapport au patrimoine culturel et à la réalité.

Déconcentration et déconnexion par rapport aux œuvres culturelles
Mis à part quelques exceptions, personne parmi les jeunes garçons et les vieux ne s’intéresse aux musées, aux sites archéologiques, aux tableaux de peinture, à la lecture d’œuvres littéraires, y compris les œuvres nationales. Ils n’ont pas appris à visiter les lieux qui donnent à voir des objets anciens liés à notre légende des siècles. Dommage ! Car ces objets historiques que nous retrouvons, nous donnent des indications sur nos origines et si nous continuons à leur tourner le dos, ils feront partie des oubliés.
Pourtant que d’histoires ils peuvent évoquer si on les observe bien et si on les fait parler. Et que de fois on a découvert de nouveaux vestiges, des pièces de monnaie appartenant à d’autres civilisations, des grottes méconnues et jamais visitées.
Le même sort sera réservé aux livres qu’on ne se donne même pas la peine de regarder lorsqu’on passe devant la vitrine de la librairie. Il ne s’agit pas de déconcentration mais de déconnexion par rapport aux livres. Ce phénomène est dommageable pour la culture individuelle et collective. Il y a une grande diversité de domaines dans les livres, il y en a pour tous les niveaux et toutes les disciplines.
La lecture bien concentrée de roman peut être d’un immense profit : il développe les qualités intellectuelles, à savoir la mémoire, l’intelligence, la concentration, la réflexion et l’imagination ; de plus, la lecture nous fait acquérir le vocabulaire, les tournures de phrases, l’orthographe et dans n’importe quelle langue. Normalement c’est tous les jours qu’il faut garder le contact avec la lecture pour que celle-ci porte ses fruits.
Ainsi c’est de cette façon qu’on élève son niveau de culture. On définit la culture comme ce qui reste lorsqu’on a tout oublié. Qu’est ce qui reste lorsqu’on a tout oublié ? Il reste les capacités de raisonner juste, de parler raisonnablement et sans bavures, c’est être maître de soi et savoir répondre juste aux sollicitations de l’environnement.
Abed Boumediene