Le poète et la terre

Résistance palestinienne

L’une des particularités de la poésie de résistance palestinienne, outre qu’elle a donné des poètes d’une verve libératrice et forte, c’est qu’elle a pris forme entre ciel et terre, entre vie et mort, entre lutte et noirceur, entre exil et enracinement.Jamais des poètes n’ont eu la tâche si ardue que les poètes palestiniens, par leur complexe attachement à leur terre ancestrale, aux pains de leur mère et aux tombes de leurs pères. Mais, pour reprendre un peu l’histoire, rappelons que la poésie palestinienne a toujours existé et présente oralement telle que la poésie lyrique, épique, amoureuse, religieuse, etc. Mais, cette poésie n’avait pas en somme une nationalité, car incluse dans la poésie arabe. C’est à partir de la révolte de 1936 que la poésie palestinienne va émerger comme conscience politique. Elle va avoir ses précurseurs qui vont l’impulser dans une forme moderne en lui donnant une identité. Ces poètes dits des années trente comme Ibrahim Touqan, né à Naplouse en 1905, et décédé en 1941, frère de Fadwa Touqan, va se projeter dans la figure d’un fidaï. Il écrit : « Ne vous inquiétez pas pour sa sécurité/Il porte son âme dans sa paume/Ses angoisses l’enveloppent/D’un linceul coupé dans son oreiller/A la porte de la gloire/Il est debout/et la mort a peur de lui ». Deux autres poètes de cette génération vont se démarquer : Abderahim Mahmoud et Abdelkrim Al-Karni, qui vont impulser une poésie proprement identitaire, rattachée à la Palestine et à une lutte nationale où le nous remplace le Je.
À partir des années 1948, la Palestine occupée, divisée est offerte à Israël qui va naître au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale où les Nations s’étaient réveillées sur l’horreur du génocide du peuple juif. Or, l’Occident devant cet immense drame va créer un autre drame, en déversant avec les bateaux de la liberté des centaines de Juifs de différentes nationalités ; françaises, Polonaises, Russes, Allemandes vers la Palestine où l’une des plus injustes et barbares colonisations va commencer. Les Palestiniens expropriés, emprisonnés, assassinés, poussés à des exils sont devenus des apatrides. L’ONU décide de partager la Palestine en deux états, un Israélien et l’autre Palestinien, si le premier va prospérer sous l’aide et le soutien des nations occidentales, le deuxième opprimé et réprimé ne verra jamais le jour dans l’absolu. Cette situation déstabilisante va donner un tournant décisif à la poésie palestinienne. Elle va notamment la fractionner en deux ; celle produite de l’intérieur et l’autre issue de l’extérieur, c’est notamment, une période difficile pour les poètes palestiniens menacés d’exil, d’assassinats, et confrontés à un blocus culturel et des tentatives de déculturations par l’occupant israélien. Parmi les poètes qui vont marquer cette période : Fadwa Touqan, Youssef El Khatib, Tawfik Assayigh, Kamel Nasser, Haroun Hachim Rachid, Selma Khadra El-Jayyoussi, Mahmoud Darwich ou encore Mouin Bsissou dont la célèbre phrase « Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs, » a été reprise par Tahar Djaout. Mouin Bsissou, né en 1926 à Gaza et mort le 23 janvier 1984 à Londres, a vécu des tragédies comme le massacre du camp de réfugiés de Tell-El Zaatar qui ont empreint son écriture dans un réalisme symbolique : « A l’aube/Je résisterai/… tant qu’il y aura sur le mur une page blanche/ et que les doigts de mes mains n’auront pas fondu ». Mais, réellement, cette poésie n’a commencé à marquer le monde et les esprits qu’à partir de 1967, lorsque Gaza et la Cisjordanie sont occupées par Israël. C’est une douloureuse expérience qui va renouveler l’écriture poétique en la dotant d’une maturité intellectuelle et une perception soutenue du drame palestinien. Cette poésie n’est plus apparentée à un discours rimé, mais à une mémoire ancestrale qui émerge dans ce besoin crucial, celui d’exister avant tout.
Le 5 juin dernier (1967) nous sommes revenus au monde », dit le poète des territoires occupés Samih Al Qassim : « le cinq du mois de juin dernier, nous avons démuni le vent occidental de toutes les décorations entachées du sang des enfants et de la honte des décombres/ ». Samih Al Qassim est né en 1939 dans la ville de Zarka et mort à Ramallah en 2014. Il a refusé l’exil. Son premier recueil en vers rimés a paru en 1958. Son titre : Cortège du soleil.
Son compatriote Tawfiq Az Zayad, né à Nazareth en 1929 et décédé en 1974, a refusé lui aussi de quitter sa terre, il désirait être son gardien et gardien des orangers et oliviers, il écrit : « si nous avons soif, nous presserons les pierres/nous mangerons de la terre si nous avons faim/ mais nous ne partirons pas et nous ne serons pas avares de notre sang/Ici nous avons un passé, un présent Ici est notre avenir… »
La poésie révolutionnaire a toujours accompagné les luttes des peuples pour leur indépendance et droits d’exister. À cet effet, la poésie palestinienne s’est mêlée intrinsèquement à la lutte pour la survie, à une lutte armée et à la résistance. Mais, que reste-t-il de ces poètes palestiniens aujourd’hui lorsque leur peuple est déshumanisé par son identité, exproprié de sa terre ancestrale, bâillonné dans sa soif de liberté ? Un peuple redevenu apatride, inexistant, fantôme et incompris dans son désir d’exister comme Palestiniens et vivre sur sa terre.
Le monde n’est plus, pour eux, qu’une prison à ciel ouvert, mais, jamais la parole de ces poètes n’a été si persistante, si humaine, si forte dans ce chaos. Et, Mahmoud Darwich, la Voix de la poésie palestinienne nous rappelle : « Et nous aimons la vie autant que possible/Nous dansons entre deux martyrs/Entre-eux, nous érigeons/Pour les violettes, un minaret ou des palmiers ».
Nassira Belloula