Risque de tensions planétaires et de conflits armés

Les enjeux géostratégiques de la pénurie de l’eau au niveau mondial

Viktor Schauberger «l’eau est le sang de la terre, le support de toute vie» et Antoine de Saint-Exupéry «Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir, on te goûte, sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie : tu es la vie.»

Plus de 40% de la population mondiale est établie dans les 250 bassins fluviaux transfrontaliers du globe où ces populations doivent partager leurs ressources en eau avec les habitants d’un pays voisin. Or, une telle situation peut être à l’origine de conflits récurrents, notamment lorsqu’un cours d’eau traverse une frontière, car l’eau devient alors un véritable instrument de pouvoir aux mains du pays situé en amont. Aujourd’hui, les contentieux à propos de l’eau sont nombreux à travers le monde, notamment au Nord et au Sud de l’Afrique, au Proche-Orient, en Amérique centrale, au Canada et dans l’Ouest des États-Unis. Au Moyen-Orient des tensions peuvent s’accélérer. Au Proche-Orient, selon l’ONU, une dizaine de foyers de tensions existent. Ainsi l’Égypte, entièrement tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit néanmoins partager celles-ci avec dix autres États du bassin du Nil : notamment avec l’Éthiopie où le Nil bleu prend sa source, et avec le Soudan où le fleuve serpente avant de déboucher sur le territoire égyptien. Quant à l’Irak et à la Syrie, ils sont tous deux à la merci de la Turquie, où les deux fleuves qui les alimentent, le Tigre et l’Euphrate, prennent leur source. Grâce aux nombreux barrages qu’elle a érigés sur le cours supérieur du fleuve, la Turquie régule le débit en aval. Autre point névralgique ? l’Asie du Sud-Est, qui pourrait bien devenir une poudrière où le nord-est de la Chine recèle seulement 15% des ressources en eau du pays pour 45% de sa population totale. D’où les projets du gouvernement pour pomper l’eau au sud afin de l’acheminer au nord-est grâce à de grands projets de canaux de dérivations, selon l’expert Franck Galland. Le premier à l’est de la Chine où un grand canal puisant son eau dans le fleuve Bleu pour l’acheminer vers la région de Pékin, le second étant dérivation au centre. Mais c’est le troisième projet qui peut être source de tensions notamment avec l’Inde, le Bangladesh, voire le Pakistan. Puisqu’il concerne directement les fleuves prenant leur source dans les contreforts tibétains de l’Himalaya expliquant que la Chine entend garder la main sur la région du Tibet, le «château d’eau de l’Asie» où l’Indus, le Gange, le Brahmapoutre et le Mékong y ont leur source. Puiser ou dériver l’eau de ces fleuves. Toujours en Asie où est concentrée la plus grande fraction de la population mondiale , le partage des eaux du Brahmapoutre apparaît comme l’une des sources de conflit potentiel entre la Chine, le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam. C’est que plus d’un tiers de l’humanité soit plus de 2 milliards d’habitants survivent avec moins de 5 litres d’eau par jour, moins de 1700 litres par an (1.7 m3), c’est ce qu’on appelle le «stress hydrique» concentré en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Selon l’ONU, au taux actuel de croissance de la population et de ses besoins en eau douce, en 2025 la quantité moyenne d’eau douce disponible devrait chuter de 6600 à 4800 m3 par habitant et par an, soit une réduction de près d’un tiers. A cette date, les experts estiment que 5 fois plus d’habitants qu’aujourd’hui seront touchés par la pénurie d’eau, ce qui représentera 2.8 milliards d’habitants soit 35% de la population estimée de la Terre à cette époque. D’une manière générale, le défi majeur du XXIe siècle en matière d’eau sera donc vraiment d’assurer la rentabilité de la gestion de l’eau, tout en garantissant aux plus pauvres le droit d’accéder à cette ressource vitale. D’énormes investissements seront donc nécessaires pour moderniser l’existant et créer de nouveaux équipements (usines de production, réseaux de distribution, stations d’assainissement), mais aussi pour développer de nouveaux systèmes d’irrigation. Les investissements ont été évalués par le Conseil mondial de l’eau à 180 milliards de dollars par an pour les 25 prochaines années, contre 75 milliards de dollars actuellement investis chaque année. D’où l’importance d’institutions internationales de régulation et d’un marché mondial de l’eau régulé, évitant un calcul monétaire de rentabilité immédiate. Ce seront donc les décisions politiques, au niveau national et international et des agences de financement, qui joueront un rôle déterminant dans la gestion future du risque de pénurie d’eau douce. Des actions coordonnées doivent être mises en œuvre pour éviter des tensions futures et prendre des mesures au principalement au nombre quatre.

Premièrement la réduction de l’envasement des barrages.

Deuxièmement, le traitement approprié des eaux usées qui nécessitent la maîtrise technologique.

Troisièmement, une lutte contre le gaspillage. Globalement, seuls 55% des prélèvements en eau sont réellement consommés, les 45% restants étant soit perdus. Dans certaines grandes villes d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine comme le Caire ou Mexico, jusqu’à 70% de l’eau distribuée est perdue par fuite dans les réseaux. Certaines nappes, qui pourtant ne se renouvellent plus ou quasiment plus à l’échelle humaine, sont fortement exploitées, notamment à des fins d’irrigation.

Quatrièmement, le développement des projets de dessalement de l’eau de mer dont bon nombre de pays en ont fait la priorité. Mais l’on devra protéger l’environnement en évitant que les déchets chimiques se déversent sur la mer et surtout utiliser les énergies renouvelables car ces unités demandent une forte consommation de gaz traditionnel, pouvant à court terme combiner le gaz et le solaire. Cette opération, est financièrement coûteuse, devant avoir une production à grande échelle afin de diminuer à moyen terme les coûts, le prix du mètre cube d’eau actuellement étant excessivement cher et une des solutions étant une nouvelle gouvernance est de trouver l’équilibre entre une politique des prix appropriée afin d’éviter le gaspillage de cette ressource rare et la satisfaction des besoins des plus défavorisés.

En conclusion, quelles leçons en tirer pour l’Algérie où pour l’Afrique du Nord une étude de l’ONU prévoit une sécheresse de grande ampleur entre 2025/2030 qui aura des répercussions économiques et sociales, voire sécuritaires ( voir revue Djeich 2022/2023 de l’état-major de l’ANP/MDN qui a consacré une d’importantes contributions à ce sujet). L’Algérie, pays méditerranéen qui glisse vers la semi-aridité avec des risques de désertification élevés, ce qui expliquent les décisions récentes du barrage vert dont l’idée date déjà sous la présidence de feu Houari Boumediene vers les années 1970. Ce programme prévoit des opérations de reboisement d’une superficie de 17.000 hectares sur 7 ans avec un budget de 75 milliards de dinars entre 2023/2030 permettant selon des responsables cités par l’APS l’élimination de 2.000 tonnes de carbone. Comme la politique actuelle est axée sur de nombreux projets de dessalement de l’eau de mer sur toute la côte mais qui renvoie au prix de cession de l’eau Pour 2021/2022, les tarifs de base d’eau potable en Algérie sont de 6,3 DA/ m3 pour les zones 1, 2 et 3 et de 6,1 DA en ce qui concerne la zone 4 et de 5,8 DA pour la zone 5. Alors que le coût moyen selon certaines estimations varie entre 80 à 130 dinars le mètre cube avec d’importantes variations. Ainsi le coût du mètre cube d’eau est estimé à 120 dinars dans les wilayas du Sud, à 200 dinars pour certaines régions montagneuses. Selon certaines estimations, le coût du mètre cube d’eau obtenu par le dessalement d’eau de mer varie entre 0,65-0,85 dollar (91 à 130 dinars selon le cours dinar/dollar) le mètre cube, en plus des énormes investissements nécessaires pour mettre en place ces usines. La différence entre le prix réel et le prix de cession ( il en est de même pour l’électricité-gaz) ce qui renvoie à la politique des subventions généralisées que supporte le Trésor algérien, tant qu’il y a la rente des hydrocarbures. A titre de comparaison, à prendre avec précaution car le Smig de l’Algérien est d’environ 15/20% de celui de l’européen, en 2021, le prix moyen de l’eau (eau potable et assainissement inclus) s’établit à 4,19 euros par mètre cube sur le bassin Seine-Normandie, toutes taxes comprises, et pour une consommation annuelle de référence de 120 mètres cube. Qu’en sera-t-il de la nappe de l’Albien qui est la plus grande nappe d’eau souterraine au monde étant à cheval sur trois pays, la Libye (20%) la Tunisie (10%) et l’Algérie ayant la plus grande surface, 70% située au sud-est du pays contenant plus de 50 000 milliards de mètres cubes d’eau, qui bien utilisés pourrait dynamiser l’agriculture saharienne, mais sous réserve d’une étude approfondie tant de la rentabilité économique que de la préservation de l’environnement et l’équilibre écologique, donc devant éviter toute extrapolation irréaliste. Et pour terminer cette modeste contribution je citerai le poète britanno- américain W.H Auden « des milliers de gens ont vécu sans amour, pas un n’a vécu sans eau » et le peintre et homme de science italien Léonard de Vinci « l’eau est la force motrice de la nature »

Professeur des Universités
Expert international
Abderrahmane Mebtoul
(Suite et fin)