« Les tragédies qui se déroulent en Palestine nous bouleversent tous » (II)

Candice Vanhecke

Journaliste indépendante belge, Candice Vanhecke a été chercheuse à l’Institut d’Etudes du Judaïsme (Université Libre de Bruxelles), avant d’être engagée comme journaliste à l’édition belge du newsmagazine Marianne, devenu ensuite M-Belgique, disparu aujourd’hui, où elle était spécialisée dans le domaine des religions et de la laïcité, des relations interculturelles et de la radicalisation violente.
C’est quelque chose dont on n’entend absolument pas parler en Occident. On n’entendra parler des victimes palestiniennes que s’il y a eu des victimes israéliennes, et l’on va alors relater l’histoire à peu près complète, mais les colons ou l’armée qui assassinent presque quotidiennement les Palestiniens, on ne le sait pas. Alors évidemment, avec cette attaque du 7 octobre, l’opinion publique s’est réveillée en se demandant « pourquoi ? », « pourquoi le Hamas attaque ainsi Israël, c’est un agression gratuite ». On n’a pas vu du tout les attaques de Palestiniens à la mosquée Al-Aqsa, etc. Je signale quand même cette position d’une ministre du gouvernement espagnol qui, avant le bombardement de l’hôpital, avait déclaré qu’il fallait traduire Netanyahou devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. Donc, ça bouge. Il y a aussi la parlementaire belge écolo, Saskia Bricmont, et il y en a d’autres, ce n’est pas la majorité, mais qui parlent du génocide qu’il faut absolument stopper. Mais le problème, c’est que cela ne va pas être la position d’une Ursula von der Leyen qui n’est pas élue par les citoyens et ne représente pas grand-chose parce que la Commission européenne – et l’on sait comment fonctionnent les institutions européennes qui ne sont pas démocratiques -, est l’institution qui prend le plus de décisions. Il y a un non-respect de la volonté citoyenne, mais j’ai bon espoir que cela commence à bouger auprès des opinions publiques sinon c’est à désespérer de l’humanité ici.

On a vu Antony Blinken participer au Conseil de guerre restreint lors de sa visite en Israël. Il l’a pratiquement présidé. Joe Biden aussi qui a affirmé son soutien à Israël, avec notamment la présence des deux porte-avions Eisenhower et Gerald Ford ? N’est-ce pas une guerre américaine contre le peuple palestinien ?
Je dois d’abord préciser que je ne suis pas analyste géopolitique et mon opinion vaut ce qu’elle vaut, mais je pense que le lobby pro-israélien est très puissant aux Etats-Unis et que c’est cela qui motive en grande partie cette position américaine. Personnellement, je ne suis pas certaine que les Etats-Unis seraient très enthousiastes pour entrer dans une guerre dans cette région. Il y a le front ukrainien et l’on voit dans les sondages que la population américaine est de moins en moins favorable à soutenir économiquement la poursuite de guerre interposée dirigée contre la Russie. Actuellement, le grand ennemi des Etats-Unis est surtout la Chine, et s’ils devaient concentrer leurs efforts, ce serait plutôt de ce côté-là. Je pense que ça ne les arrange pas forcément, mais ils sont dans cette logique de soutien indéfectible à Israël qui pourrait effectivement les entraîner plus loin qu’ils ne le voudraient à un niveau militaire, ce qui serait absolument catastrophique pas seulement pour la région mais pour le monde.

N’y a-t-il pas une arabophobie en Occident et en Europe ?
Vous le savez bien. Je crois qu’on pouvait parler d’arabophobie avant 2001 et maintenant on parle d’islamophobie. Avant, le problème, c’était les Arabes, après 2001, c’est devenu les musulmans, et cela va nous poser un très gros problème, parce qu’on risque d’avoir de nouveau des attentats sur le sol européen. Et c’est l’un des éléments de la propagande israélienne qui fait l’amalgame entre la résistance palestinienne en disant que les groupes de résistance palestinienne sont l’équivalent de Daech. L’amalgame va être très facile et l’on risque de voir encore plus de censure envers tous les soutiens à la cause palestinienne qui risquent d’être assimilés à des soutiens aux terroristes. C’est déjà le cas maintenant, on a eu deux attentats, un en France et un autre à Bruxelles. Les tragédies qui se déroulent en Palestine nous bouleversent tous, et évidemment l’Etat islamique peut s’en servir, mais outre cela, des gens fragiles psychologiquement peuvent faire des horreurs aussi.
Et pourtant Daech et Al-Qaïda, historiquement parlement, sont des créations américaines de l’aveu même d’Hillary Clinton.
Oui, mais le monstre a échappé à son concepteur. Les Etats-Unis n’ont jamais soutenu les mouvements laïcs en terre arabe, mais bien les mouvements islamistes les plus radicaux. C’est certain. Le problème, c’est que la bête a échappé à son créateur.
Et on a vu aussi Netanyahou visiter un hôpital de campagne dans le Golan où étaient soignés des terroristes d’Al Nosra, c’est-à-dire Al-Qaïda…

J’aimerais bien revenir sur cette affirmation concernant les quarante bébés égorgés qui a été relayée par une journaliste britannique puis par une journaliste de CNN, et qui a même été reprise par Joe Biden en personne. Comment expliquez-vous cette propension au mensonge qui est structurelle dans le monde occidental ?
Je crois que personne n’échappe aux procédés de propagande. L’histoire des quarante bébés décapités, c’est un instrument de propagande qui a bien fonctionné et qui fonctionnera le temps qu’il faut. Cela me fait penser à un tweet qui résume bien les choses où l’on disait qu’on avait retrouvé les quarante bébés décapités dans des couveuses koweitiennes, faisant référence à un autre élément de la propagande. Le vrai scandale, ce sont les journalistes qui relaient ce type d’information sans preuves. Il y a ce parti pris que si ça vient d’Israël, c’est la vérité, si les informations relatant les horreurs commises par Tsahal viennent du côté palestinien, ce n’est pas du tout pris de la même manière. Le pire, c’est que nos médias sont plus sensibles à la propagande israélienne et beaucoup moins libres que certains médias comme Haaretz en Israël qui arrive à avoir un regard plus critique que les médias occidentaux. Il y a des propos qui arrivent à passer alors qu’ici, ils ne passeraient jamais. Ici, rien que le fait de parler de résistance palestinienne, c’est directement « donc, vous soutenez le terrorisme ». Simplement se remettre dans le contexte d’une problématique coloniale et qu’il ne s’agit pas d’une guerre de religion ou autre, c’est un narratif qui ne passe pas ici. C’est un gros problème qu’il va falloir déconstruire et c’est ce à quoi on va s’atteler dès que l’actualité sera un peu moins chaude, avec Télé Palestine notamment.
Concernant les accusations d’apologie du terrorisme, un joueur de l’équipe nationale algérienne, Youcef Atal, vient d’être suspendu de son club, l’OGC Nice, parce qu’il a soutenu la Palestine.
La France devient totalement folle dans cette histoire. En Belgique, c’est un peu plus mesuré, heureusement, mais la France qui a interdit des manifestations, qui a arrêté et assigné en résidence la représentante du FPLP, Mariam Abudaqa… on a bien compris que le « Je suis Charlie » n’était pas pour tout le monde. Au niveau de la liberté d’expression, on s’assoit dessus allègrement.

Pourquoi, d’après vous, chaque fois que quelqu’un est contre le colonialisme infâme de l’entité sioniste d’Israël, on le traite d’antisémite ?
En Europe, ce qu’on ne réalise pas, c’est qu’il y a encore un flot d’antisémites. Il y a encore des profanations de tombes juives avec des croix gammées qui sont taguées dessus. C’est quelque chose qui existe encore. Et c’est aussi un problème auquel on fait face. Ce n’est pas une histoire qui appartient totalement au passé. On voit dans des mouvements d’extrême-droite en Europe, que ce soit en France, en Belgique, en Allemagne, il y a encore des gens qui sont de véritables antisémites. Et donc, la difficulté des antisionistes, c’est d’arriver à se distinguer, parce qu’évidemment, et c’est la propagande israélienne qui a essayé de faire l’amalgame Juif=sioniste, et si on s’attaque aux sionistes, alors on s’attaque aux Juifs, et on est antisémite. De plus, comme le véritable antisémitisme n’a pas totalement disparu d’Europe, l’amalgame est facile à faire et il est très compliqué de parler de ces sujets.

Vous avez un projet qui s’appelle Télé Palestine. Pouvez-vous nous en parler ?
Nous avons décidé de lancer cette chaîne parce qu’on trouvait que le traitement de la question palestinienne était déplorable, et ce, bien avant ce qu’il se passe actuellement. On ne pouvait pas en parler librement, car on donnait toujours la parole à des pro-Israéliens, on ne savait pas les crimes qui étaient commis quotidiennement contre les Palestiniens, et au-delà de ça, on avait envie de parler de la réalité quotidienne des Palestiniens, de ce qui fait la richesse de ce peuple, sa culture, son patrimoine, parce que cela fait aussi parti de l’entreprise sioniste d’essayer d’effacer la mémoire et de s’approprier la culture et la richesse du patrimoine palestinien. C’est aussi quelque chose à combattre, mais avant tout, évidemment, notre objectif était de dénoncer les crimes d’Israël de manière libre, sans censure, parce qu’on ne peut pas, actuellement en Occident, parler librement de ces sujets dans les médias pour les raisons dont on a discuté ici. C’est ça, la raison d’être de Télé Palestine. Nous sommes présents sur YouTube dans la chaîne d’Investig’Action, et sur les réseaux sociaux, et on voit qu’il y a énormément d’intérêt des gens parce qu’en Occident, il n’y a pas vraiment de liberté de parole sur ce sujet. Et encore moins de médias qui s’expriment à ce propos, et nous comptons remplir ce rôle journalistique sérieux, rigoureux, mais consacré à la question palestinienne dans son entièreté.

Mon pays l’Algérie ne reconnaît pas l’entité sioniste d’Israël et j’en suis fier. Que pouvez-vous dire à tous les résistant anti-impérialistes et antisionistes en Algérie et à travers le monde ?
Je crois que l’Histoire est de notre côté. Chaque entreprise coloniale a toujours été une injustice, et on a affaire à la dernière entreprise coloniale européenne, et le sens de l’Histoire a toujours été du côté de la libération des peuples.
De toute façon, l’Occident est en déclin, nous sommes en train d’entrer dans un monde beaucoup plus multipolaire, donc ça va bouger. Mais j’espère que ça va bouger avant qu’on arrive à un équilibre des forces au niveau mondial. Je n’ai pas le moindre doute que la Palestine sera libre, et plus tôt qu’on ne le pense, parce que nous sommes entrés un cran trop loin dans l’horreur et on ne peut pas accepter ça. Espérons que les Israéliens le comprennent et se décident enfin à une solution à un seul Etat où tous les citoyens de Palestine et d’Israël auront les mêmes droits, parce que s’ils n’acceptent pas cela très vite, on va au-devant de grandes tragédies.

(Suirte et fin)
Interview réalisée
par Mohsen Abdelmoumen