La laïcité devenue un instrument de stigmatisation et de criminalisation des musulmans

France

Sous la domination contemporaine de la bourgeoisie xénophobe et belliciste française, la laïcité, originellement fondée sur la neutralité vis-à-vis des religions, est aujourd’hui convertie en instrument de stigmatisation et de criminalisation des adeptes de la religion musulmane.

Historiquement, aux yeux des Républicains français de la fin du XIXe siècle, la laïcité constituait un instrument politique brandi pour soustraire à l’Église catholique son emprise sur l’éducation des enfants en vue de la transférer à l’État, mais jamais une arme de guerre contre la religion. Au reste, tel était le « programme pédagogique » de Jules Ferry pour qui «l’enseignant avait pour mission de ne pas s’opposer aux croyances religieuses des parents d’élèves». Certes, la revendication de la séparation de l’Église et de l’État, tout comme la liberté individuelle du culte, a longtemps figuré dans le programme du mouvement ouvrier révolutionnaire du XIXe siècle. Cependant, au XXe siècle, une fois cette revendication satisfaite par l’ensemble des États capitalistes sécularisés, autrement dit une fois le pouvoir institutionnel et l’empire éducative de l’Église anéantis, la laïcité est, depuis lors, en particulier en France, instrumentalisée par les classes dirigeantes à des fins de dévoiement politique. La laïcité, «religion civique» de la bourgeoisie, est devenue une arme de mystification idéologique, destinée à semer la division parmi les prolétaires «d’origines ethniques et religieuses» diverses. Globalement, selon le point de vue des organisations socialistes du XIXe siècle, dans une société européenne encore féodale, la religion devait être certes critiquée et combattue. Mais cette critique et ce combat devaient s’inscrire dans la lutte révolutionnaire globale menée contre la société et l’État bourgeois en vue de l’émancipation humaine universelle. Non comme fin en soi, animée par un esprit bourgeois anticlérical, avec, comme unique dessein, l’institutionnalisation de la laïcité dans le cadre du maintien de la société capitaliste. Le mouvement ouvrier a toujours refusé de s’associer à l’hystérie anticléricale déchaînée par la bourgeoisie, en particulier en France. Dans un contexte marqué par une virulente offensive menée contre la religion par les anticléricaux, le 1er Congrès de l’Association internationale des travailleurs (AIT) dut se résoudre à se démarquer de cette hystérie antireligieuse orchestrée par les élites bourgeoises. En effet, le premier Congrès de l’AIT tenu à Genève en septembre 1866 rédigea une déclaration de principe affirmant que la religion « est une des manifestations de la conscience humaine, respectable comme toutes les autres, tant qu’elle reste chose intérieure, individuelle, intime (…) chacun pensera sur ce point, ce qu’il jugera convenable, à la condition de ne point faire intervenir «son Dieu» dans les rapports sociaux et de pratiquer la justice et la morale». Le combat n’était pas orienté contre la religion en soi mais contre les pouvoirs théocratiques et institutions confessionnelles dominantes.
En Europe, le développement des forces productives, autrement dit, l’industrialisation et l’urbanisation conjuguées à la scolarisation massive des populations, avait déjà permis un net recul du sentiment religieux au sein de la classe ouvrière. Les marxistes considéraient qu’une propagande antireligieuse s’avérerait stérile et laisserait courir un risque de division au sein de la classe ouvrière. C’est à dessein qu’ils s’opposèrent aux blanquistes et aux anarchistes (ancêtres des laïcards hystériques contemporains) désireux d’inscrire le principe d’athéisme dans le programme des organisations révolutionnaires.
Dès cette période d’expansion du capitalisme, les socialistes tracèrent une trajectoire claire en ce qui concerne la question religieuse. La séparation de l’Église et de l’État et la conception de la religion comme une affaire privée, non seulement ne furent pas intégrées au centre du combat, mais elles furent rejetées pour leur dévoiement politique, leur puissance de nuisance sur le prolétariat. Et surtout de division.
Le discours anticlérical bourgeois a vocation de faire de la laïcité une fin en soi, autrement dit, il s’agit de détourner la classe ouvrière de son véritable objectif : la lutte contre le capitalisme. La révolutionnaire allemande, Rosa Luxemburg, dénonçait déjà en son temps l’instrumentalisation de la laïcité par la bourgeoisie française : «L’incessante guérilla menée depuis des dizaines d’années contre la prêtraille est, pour les républicains bourgeois français, un des moyens les plus efficaces de détourner l’attention des classes laborieuses des questions sociales et d’énerver la lutte des classes, L’anticléricalisme est, en outre, restée la seule raison d’être du parti radical ; l’évolution de ces dernières trente années, l’essor pris par le socialisme a rendu vain tout son ancien programme. (…) Pour les partis bourgeois, la lutte contre l’Église n’est donc pas un moyen, mais une fin en soi ; on la mène de façon à n’atteindre jamais le but ; on compte l’éterniser et en faire une institution permanente». Un siècle plus tard, la bourgeoisie sénile et décadente française continue toujours à instrumentaliser la laïcité, à mener «sa guérilla incessante», aujourd’hui contre les musulmans et l’islam ! Entre les mains des classes dirigeantes françaises contemporaines en plein ensauvagement, ces dernières décennies la laïcité est devenue en effet un instrument de stigmatisation et de criminalisation de la religion musulmane, actionnée pour diviser les classes populaires de France, affaiblir leur unité sociale par les fausses divisions religieuses délibérément accentuées pour acculer les Français de confession musulmane à se dissocier de leurs «frères de classe» du fait de leurs supposés particularismes confessionnels incompatibles avec les valeurs républicaines de la France (sic). Et les «Français de souche» à anathématiser, ostraciser et ségréguer leurs frères de classe d’obédience islamique. Pour rappel, en France l’islam est non seulement la deuxième religion du pays, mais surtout la religion de la grande partie de la fraction immigrée du prolétariat, la partie la plus exploitée, la plus opprimée, la plus ostracisée. Un prolétariat immigré que la classe dominante française s’applique à maintenir, à l’instar de ses ancêtres indigènes des colonies, dans la soumission et la paupérisation. Comment attiser et entretenir la division entre prolétaires français et immigrés, blancs et arabes et noirs, sinon par la dévalorisation et le dénigrement de ces derniers, décrits systématiquement de manière péjorative, caractérisés comme étant des populations dangereuses, voire barbares, dont il faut se méfier du fait de leurs «mœurs étranges et de leur religion étrangère» (sic). L’instillation de stéréotypes épouvantables sur les immigrés favorisent le racisme. C’est ce climat délétère qui provoque également des réactions virulentes, des attitudes d’hostilité systématique contre toute expression et exposition publique de la religion musulmane, notamment la construction d’une mosquée ou le port de tout signe islamique. Selon un récent rapport européen, la France a été désignée comme l’un des pays les plus islamophobes en Europe durant l’année 2022. Y compris aux États-Unis, à la faveur de l’interdiction du port de l’abaya à l’école, une commission consultative mandatée par le Congrès américain a estimé que le gouvernement Macron avait « empiété sur la liberté religieuse ». En effet, elle a fustigé la décision du gouvernement d’interdire le port de l’abaya dans les écoles françaises, parlant d’une mesure d’«intimidation» visant les musulmans de France. «Dans un effort malavisé pour promouvoir la valeur française de laïcité, le gouvernement empiète sur la liberté religieuse», écrit Abraham Cooper, qui préside la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), un organisme gouvernemental consultatif mandaté par le Congrès américain. «La France continue d’utiliser une interprétation spécifique de la laïcité pour cibler et intimider les groupes religieux, en particulier les musulmans», souligne la commission, en jugeant « condamnable de restreindre la pratique pacifique des croyances religieuses des individus pour promouvoir la laïcité ». «La communauté internationale doit continuer à s’élever contre les lois qui menacent la liberté religieuse de tous en France», a ajouté Nury Turkel de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale. Certes, Marx, père fondateur du socialisme scientifique, a écrit que la première critique à entreprendre est la critique de la religion. Mais il n’a jamais professé que le principal combat à mener est celui de la lutte contre la religion ou ses symboles, notamment vestimentaires. La différence est importante. Les pseudos marxistes ou laïcards fanatiques contemporains, érigeant, au nom de la laïcité, le combat contre la religion en priorité principale, se trompent de cible. Par leur fourvoiement, ils placent la religion au-dessus des classes et des contradictions sociales. La loi de 1905 sur la laïcité est ainsi devenue un moyen de division entre les classes sociales. Comme l’écrit la sociologue Monique Pinçon-Charlot : «Que représente exactement la laïcité pour les plus riches qui ne subissent aucune contrainte dans leurs choix, qu’il s’agisse des quartiers où ils vivent ou de l’école où ils mettent leurs enfants ? La laïcité est instrumentalisée pour dédouaner les responsables, banquiers et autres spéculateurs financiers, des inégalités économiques devenues abyssales. La division entre les dominés selon leurs appartenances religieuses interdit la convergence des revendications et des luttes contre des élites profondément solidaires dans la défense de leurs intérêts de classe. L’hostilité populaire envers des familles affichant une religion autre que le christianisme soulage les inquiétudes des possédants. Les inégalités économiques sont un facteur de tensions sociales dangereuses qu’il est préférable de voir dévoyer en des luttes internes aux classes dominées». De nos jours, en France la laïcité est le pendant de l’Union sacrée. Les campagnes pour la laïcité sont destinées à agréger les prolétaires dans une union interclassiste pour défendre les «valeurs républicaines» françaises, censées incarnées la civilisation par excellence, au même titre que la démocratie bourgeoise symbolise, selon l’idéologie occidentaliste capitaliste, la forme de gouvernance humaine la plus accomplie (sic). Ces valeurs, laïcité et démocratie, devraient donc unir le patron et l’ouvrier, le SDF et le milliardaire, la femme prolétaire des banlieues et la bourgeoise des quartiers huppés. Certes, il faut combattre l’emprise réactionnaire religieuse, notamment islamique, mais non au moyen de mesures coercitives étatiques stigmatisantes et intimidantes, comme l’applique insidieusement l’hystérique gouvernement Macron qui jette en pâture les Français et immigrés de confession musulmane à la vindicte populeuse, afin de dévoyer les griefs et la colère de la population française exprimés contre sa politique antisociale, la flambée des prix, la dégradation de leurs conditions de vie. Or, Macron tente de focaliser l’attention du prolétariat sur la «question vestimentaire» pour éluder la question sociale et les problématiques de la nutrition.
Et surtout pour affaiblir et neutraliser une riposte de classe à la hauteur des exigences historiques actuelles marquées par une dégradation dramatique des conditions de vie de l’ensemble de la population laborieuse de France, toutes origines et confessions confondues. Au vrai, dans cette période de marche forcée vers la guerre généralisée, d’exaltation hystérique du patriotisme et d’apologie du militarisme belliciste, la campagne tapageuse laïcarde s’inscrit dans cette politique d’Union nationale qui a pour dessein, entre autres, de dévoyer l’opposition naissante entre internationalistes et militaristes vers le clivage stérile entre laïques et religieux (islamiques).
À suivre la propagande étatique et médiatique française, ce seraient les musulmans qui menaceraient la paix et la «civilisation», et non pas la bourgeoisie française belliciste qui, par son programme de réarmement outrancier et l’instauration de l’économie de guerre, mène le pays droit vers la conflagration militaire mondialisée, donc vers des massacres de masse, la barbarie guerrière, l’anéantissement nucléaire, non seulement des Français, mais également de l’Humanité.

Khider Mesloub