Les Babyloniens maîtrisaient déjà son théorème

1.000 ans avant Pythagore

Nouveau coup de tablettes sur le légendaire théorème attribué au mathématicien grec Pythagore. Le philosophe du VIe siècle av. J.-C. aura été présenté à d’innombrables générations de collégiens comme un amateur de triangles (pas les sandwichs). Mais les scientifiques et archéologues apportent de nouvelles preuves : si le carré de l’hypoténuse est égal à la somme du carré des deux autres côtés, indéniables, Pythagore n’y serait pour rien.

Les conclusions de recherches publiées en septembre 2009 avaient déjà ébranlé l’édifice : de fait, qu’on ait associé le nom de Pythagore au théorème découle d’une douce mystification. Aucune preuve tangible ne le démontre — sauf à accorder une confiance aveugle à Euclide, mathématicien du IVe siècle av. J.-C.. Considéré comme le père de la géométrie, c’est lui qui évoque le théorème dans l’ouvrage Éléments. Et encore, c’est en citant Proclus, qui prit la direction de l’Académie de Platon et lui-même important mathématicien.
Sauf que l’un comme l’autre attribue à César ce qui ne lui revient peut-être pas du tout.

«By the rivers of Babylon…»
Les recherches de Bruce Ratner montraient d’ailleurs que des écrits babyloniens remontant à 1000 années avant la naissance estimée de Pythagore (580 av JC) décrivent le fameux calcul. Une tablette d’argile, certes, qui ne vaut pas une gravure dans le marbre, mais démontre bien que d’autres civilisations avaient connaissance de ce principe.
Et Ratner d’approfondir : dans cette région du Proche-Orient, entre le Tigre et l’Euphrate (actuel Irak), les découvertes archéologiques de milliers de tablettes au cours des deux derniers siècles prouvent l’intérêt pour l’astronomie des Babyloniens. Et la grande majorité des éléments exhumés attendent encore d’être étudiés.
Celle de la collection de l’université de Yale (n° 7289) datée entre 1800 et 1600 av JC montre un carré dans lequel ont été dessinés quatre triangles rectangles — l’élément essentiel du théorème.

Créer des angles droits, plus facile à dire qu’à faire
2021, nouveau coup de boutoir : Daniel F. Mansfield publie un ensemble d’études sur les rectangles, en s’appuyant sur la tablette Plimpton 322. Et de rappeler avant toute chose que la mathématique telle que la pratiquaient les Mésopotamiens avait une application concrète immédiate : les calculs servaient tout aussi bien dans l’administration qu’en ingénierie ou pour la topographie — le tout pratiqué par des professionnels formés.
La tablette évoque bel et bien les questions trigonométriques, sans avoir rien de commun avec l’usage que les astronomes grecs en faisaient pour des calculs et analyses du ciel. Leur approche à travers les rectangles découlerait plutôt d’une résolution de difficultés rencontrées par des géomètres mésopotamiens, lors de mesure du sol.
Il n’empêche que le calcul demeure le même que celui à qui Pythagore a prêté, peut-être très involontairement, son nom.
La Plimpton 322 avait fait l’objet de nombreux exposés au fil du temps et Daniel F. Mansfield, chercheur australien, fit grand bruit en ajoutant à cette première un second artefact, abrité à Istanbul, le Si.427 : tout rond, ce vestige fut retrouvé à la fin du XIXe siècle et remontant à quelque 3700 ans — bien avant Pythagore, donc. Il serait le plus ancien élément attestant des origines de la géométrique appliquée, revisitant fondamentalement l’ensemble des travaux sur ce pan de l’histoire humaine.
«C’est le seul exemple connu d’un document cadastral de la période de l’ancienne Babylonie : il s’agit d’un plan utilisé par les géomètres pour définir les limites des terrains. Dans ce cas, il nous donne des détails juridiques et géométriques sur un champ qui est divisé après qu’une partie en a été vendue », note le chercheur australien. «Personne ne s’attendait à ce que les Babyloniens utilisent des triplets pythagoriciens de cette manière. Cela ressemble davantage à des mathématiques pures, inspirées par les problèmes pratiques de l’époque », soulignait-il.

Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Sollicitée par Sciences et Avenir, l’historienne des mathématiques Christine Proust relativise avec délicatesse. « Mansfield n’a pas découvert les cadastres, ni l’existence du cadastre Si 427, ni les maths appliquées en Mésopotamie, ni l’utilisation de la propriété de Pythagore dans les textes mathématiques cunéiformes. Mais il a trouvé des triplets pythagoriciens dans un cadastre. Ce n’est pas rien, même si ce n’est pas aussi surprenant qu’il le prétend. »
Et d’ajouter : « Les «mathématiques appliquées», en particulier l’application de la géométrie à l’arpentage, sont à peu près aussi anciennes que les mathématiques elles-mêmes, et remontent sans doute à la fin du 4e millénaire avant notre ère. »
« On sait depuis longtemps que la géométrie mésopotamienne a servi pour établir des cadastres », confirme Grégory Chambon, autre historien des maths. En somme, on continuera longtemps encore de désigner le théorème comme celui de Pythagore, tout en reconnaissant un peu plus encore que les Babyloniens ont résolument forgé une partie de l’histoire antique. Avec un sens plus pratico-pratique que les philosophes grecs, probablement…
C.S.