Comprendre l’essence du processus inflationniste en Algérie

Sécurité nationale, transfert illicite des capitaux et inflation importée

Les orientations du dernier Conseil des ministres en date du 15 octobre 2023 sont axées essentiellement sur la préservation du pouvoir d’achat afin de préserver la sécurité nationale via la cohésion sociale. Le président de la République jugeant cette situation préoccupante a ordonné au Gouvernement la levée des contraintes qui menacent la sécurité nationale.

Comprendre le processus inflationniste en Algérie implique, à la fois, de le relier à l’inflation mondiale aux équilibres macro-économiques et macro- sociaux internes, selon une vision pluridisciplinaire dynamique, à la répartition du revenu par couches sociales.
L’ONS, organe officiel du gouvernement, dans son dernier rapport de septembre 2023 a établi l’évolution de l’indice des prix de certains biens de consommation entre août 2001 et août 2023 sur une période d’environ 20 ans où la hausse des prix, biens de consommation durables et non durables a fluctué, en dehors des produits subventionnés, selon les produits entre 300 et 500% , ayant atteint de 2022 à septembre 2023 un taux entre 9/10%. Je recense sept facteurs interdépendants qui expliquent le processus inflationniste.
La première raison, est l’inflation importée, puisque 85% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, proviennent de l’extérieur. La sécurité alimentaire mondiale est posée car outre les effets du réchauffement climatique via la pénurie d’eau douce, les prix des produits agricoles connaissent un prix élevé surtout depuis la crise en Ukraine.
La deuxième raison, est la faiblesse du taux de croissance interne, résultant de la faiblesse de la production et de la productivité , résultante du déséquilibre entre l’offre et la demande, les pénuries entraînant forcément des actions spéculatives, tout en pénalisant pour bon nombre de matières premières les entreprises fonctionnant en sous capacités avec forcément une hausse des prix, le premier ministre ayant récemment pointé du doigt même la pénurie de médicaments. Pour son équilibre budgétaire, selon le FMI.
Et en référence à la loi de finances 2023, l’Algérie a besoin d’un baril de pétrole à près de 149,2 dollars, dans son rapport d’octobre 2022 contre 135 dollars pour l’exercice 2020/2021 et 100/109 pour l’exercice 2019/2020. Qu’en sera-t-il pour la loi de finances 2024 où il est prévu une augmentation des dépenses, l’équilibre budgétaire dépendant avant tout des recettes de Sonatrach qui ont été de 60 milliards de dollars en 2022 pour un cours moyen de 106 dollars le baril et 16 dollars le MBTU pour le gaz, avec une moyenne de 80 dollars pour l’année 2023 et 11/12 dollars le MBTU les recettes devraient se situer entre 45/50 milliards de dollars, pour le profit net devant retirer les coûts et la part des associés.
Selon le Premier ministère, l’assainissement des entreprises publiques ont coûté au Trésor public, environ 250 milliards de dollars, durant les trente dernières années à fin 2020, dont plus de 90% sont revenues à la case de départ et plus de 65 milliards de dollars de réévaluation, les dix dernières années à fin 2020, faute de maîtrise de la gestion des projets.
Malgré des dépenses en devises importantes entre 2000/2020 (sans compter les dépenses en dinars), la croissance a été dérisoire, en moyenne annuelle, de 2/3%,, alors qu’elle aurait dû dépasser 9/10% alors qu’il faut pour l‘Algérie un taux de croissance de 8/9% par an sur plusieurs années pour pouvoir absorber le flux additionnel d’emploi d’environ 350.000/400.000/an qui s’ajoute au taux de chômage actuel qui paradoxalement frappe les diplômés, estimé en 2022 par le FMI à plus de 14%, le taux d’emploi incluant les emplois rente improductifs.
La troisième raison, est la dépréciation officielle du dinar.
Le cours officiel est passée (cours achat) en 1970, à 4,94 dinars un dollar, en 1980 à 5,03 dinars un dollar ; – 2001 : 77,26 dinars un dollar et 69,20 dinars un euro– 2020 : 128,31 dinars un dollar -; en 2022 140, 24 pour un dollar et 139,30, un dinar pour un euro.
Le cours au du 16 au 18 octobre 2023 du marché officiel selon la banque d’Algérie est de 144,87 dinars pour un euro cours achat, et 144,94 cours vente, 137,62 dinars un dollar cours achat, 137,63 cours vente, et sur le marché parallèle cours achat 228 dinars un euro et 216 dinars un dollar cours achat, 218 dinars un dollar cours vente.
La dépréciation officielle du dinar permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d’hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens , montant accentué par la taxe douanière s’appliquant à la valeur du dinar, supportée, en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.
L’accroissement des effets inflationniste, outre l’inflation importée est la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance.
La quatrième raison est l’accroissement de la population algérienne avec des besoins croissants qui a évoluée ainsi :1960 11,27, – 1970 14,69, -1980 19,47, -1990 26,24, -2010 à 37,06 – et au 01 janvier 2023 plus de 45 millions et d’ici 2030 serait de 51,026 millions. (voir étude pour la présidence de la république sous la direction du Pr Abderrahmane Mebtoul pour la révision salariale, pression démographique, inflation et évolution salariale (4 volumes 560 pages .2008 et les axes du redressement national horizon 2030 assisté de 15 experts (8 volumes. 920 pages premier ministère 2015 dont les recommandations n’ont pas été suivies).
La cinquième raison, est l’importance du marché informelle qui contrôle plus de 50% de la superficie économique .C’est une erreur de politique économique( mentalité bureaucratique du passé) que de vouloir plafonner les prix par décision administrative, car pour toute entreprise ou commerce le prix directeur doit couvrir les charges , le cas contraire, cela a pour conséquence soit la fermeture des entreprises ou du commerce ou l’orientation vers la sphère informelle , à moins que l’Etat subventionne. Car même les prix des produits non subventionnées au cours du dinar officiel, s’alignent sur le cours du dinar sur le marché parallèle amplifiant l’inflation et s’étendant en période de crise.
Pour la Banque d’Algérie il y a plus de 6200 milliards de dinars de la masse monétaire en circulation hors banques soit au cours de 137 dinars un dollar 45,25 milliards de dollars.
Le Président de la république avait dénoncé l’effritement du système d’information et donné un montant variant entre 6000 et 10.000 milliards de dinars.
L’annonce de l’ouverture de bureaux de change qui ne date pas d’aujourd’hui puisque les dispositions du règlement n°95-07 du 23 décembre 1995 modifiant et remplaçant le règlement n°92-04 du 2 mars 1992 relatif au contrôle des changes notamment ses articles 10 à 15, plus de 40 bureaux de change avaient été agréés, aucun n’étant opérationnel.
Sa réussite suppose une démarche progressive, la stabilité juridique et monétaire par la maîtrise du processus inflationniste, la refonte du système financier dont les banques publiques accaparent plus de 85% des crédits octroyés et que si l’écart entre l’officiel et le marché parallèle est entre 10/15% minimum ,car dans la pratique des affaires pas sentiments.
La sixième raison est l’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar, qui a un effet négatif sur toutes les sphères économiques et sociales, dont le taux d’intérêt des banques qu’elles devraient relever de plusieurs points, s’ajustant aux taux d’inflation réel et freinant, à terme, le taux d’investissement à valeur ajoutée.
Par ailleurs face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, nous assistons à la déthésaurisation des ménages qui mettent des montants importants sur le marché et pour se prémunir contre l’inflation, l’inflation, plaçent leur capital-argent dans l’immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées, facilement stockables l’achat d’or ou de devises fortes. (voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations internationales IFRI Paris (Les enjeux stratégiques de la sphère informelle -2013-reproduite en synthèse réactualisée dans la revue Stratégie IMDEP du ministère de la défense nationale).
La septième raison, est la fraude fiscale et la corruption à travers les surfacturations qui se répercutent sur le prix final des biens et accroît le processus inflationniste, la numérisation n’étant qu’un moyen à impacts limités pour le recouvrement sans un véritable système d’information à la base.
La directrice générale des Impôts le 4 avril 2023 a fait état de 6000 milliards de dinars d’impôts non recouvrés soit au cours actuel, 44 milliards de dollars.
Pour les transferts illicites de capitaux à l’étranger, selon les données du FMI, les entrées en devises entre 2000/2021 sont estimées, approximativement, autour de 1100 milliards de dollars avec une importation de biens et services de plus de 1050 milliards de dollars le solde étant les réserves de change au 31/12/2020 et une surfacturation entre 10% et 15% donnerait un transfert illicite de devises entre 100 et 150 milliards de dollars entre 2000/2020 placés dans l’achat de biens, ou de tierces personnes ayant la nationalité étrangère et dans des paradis fiscaux où il est difficile de les récupérer.

En conclusion , du fait de l’effritement du système d’information, vision paternaliste-bureaucratique du passé alors qu’avec Internet le monde est devenu une maison de verre, nous assistons à des déclarations en contradiction avec la réalité sociale.
Ainsi et après la grande pénurie que connaissait le pays après la crise de 1986, à l’ENTV un ministre algérien avançait avec assurance que le marché était saturé selon les données en sa possession; la présentatrice lui rétorquant s’il a fait un jour le marché et que la population algérienne ne mangeait pas les chiffres. Comme cette image de la télévision algérienne vers les années 2005 où à une question sur le taux de chômage, un ministre affirme que les enquêtes donnent 6/8%, inférieur à celui de certains pays développés ; le journaliste étonné de ce miracle lui répliqua : êtes-vous sûr de vos données ? Oui, répond le ministre.
Ce à quoi le journaliste, répliqua sous l’œil amusé de la présentatrice, non convaincue d’ailleurs, qu’il irait faire un tour dans les quartiers Algérie et qu’il dirait aux chômeurs que dorénavant leur appellation n’est plus chômeur mais travailleur. Et vers les années 2007, un autre ministre affirme qu’en Algérie, selon ses données, il n’y a pas de pauvres mais des nécessiteux, le journaliste lui demandant quelle est la différence.
Et plus récemment, un autre ministre vers les années 2018 annonçait que grâce à l’agriculture saharienne l’Algérie allait devenir le premier producteur agricole en Afrique, le journaliste lui répliqua s’il avait tenu compte que l’Algérie est un pays semi-aride, des différents coût d’exploitation, dont les différents infrastructures nécessaires, l’électricité, le gaz, le transport, des nappes phréatiques qui ne se renouvellent pas et à quel profondeur puiser l’eau, avec de surcroît de l’eau saumâtre dans la majorité des cas et des vents de sable, des réponses évasives du ministre qui semblait ne pas maîtriser le sujet, en espérant que l’on saura tirer les leçons car de 2018 à 2023, la facture alimentaire avoisine les 8/10 milliards de dollars an.
Nos responsables doivent nuancer leurs déclarations euphoriques loin de la réalité économique et sociale qui jouent comme facteur de démobilisation auprès de la population algérienne.

Professeur des universités
Expert international
Abderrahmane Mebtoul