Une stratégie à long terme devient incontournable

Face au stress hydrique et à l’insécurité alimentaire

A la fin de ce mois de septembre, la nouvelle station de dessalement d’eau de mer de Corso atteint sa pleine capacité avec une production quotidienne de 80.000 m3 par jour. Avec la réception de ce projet Algerian Energy compagny (AEC), filiale du groupe Sonatrach, finalise le programme d’urgence décidé par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune au mois de juillet 2021.

Un programme visant à faire face à la baisse drastique des ressources en eaux conventionnelles dans la région centre du pays. Ces dernières années, la pluviométrie a sensiblement baissée entraînant une réduction de la dotation journalière des populations en eau potable. L’Algérie est dorénavant exposée au stress hydrique. Les trois nouvelles stations de dessalement d’eau de mer situées à Bordj El-Kiffan, El Marsa et Corso sont dotées d’une capacité totale de 150.000 m3 jour. Une quantité qui vient s’ajouter aux 420.000 m3 produits par les stations du Hamma, de Fouka et de Cap Djinet.
Contrairement aux onze anciennes stations de dessalement construites entre 2005 et 2014 par des entreprises étrangères, les trois nouvelles l’ont été par des filiales de Sonatrach et Cosider. Ce qui constitue une première en Algérie. Le recours aux entreprises nationales permet ainsi de réduire les coûts, surtout en devises, des installations. En cet automne 2023, les stations de dessalement du centre du pays assurent une production quotidienne de 570.000 m3 d’eau potable. Une quantité qui reste tout de même insuffisante pour couvrir les besoins des populations des wilayas d’Alger, Boumerdès, Blida et Tipasa.
Auparavant, l’approvisionnement en eau était assuré en grande partie par neuf barrages hydrauliques implantés dans les wilayas de Tizi Ouzou, Boumerdès, Bouira, Alger et Blida. Ces barrages ont une capacité totale avoisinant 1,5 milliard de m3.
Théoriquement, ces ouvrages peuvent couvrir une part importante des besoins en eaux des populations du centre du pays. Sauf que ces infrastructures ont besoins d’une pluviométrie abondante pour se remplir. Selon le site info climat, du mois de janvier et jusqu’au mois de juin 2021, il n’a plut que 165 mm à Alger, 176 mm à Tizi-Ouzou, 141 mm à Bouira et 225 mm à Médéa. Une pluviométrie largement déficitaire pour permettre un remplissage acceptable des ouvrages hydrauliques. A fin juin 2021, les six barrages du centre du pays n’étaient remplis qu’à hauteur de 15%. Alors que le second plus grand barrage du pays, Koudiat Acerdoune, dans la wilaya de Bouira, n’était qu’à hauteur de 4% pour une capacité totale de 640 millions de m3. Deux autres grands ouvrages, celui de Taksebt dans la wilaya de Tizi Ouzou et Keddara dans la wilaya de Boumerdès, ne dépassaient pas les15%. En temps normal ces barrages pouvaient fournir jusqu’à 850.000 m3 d’eau potable par jour. Suite à la situation critique dans laquelle se trouvaient ces retenues d’eaux le Gouvernement s’est trouvé dans l’obligation de lancer un plan d’urgence de construction de nouvelles stations de dessalement et le forage de 290 puits. Pire encore, la région centre du pays n’était pas la seule à subir le stress hydrique. Pas moins de 22 wilayas étaient touchées par ce problème. A Oran et selon toujours le site info climat, pour toute l’année 2021, il n’a plut que 126 mm. A Tlemcen la pluviométrie n’avait pas dépassé les 173 mm et à Mascara les 182 mm. Le pire a été évité dans cette région grâce à l’existence de six stations de dessalements dotés d’une capacité théorique totale de production de l’ordre de 1,5 million de m3 par jour. Mais le Gouvernement devait tout de même procéder à une coûteuse opération de réhabilitation de la méga station d’El Macta dont la production dépassait difficilement les 250.000 m3 d’eau alors que sa capacité théorique était de 500.000 m3/jour.
Tandis qu’au mois de juillet 2022, les ingénieurs de l’Algerian Energy Compagny redémarraient la production de la station de Souk Tleta à Tlemecn, à l’arrêt depuis 2019. En général, seule une année de pluies abondantes peut effacer les séquelles d’une année de sécheresse. Mais en 2022, la situation hydrique du pays n’a pas connue d’amélioration. Conscient que le stress hydrique n’est plus conjoncturel, le Gouvernement anticipe et prend de nouvelles mesures. Le 5 juin 2022, le Conseil des ministres, présidé par Abdelmadjid Tebboune, décide de la réalisation, dans les délais impartis, de cinq nouvelles grandes stations de dessalement d’eau de mer d’une capacité unitaire de 300.000 m3. Deux seront construites dans le centre du pays, à Boumerdès et à Tipasa. La troisième sera implantée à Béjaïa et la quatrième dans la wilaya d’El Taref. Enfin, la cinquième sera édifiée à Oran.
Fort de l’expérience acquise dans la construction des trois nouvelles stations dans l’Algérois, ces nouveaux projets seront totalement réalisés par des entreprises algériennes. Un choix stratégique qui responsabilise les compétences nationales dans la maintenance de ses usines. L’entrée en production de ces cinq nouvelles stations, en chantier actuellement, à fin décembre 2024, rajouterait une capacité supplémentaire de 1,5 millions de m3 d’eau par jour. Avec les 2,2 millions de m3 de capacité actuelle, la production annuelle d’eau dessalée atteindrait 1,35 milliard de m3 en 2025.

Agriculture cherche eau pour l’irrigation
De janvier à mars 2023 et selon les statistiques du site info climat, deux des plus grandes wilayas productrices de céréales du pays, Tiaret et Sétif, ont reçues une pluviométrie inférieure à 100 mm. Ainsi, la wilaya de Tiaret n’a reçue que 81 mm de pluies durant cet hiver, avec des mois de mars et d’avril où il n’y a eu, respectivement, que 8,8 et 0,6 mm.
Dans la wilaya de Sétif, la situation est plus dramatique. Cette région réputée pour son blé depuis l’antiquité n’a reçu que 52 mm de pluies avec des niveaux presque nuls les mois de mars et d’avril avec respectivement 4,2 et 6,2 mm. Cette faible pluviométrie a touché l’ensemble des régions du Nord du pays. Cette sécheresse a anéantie les efforts du Gouvernement visant à augmenter le rendement moyen de blé à 30 quintaux à l’hectare. Si en 2020 et suite à une pluviométrie moyenne, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, la production avait atteint les 44 millions de Qx, elle baissera à 27,65 millions en 2021. En 2022, elle remontera à 41 millions de Qx avant de chuter en 2023 suite à un hiver sec.
Avec le changement climatique et l’irrégularité des pluies l’irrigation d’appoint des cultures céréalières devient incontournable pour augmenter la production. Lors de la campagne 2022/2023, le Gouvernement tablait sur l’irrigation d’appoint de 200.000 hectares de terres céréalières. Cet objectif permet d’assurer la production de semences en cas de stress hydrique. Certains estiment qu’il faudrait irriguer un millions d’hectares pour assurer une production acceptable de blé en cas de sécheresse.
L’irrigation d’appoint d’un hectare de blé dans le Nord du pays nécessite entre 1.000 et 1.500 m3 d’eau, suivant la pluviométrie. Dans le Sud du pays, le même hectare de blé nécessite 6.000 m3 d’eau en raison de l’absence totale de pluviométrie.
Le Gouvernement a-t-il les moyens de mobiliser jusqu’à 1,5 milliard de m3 d’eau annuellement pour l’irrigation d’appoint d’un million d’hectares de blé dans le Nord du pays ?
En janvier 2025, les cinq nouvelles stations de dessalement produiront 550 millions de m3 d’eau supplémentaire. Cette quantité vient ainsi alléger le recours aux barrages hydrauliques et aux nappes phréatiques pour alimenter les populations en eau potable. La construction de six autres stations d’une capacité unitaire de 300.000 m3 sera lancée en 2025. En 2030, le Gouvernement prévoit d’assurer 60% des besoins du pays en eau potable grâce au dessalement, contre seulement 18% en 2023. La quantité annuelle d’eau dessalée passerait ainsi de 1,35 milliard de m3 en 2025 à plus de 2 milliards en 2030. L’eau dessalée arrivera jusqu’à une profondeur moyenne de 150 km dans la bande Nord du pays. Cet objectif permettrait ainsi d’orienter des quantités importantes des eaux superficielles et celles des nappes phréatiques vers l’agriculture. Il y a également l’épuration des eaux usées. Le pays compte 211 stations de traitement des eaux usées pouvant traiter près d’un milliard de m3. Selon les statistiques du ministère des Ressources en eaux, les besoins en eau potable du pays sont de l’ordre de 3,6 milliards de m3.
Ainsi, les capacités théoriques actuelles d’épuration des eaux usées représentent moins de 30% des rejets. Avec les changements climatiques la réutilisation des eaux usées dans l’agriculture est devenue incontournable.
Construire une station d’épuration des eaux usées devient aussi importante que celle d’une station de dessalement. Si le pays arrive à traiter la moitié des eaux usées, cela représente l’équivalent de 1,5 milliard de m3 d’eau qui pourraient bénéficier à l’agriculture. En 2022, seulement 7,3 milliards de m3 d’eau ont été mobilisés au profit de l’agriculture. Mais la disponibilité de l’eau ne suffit pas à elle seule à garantir la sécurité alimentaire.
En 2022, une commission multisectorielle, composée de chercheurs et d’experts, s’est penchée sur les difficultés qui entravent le développement de la production céréalière. Réaliser l’objectif de faire augmenter la production doit tenir compte des résultats des études scientifiques menées par les experts. Des études qui détermineraient les superficies aptes à une irrigation d’appoint permettant de hauts rendements céréaliers.
Par ailleurs, la stratégie du Gouvernement visant le renforcement de la sécurité alimentaire prend en compte le Sud du pays.
De juillet 2021 à juin 2023, pas moins de 400.000 hectares ont été proposés à l’investissement par le ministère de l’agriculture dans huit wilayas du Sud.
Des projets qui pourraient donner leurs premiers fruits à partir de 2025. Assurer l’accès à l’eau potable et répondre aux besoins alimentaires des populations restent les défis majeurs que doit relever le gouvernement à l’avenir.
M. Chermat