L’aide de la Russie à la récupération des richesses du sous-sol algérien convoitées par la France

L’indéfectible amitié algéro-soviétique à travers le temps

À partir de 1966, les relations entre l’Algérie et l’Union soviétique se renforcent. Dans le domaine pétrolier, la coopération entre les deux pays s’installe durablement. L’URSS tend à remplacer la France dans plusieurs secteurs de l’économie algérienne. En effet, alors que l’option socialiste en Algérie se confirme, l’URSS devient un partenaire naturel. Cette dernière joue alors un rôle indispensable dans le processus de nationalisation qui s’étend de 1966 à 1968 et qui touche principalement les intérêts français.Les liens pétroliers algéro-soviétiques datent de l’ère d’Ahmed Ben Bella. En effet, en octobre 1964, parallèlement à la collaboration avec la firme anglaise dans la construction du troisième oléoduc, le Centre africain des hydrocarbures et du textile (CAHT) est créé grâce à l’aide de l’URSS. Cet Institut qui a comme objectif la formation des futurs cadres algériens et africains de l’industrie pétrolière devient le principal vivier de la Sonatrach. Avec l’arrivée de Boumediene au pouvoir, les rapports entre les deux pays prennent une autre dimension. La visite du colonel en URSS en décembre 1965 est l’occasion de renforcer les relations économiques entre les deux pays et de développer la coopération, notamment dans le domaine pétrolier. À partir de ce moment, la collaboration pétrolière algéro-soviétique s’accentue et la doctrine pétrolière algérienne se clarifie grâce à l’apport des Soviétiques. Cette doctrine qui prend en considération le mode d’exploitation économique de type socialiste trouve naturellement un écho favorable du côté de Moscou. Dès lors, elle tend à s’opposer progressivement aux conceptions françaises qui ne prennent en considération que l’économie de marché, comme l’affirme Belaïd Abdesselam : Le contact avec les Soviétiques nous conforta dans nos idées, parce que les Soviétiques, comme nous, produisent pour eux-mêmes, en fonction des besoins de leur économie, alors que les Français, en Algérie, calculent tout, en fonction de la rentabilité financière de leurs investissements pétroliers. C’est en 1966 que tout cela se passait. Dès lors, les deux partenaires tentent d’appliquer sur le terrain leur conception de l’industrie des hydrocarbures en s’attaquant frontalement aux intérêts français. Au mois d’avril 1966, alors que les relations franco-algériennes à l’intérieur de l’ASCOOP sont dans l’impasse, une imposante délégation soviétique formée d’une soixantaine d’experts dans le domaine pétrolier arrive en Algérie. Dans ce cadre, plusieurs techniciens soviétiques sont détachés au sein de la Sonatrach. En 1967, ce sont déjà 200 Soviétiques qui travaillent dans la société nationale algérienne dont 30 dans le département de l’exploration. De plus, les Soviétiques sont présents dans le secteur du raffinage et de la distribution. La coopération avec ces derniers va donc au-delà de la formation et englobe désormais les secteurs clés de l’industrie des hydrocarbures, alors qu’au même moment, le rôle de la Sonatrach à l’intérieur de l’industrie des hydrocarbures se renforce. En échange de l’aide soviétique, les Algériens s’engagent à acheter du matériel pétrolier. Ainsi, en juin 1966, suite à la visite d’une délégation algérienne à Moscou présidée par Belaïd Abdesselam, il est décidé de l’achat par la Sonatrach d’appareils de forage. Ces derniers seront opérationnels à partir de 1967 sur les champs exploités par la société nationale algérienne. Le rôle des Soviétiques ne s’arrête pas là : ils sont aussi chargés de la surveillance des sociétés pétrolières étrangères. Dans ce cadre, la présence des Soviétiques en Algérie rencontre l’hostilité des Français qui, jusqu’à présent, considéraient le pétrole algérien comme une chasse gardée. En somme, les méthodes de travail des Français sont remises en cause par les Soviétiques et les réactions françaises dénotent alors un certain étonnement et surtout une crainte imminente de nationalisation. Les études des experts soviétiques démontrent aux Algériens que les ressources du sous-sol algérien sont sous-exploitées par les sociétés françaises. Le manque d’investissement est la cause principale de cette situation. Les sociétés françaises, étant responsables en grande partie des investissements dans le domaine, subissent alors les attaques des dirigeants algériens. Plus particulièrement, les Soviétiques se sont concentrées sur l’important champ de Hassid-Messaoud dont les modes d’exploitation sont étudiés par leurs experts depuis 1966. Ainsi, ils arrivent à la conclusion que la production du champ pouvait être augmentée substantiellement, ce que les sociétés pétrolières françaises et en particulier la CFP-A se refusaient de faire. Dès lors, les tensions entre les deux parties sont perceptibles lors des rencontres qui réunissent, d’une part, des représentants de la DEC et des experts soviétiques et, d’autre part, les sociétés pétrolières qui exploitent le champ de Hassid-Messaoud donc la SN-REPAL et la CFP-A. Ces réunions qui débutent au mois de janvier 1970 voient les deux délégations s’affronter sur la nécessité d’injecter du gaz pour augmenter la productivité des puits. Les discussions longues et laborieuses qui durent pendant plusieurs mois se concluent avec la prise en considération de l’opinion soviétique. Il est décidé alors d’augmenter les injections de gaz pour arriver à une production de 26 millions de tonnes en 1971 par rapport aux 19 millions que produit le champ à l’époque. L’intrusion des Soviétiques dans les affaires des sociétés pétrolières ne s’arrête pas à la question de l’augmentation de la production. Les archives de la CFP-A évoquent des visites à l’improviste de trois techniciens soviétiques et d’un ingénieur de la Sonatrach sur le champ de Hassid-Messaoud durant les mois de juillet et d’août 1970. Les objectifs des visites sont précisés dans le document de la CFP-A : «demande de documents (analyses et plans des installations), visite complète du champ et des unités, prise de photos et d’adresses de fournisseurs relevées sur le matériel ». Pour sa part, Christian Rederon, directeur technique de la CFPA sur le champ de Hassid-Messaoud, résumes en ces termes l’objet des visites : En résumé, on peut s’inquiéter de ces visites ainsi que de la teneur des demandes. Celles-ci sortent du cadre de l’étude de développement du champ et font penser à la constitution d’un dossier permettant un remplacement rapide de l’équipe CFP(A) par une équipe dirigée par des techniciens soviétiques. La crainte de Rederon est d’autant plus justifiée qu’au cours des dernières années, les Soviétiques ont fourni une aide indispensable aux Algériens lors des nationalisations de 1966 et 1968. La coopération algéro-soviétique qui s’institue durablement à partir de 1966 englobe plusieurs domaines qui vont au-delà de l’industrie des hydrocarbures. En effet, une note du quai d’Orsay fait part de la présence de 3.000 coopérants soviétiques dès 1966. Les années suivantes, la coopération s’accentue, comme le prouve le voyage en 1968 d’une grande délégation algérienne à Moscou formée des représentants des grandes sociétés nationales algériennes industrielles et présidée par Belaïd Abdesselam. Cette visite, comme toutes celles qui la précèdent, a pour objectif de compléter, voire de remplacer sur certains projets, la coopération industrielle franco-algérienne. Or, si les Algériens sont prêts à s’engager avec les Soviétiques sur le long terme et sur des projets coûteux et stratégiques comme la construction du complexe sidérurgique d’Annaba, c’est qu’il existe désormais une complicité entre les deux parties qui prend forme à des moments charnières. En effet, plusieurs exemples démontrent aux Algériens que les Soviétiques sont prêtes à prendre le relais des Français. La nationalisation des entreprises minières françaises en mai 1966 est possible grâce à l’aide soviétique. Plus encore, selon Belaïd Abdesselam qui mène cette opération, les Soviétiques étaient au courant de la nationalisation avant même que le processus ne soit engagé. Ce dernier évoque l’importance des Soviétiques dans deux domaines liés à la nationalisation : « D’abord, par le concours des experts soviétiques, on avait la certitude de ne pas tomber en panne dans l’exploitation des mines ; ensuite, les Soviétiques nous ont donné un coup de main en matière de commercialisation». Deux ans plus tard, l’URSS sera également d’une aide précieuse. Premièrement, elle participe activement à la nationalisation des dernières unités industrielles françaises en mai et juin 1968 en mettant à la disposition de l’Algérie des experts «installés dans l’heure dans les cimenteries et dans toutes les installations importantes». Deuxièmement, l’URSS ouvre son marché au vin algérien. À la suite de longues négociations qui débutent au mois de juin 1968, les Soviétiques s’engagent à acheter une partie du vin destiné au marché français, alors même que l’URSS ne dispose pas des installations nécessaires pour prendre en charge ce produit. En somme, entre 1966 et 1969, la coopération algéro-soviétique devient primordiale pour l’Algérie. L’URSS participe activement au renforcement de la Sonatrach et à la socialisation de l’économie algérienne. Parallèlement, les échanges commerciaux entre les deux pays s’accentuent et se diversifient. Outre les produits industriels et le vin, les échanges concernent l’armement. L’Algérie s’équipe presque exclusivement en URSS qui, en échange, a ouvert son marché à divers produits comme les produits sidérurgiques, le bois, le matériel d’équipement et les biens de consommation soviétiques.
Certes, en 1968, le commerce avec l’URSS ne représente que 10% du volume total, contre 60% pour la France. Néanmoins, depuis 1967 l’évolution est tangible : 190 millions de dinars en 1967, 274 millions en 1968 et près de 500 millions en 1969. Ainsi, à l’heure où l’accord de juillet 1969 doit être renégocié, l’Algérie dispose d’un allié solide disposé à aider le pays dans la construction de son économie socialiste au détriment des intérêts français, notamment ceux pétroliers. Dans le domaine des hydrocarbures, l’Algérie ne se contente pas de l’appui des Soviétiques. Elle cherche également à renforcer ses relations avec certaines firmes occidentales dans le secteur des services et de la recherche/production.
Y. Mérabet – Ingénieur d’Etat
en engineering pétrolier