La lutte contre la corruption, un objectif stratégique garantissant le développement et la sécurité nationale

Conseil supérieur de la magistrature du 6/11/2023

Le président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), a présidé le lundi 6 novembre 2023 au siège de la Cour suprême à Alger, l’ouverture de la nouvelle année judiciaire 2023-2024 en insistant sur la nécessité d’un Etat de droit et la lutte contre la corruption. Pour éviter les erreurs du passé, les organes dépendant de l’exécutif soit du ministère de la Justice ou de celui des Finances ne sont pas neutres et l’expérience récente des détenus de hauts responsables dont des ex Premiers ministres et des ministres à la fois de la Justice et des Finances en est la preuve, l’important étant de s’attaquer à la source de ce cancer qui ronge la société. Mais, il ne faut pas confondre la corruption avec acte de gestion, la dépénalisation de l’acte de gestion que je réclame depuis de longues années, afin d’éviter de freiner les énergies créatrices, la définition du manager étant de prendre des risques, pouvant gagner ou perdre. Le combat contre la corruption, pour son efficacité, doit reposer sur la mise en place de mécanismes de régulation transparents.

Si l’on excepte la mauvaise gestion de certaines entreprises qui accaparent une partie importante du financement public, il ne faut jamais oublier l’administration et les services collectifs dont les infrastructures qui accaparent souvent une grande fraction du budget de l’Etat sans répondre aux normes de la rationalisation des choix budgétaires. S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis le prix de revient des différents Ministères des wilayas, des ambassades (qui doivent favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays ), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ? A ce titre, il convient de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s’adressent pas toujours aux plus démunis. Il semble bien qu’à travers toutes les lois de Finances l’on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l’impression d’une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien qu’existe certaines dispositions encourageant l’entreprise. Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, et dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d’âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine. C’est la mauvaise gestion et la corruption expliquent que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques. Pour Transparency International une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé, et donc le manque de confiance dans les institutions, la corruption favorisant les activités spéculatives.

2.-L’efficacité du contrôle doit s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique et le contrôle le plus efficace passe par une plus grande démocratisation et nécessairement par une lutte contre la bureaucratisation qui enfante la sphère informelle et la corruption. Combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience loin de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire. Combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent- du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base. Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc. sont cotés journellement à la Bourse. La compréhension des mécanismes boursiers, de l’évolution du dollar de l’euro représentant plus de 80% des transactions internationales entre 2022/2023 a des incidences sur le pouvoir d’achat et pour le niveau des réserves de change libellées en ces monnaies et en or. Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent définir la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle, ainsi qu’ une coordination sans faille des institutions de contrôle., Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire, car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe ? Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large-sans un véritable pouvoir de décision-de son entreprise ? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes ? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat. Régulateur ou stratège que n’ont pas résolu les différentes organisations de 1965 à 2023, grandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, entre 2000/2019 les sociétés de participation de l’Etat SGP et récemment 2020/2023 au retour à la tutelle ministérielle. Ces évolutions s’expliquent par les interférences entre le politique et l’économique de la gestion des capitaux marchands de l’Etat, freinant les énergies créatrices.

3.- Au sein d’un monde turbulent et instable préfigurant d’importants bouleversements géostratégique, où le monde ne sera plus jamais comme avant, la lutte contre le terrorisme, le trafic en tout genre et la corruption dépasse le cadre national avec les transferts illicites de capitaux mis souvent dans des prêtes noms ou des paradis fiscaux difficile à récupérer. Pour l’Algérie, concernée par ce fléau qui menace la sécurité nationale et hypothèque le développement futur du pays, il s’agit d’anticiper et de réaliser de profondes réformes pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent, l’arsenal pénal et la numérisation n’étant qu’un moyen. Ces pratiques ne datent pas seulement d’aujourd’hui. Ayant eu à diriger en tant que directeur général des études économiques et haut magistrat comme premier conseiller à la Cour des comptes pour la présidence de l’époque, le dossier du bilan de l’industrialisation entre 1965 et 1978, du programme de l’habitat entre 1980 et 1983 en relations avec le ministère de l’Intérieur et les walis, ainsi que du dossier des surestaries avec le ministère du Commerce, nous avons constaté d’importants surcoûts par rapport aux normes internationales et parfois des malversations, J’avais conseillé à la Présidence de l’époque d’établir un tableau de la valeur en temps réel, avec la numérisation des administrations, entreprises, des banques, de la fiscalité, des domaines, et de la douane reliant toutes les institutions concernées aux réseaux internationaux (prix, poids, qualité), tableau qui malheureusement n’a jamais vu le jour du fait que la transparence des comptes s’attaquait à de puissants intérêts occultes. Or, des actions concrètes sont nécessaires pour combattre ce fléau, condition d’un retour à la confiance afin de réaliser comme je l’avais proposé, lors de ma conférence au club des Pins Alger le 24 décembre 2014 devant tous les cadres de la Nation, un large front national anti-crise regroupant toutes les sensibilités, proposition qui revient aujourd’hui avec plus d’insistance, du fait des tensions géostratégiques régionales qui menacent la Nation. Or, force est de reconnaître en ce mois de novembre 2023 que deux institutions assurent la stabilité du pays : l’ANP et les services de sécurité pour la sécurité nationale et la protection du territoire et Sonatrach sur le plan économique, qui procurent environ 98% des recettes en devises avec les dérivés, comptabilisées dans la rubrique hors hydrocarbures pour 70%.

En conclusion, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective afin de favoriser le développement. En bref, comme l’a mis en relief l’économiste de renommée mondiale, John Maynard Keynes, il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens
Professeur des universités, expert international Abderrahmane Mebtoul