Les pays méditerranéens à longues traditions orales

Poésie, proverbes, légendes

Heureusement que l’homme a inventé l’écriture pour immortaliser une bonne partie de ce qui s’est dit sur les places publiques, raconté à l’école, au coin du feu, colporté d’une aire géographique à une autre grâce aux poètes errants ou itinérants.

Depuis longtemps, des hommes et femmes de lettres doués pour l’écriture et conscients de la nécessité de sauver d’un oubli certain, une bonne partie du patrimoine oral, produit du génie populaire étalé sur des siècles d’histoire marqués par des productions orales, dans une diversité de genres populaires comme la poésie, les légendes, les proverbes, les contes, les chants, les mythes.
Ceci pour dire que l’homme a toujours eu pour souci majeur d’aider les autres à mieux comprendre la vie, à leur apporter un réconfort moral moyennant des sentiments humains comme la solidarité, la compassion et l’altruisme. La langue, canal de la communication depuis la nuit des temps, s’est développée grâce à ces artisans du langage de tous les temps. Un travail de récupération admirable, en Afrique du nord Grâce à l’écriture, on a pu reconstituer tout ce qui est patrimoine ancien. Même les étrangers qui se sont introduits dans nos sociétés traditionnelles, à l’exemple de Lacoste, Dujardin, Grinn, Fanny Colonna, ont réalisé des recueils admirables, un plus considérable à notre patrimoine oral.
On connaît de Mouloud Mammeri, un recueil d’œuvres anciennes, en version originale accompagnée de traductions d’assez bonne facture. L’auteur les a enregistrées auprès de son vieux père qui, lui, les avait mémorisées. Parmi ces poèmes, il y avait même classée parmi les légendes religieuses, l’histoire de Sidna Youcef en près de 300 vers en tamazight composés par un érudit de l’oralité que le père de Da l’Mouloud récitait sans se tromper ; cela lui demandait plus d’une demi-heure. Le même auteur a reconstitué en version originale traduit en français, l’ensemble des poèmes que Si Mohand avait composés. Ce dernier était lettré en langue arabe, mais ses poèmes, il les composait en tamazight, mais jamais il n’avait répété un seul. Il fallait écouter attentivement et mémoriser.
En Afrique du Nord, il y a d’autres maîtres de la langue, souvent polyglottes qui ont élaboré des œuvres romanesques inspirées du patrimoine culturel oral. Ce fut le cas de Taha Hussein, incontournable dans toute anthologie de la littérature arabe. Aveugle à 3 ans, Taha Hussein a fait de hautes études et a réussi à se hisser parmi les grands de la littérature. Il est traduit partout. Handicapé par rapport aux enfants de son âge, il a vécu parmi les hommes en accompagnant son père lorsqu’il allait dans les lieux publics. Il écoutait d’une oreille attentive tout ce qui se disait sous forme d’histoires, de poésies, anecdotes drôles, de légendes au quotidien, dans les cafés maures ou tout autre espace d’échange paroliers. Il accompagnait également sa mère quand celle-ci allait à la rencontre des autres femmes qui lui apportaient beaucoup en littérature populaire, faits divers, histoires de vie intime. Il retenait tout, y compris les affinités de la langue.
C’est ce savoir populaire acquis lui-même sur le terrain qui fait la beauté de ses romans, particulièrement El Ayyam. En Algérie, on retrouve des pans importants de notre littérature ancienne chez Kateb Yacine dont la mère était férue de poésie populaire ancienne. Lorsqu’on lit Benhadouga, on entre de plain-pied dans l’univers des traditions algériennes, surtout dans le roman La fin d’hier. L’influence des meddahs et sages d’antan, est évidente chez Féraoun. Il y a souvent recours lorsqu’il veut expliquer ce qu’il y a de plus abstrait dans les principes de conduite ou les convenances sociales.
La terre et le sang donne à lire une légende des temps anciens dont les sages se servent comme moyen de persuasion dans les conflits de famille. Un personnage de ce roman devait tuer pour venger son frère, quelqu’un qui rentrait de France. Mais avant de se venger, il lui a fallu d’abord consulter un sage aux Ath Djennad qui lui raconta cette légende après qu’il lui eut relaté son projet de vengeance en ciblant un homme revenu de France et soupçonné d’avoir tué le frère en question. Il lui dit que dans un village, il y avait un maître d’école qui avait fait le bonheur des enfants et de leurs parents par ses qualités pédagogiques. Le roi avait appris la nouvelle et l’avait convoqué. Le monarque l’avait mis devant un choix : prendre en charge un élève pendant 3 ans, ou se faire couper la tête en cas de refus. Le maître réfléchit et au bout de quelques minutes, il se dit à lui-même : le roi m’a donné trois ans pour instruire l’élève, il vaut mieux que j’accepte pour avoir un sursis, si je refuse, il me tuerait tout de suite après. Il accepta, le roi demanda à un de ses esclaves d ‘aller chercher l’élève : un jeune chameau. Il partit avec la bête. Et au bout de trois ans, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts : le roi mourut, le maître gagna un chameau et eut la vie sauve». Moralité retenue : lorsqu’on a un acte grave à accomplir, il faut penser aux conséquences et quelquefois en temporisant, les choses se règlent d’elles-mêmes.

Aèdes de l’Europe méditerranéenne
Les œuvres maîtresses qui retiennent l’attention sont l’Iliade et l’Odyssée que l’on dit d’Homère de l’île de Crète (7e siècle av JC). En réalité, les deux légendes sont bien plus anciennes. Elles seraient venues d’Asie mineure vers le 13e siècle av JC. Homère qui allait de village en village, n’a fait que les raconter à la manière des meddahs de chez nous. Même la Tunisie l’a vu passer, la Crète n’étant pas loin. Les belles légendes de Rabelais sont d’une beauté incomparable et viendraient elles aussi des temps anciens. Elles auraient été trouvées sur des tablettes en argile provenant probablement des Sumériens. Rabelais qui a contribué avec Cervantès à la naissance du genre romanesque, allait raconter les histoires qu’il avait recueillies sur les places publiques, pour donner du goût à la vie en créant une ambiance de détente auprès de public frustré.
Parmi les histoires venues de Rabelais, citons : Les moutons de Panurge, Le portefaix et le rôtisseur. Et qui ne connaît pas La chanson de Roland composée dans des conditions particulières de guerre entre peuples européens : Pyrénéens et Savagnins». On la situe au 5e siècle mais elle doit remonter à plus loin dans le temps. Cette chanson rapporte des faits héroïques, il s’agit d’une grande bataille qui a opposé à Roncevaux en 778 ap JC, les armées de Charlemagne aux Savagnins. Le poète de ce récit guerrier est inconnu. Et l’aède qui l’a rapporté a vécu au 12e siècle, au temps des Croisades, et la chanson de Rolland n’est qu’un pur récit de fiction.

Abed Boumediene