Pour une libération maîtrisée conciliant l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale

Economie

Le président Abdelmadjid Tebboune, a tracé les grandes lignes de l’instauration d’une économie de marché productive à finalité sociale, loin de tout monopole, qu’il soit public ou privé, source de surcoûts et d’inefficacité économique et sociale, et a préconisé l’ouverture du capital de certaines entreprises, y compris les banques. Ses orientations seront-elles appliquées, lui même reconnaissant les difficultés de la transition d’une économie administrée, bureaucratisée à l’extrême, depuis plus de 60 années à une économie de marché à finalité sociale, liée à un Etat de droit, supposant de nouvelles forces sociales réformistes qui se heurtent à la résistance des conservateurs rentiers. Cette présente contribution relate mon expérience entre 1996/1999, période du président Liamine Zeroual, où en janvier 2000, il a été mis fin à mes fonctions et remplacé par Abdelhamid Temmar

1.-Les objectifs stratégiques du processus de privatisation et l’importance de l’Etat régulateur
L’on ne doit pas confondre privatisation, complémentaire, tous deux, processus éminemment politique, allant vers le désengagement de l’Etat de la sphère économique afin qu’il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché. La privatisation est un transfert de propriété d’unités existantes vers le secteur privé et la démonopolisation consiste à favoriser l’investissement privé nouveau. Les objectifs de la démonopolisation et celui de la privatisation doivent renforcer la mutation systémique de la transition d’une économie administrée vers une économie de marché concurrentielle autour de 6 objectifs.
Le premier objectif d’une bonne privatisation est son impact sur la réduction du déficit budgétaire. La majorité des entreprises publiques ont un actif net inférieur au quart de leur capital social et une trésorerie inférieure à un mois de leur chiffre d’affaires avec un endettement croissant auprès des banques publiques malades de leurs clients.
Le deuxième objectif est que la privatisation peut être facteur de la dynamisation des exportations hors hydrocarbures.
Le troisième objectif est de contribuer à l’instauration d’une économie de marché concurrentielle loin de tout monopole qu’il soit public ou privé. Il n’existe pas d’économie de marché à l’algérienne mais des spécificités sociales. La gestion des entreprises publiques est rigide par définition, malgré souvent la bonne volonté des gestionnaires soumis à des interférences administratives.
La privatisation bien menée peut être le moteur de la croissance de l’économie nationale car favorisant l’émergence de structures concurrentielles, de nouveaux comportements fondés sur le risque et une nouvelle culture de l’entreprise (intervention du Pr A. Mebtoul suite à l’invitation de M. Steve Gunderson Président et Directeur Général du Council on Foundations (Conseil des fondations de Washington) et Miss Jennifer Kennedy «GCDF Gunderson Council Foundation» qui s’est tenu du 26 au 30 mai 2008 à New York (USA) rencontre co-organisée avec la fondation Bill et Melinda Gates et sponsorisée notamment par les importantes fondations Rockefeller, Ford, MacArthur, Andrew Mellon, Carnegie et Hewlett.
Le quatrième objectif est de définir le rôle de l’Etat régulateur et non l’Etat gestionnaire garant de la cohésion sociale à laquelle je suis profondément attaché surtout en cette période de tensions budgétaires et internes et à nos frontières (voir revue la revue Djeich pour un Front social interne 2021/2022), de faire respecter le contrat entre les employeurs et les salariés afin que la logique du profit ne porte atteinte à la dignité des travailleurs. Mais en n’oubliant jamais que la plus grande dévalorisation morale dans toute société et d’être un chômeur ou un assisté.
L’important n’est pas de travailler chez le privé national, international ou chez l’Etat, l’important pour nos enfants est de trouver un emploi durable dans le cadre de la protection sociale.
Cinquième objectif est de combattre la bureaucratie, héritage d’une économie administrée, qui constitue une des contraintes les plus fortes dont l’éradication est absolument nécessaire pour insuffler au marché la dynamique et la fluidité attendues. Sur le plan du système financier, la mise à niveau du système bancaire est un des axes majeurs car c’est au sein de cette sphère que les rythmes de croissance seront arbitrés à titre principal.
Sixième objectif est d’aboutir à un système bancaire affranchi des ingérences, plus efficient et plus en harmonie avec les exigences d’une intermédiation financière performante et orientée vers l’économie de marché de capitaux. Pour ce qui est du système fiscal, celui-ci doit être plus incitatif tout en autorisant une grande rigueur dans son application en vue de la lutte contre l’évasion fiscale par la mise en place d’un système d’information et de communication plus moderne et moins sujet à interprétation. Il s’agit d’améliorer la lisibilité de la politique générale de l’Etat par référence notamment à une nouvelle loi cadre de planification budgétaire et de simplifier et regrouper dans un cadre plus cohérent, l’organisation institutionnelle chargée d’exécuter une politique désormais plus claire de libéralisation de l’économie et pourquoi pas un grand ministère de l’Economie scindé en plusieurs secrétariats d’Etat techniques.

2.- Les 7 conditions de réussite supposent de définir clairement les objectifs
Force est de constater l’absence de vision stratégique en Algérie, inséparable d’une vision de la réforme globale (le processus du partenariat et de la privatisation est analysé en détails dans «Mondialisation, réformes et privatisation» (ouvrage A. Mebtoul Office des Publications Universitaires –Alger- 2 volumes 500 pages 1981 reproduit dans Editions Amazon Paris -2018). La privatisation ne peut intervenir avec succès que si elle s’insère dans le cadre d’une cohérence et visibilité de la politique socio- économique globale et que si elle s’accompagne d’un univers concurrentiel et un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux. C’est un acte éminemment politique et non technique car déplaçant des segments de pouvoir d’où des résistances au changement des tenants de rente sous les slogans «bradage du patrimoine national ». La privatisation partielle ou totale doit répondre à de nombreux objectifs qui ne sont pas tous compatibles et qu’il convient de hiérarchiser dans la formulation d’un programme de privatisation. Mon expérience en tant que président du conseil national des privatisations entre 1996/1999 sous la période du président Liamine Zeroual et les différentes tournées aux USA, en Europe notamment dans les pays de l’ex camps communiste, m’amène, pour le cas de l’Algérie, à formuler les 7 objectifs, pouvant varier et être adaptés en fonction du contexte international, social et économique interne et de l’activité ou de l’entreprise ce qui suppose la résolution de neuf contraintes qui doivent être levées afin d’éviter la méfiance des investisseurs sérieux. en premier lieu l’instabilité juridique perpétuelle.
Premièrement, les filialisations non opérantes par le passé dont l’objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c’est le fondement de la réussite tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale.
Deuxièmement, le patrimoine souvent non défini (absence de cadastre réactualisé, numérisé) pose la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser. Il faut éviter lors des avis d’appel d’offres, que bon nombre de soumissionnaires, à des fins spéculatives, soient beaucoup plus intéressés par le patrimoine immobilier des entreprises publiques surtout dans les grandes agglomérations que par l’outil de production.
Troisièmement, il faut des comptabilités claires. Or souvent nous assistons à des comptabilités défectueuses de la majorité entreprises publiques et des banques, (la comptabilité analytique pour déterminer exactement les centres de coûts par sections étant pratiquement inexistantes et les banques ne répondant pas aux normes internationales, rendant difficile les évaluations d’où l’urgence de la réforme du plan comptable actuel inadapté. L’inexistence du marché boursier, paradoxe en Algérie, pour la première fois de par le monde, on essaie de créer une bourse étatique, des entreprises d’Etat déficitaires achetant des entreprises d’Etat, comme l’atteste la léthargie de la Bourse d’Alger rend encore plus aléatoire l’évaluation dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d’année en année, voire de semaine à semaine, de mois en mois par rapport au seul critère valable, le marché qui fixe le prix selon la loi de l’offre et la demande, existant un marché mondial où la concurrence est vivace.
Quatrièmement, la non-préparation de l’entreprise à la privatisation, certains cadres et travailleurs par le passé ayant appris la nouvelle dans la presse, ce qui a accru les tensions sociales. Or, la transparence est une condition fondamentale de l’adhésion tant de la population que des travailleurs à l’esprit des réformes liées d’ailleurs à une profonde démocratisation de la société. Cinquièmement, la non clarté pour la reprise des entreprises pour les cadres et ouvriers supposant la création d’une banque à risque pour les accompagner du fait qu’ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial la base de toute unité fiable doit être constituée par un noyau dur de compétences.
Sixièmement, est la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids des créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettés, surtout pour la partie libellée en devises sans un mécanisme transparent en cas de fluctuation du taux de change. Avec le processus inflationniste les agents économiques rationnels pour se prémunir conte la dépréciation de leurs actifs se refugient dans des actions spéculatives ( achat de devises, l’or ou l’immobilier). Avec la dépréciation du dinar officiel avec une cotation de plus de 50% sur le marché parallèle, comment voulez-vous qu’un opérateur quelque soit sa tendance idéologique avec cette instabilité monétaire investit à long terme sachant que la valeur du dinar va chuter d’au moins 30% sinon plus dans deux à trois années.
Septièmement, les délais trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l’entreprise, les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert, à l’organe chargé des privatisations, puis au Conseil des ministres et la délivrance du titre final de propriété ce qui risque de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux mobiles vont s’investir là où les obstacles économiques et politiques sont mineurs, le temps étant de l’argent.

En conclusion, un code juridique malgré des objectifs louables n est qu’un moyen juridique pouvant peut se heurter à des obstacles majeurs dont le terrorisme bureaucratique. Si l’on veut que le nouveau code d’investissement ait un impact réel, il y a urgence d’une réorientation de toute la politique socio-économique passant par de profonds ajustements économiques et sociaux donc par de profondes réformes structurelles. Le retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible passe par une vision stratégique clairement définie. Ainsi, l’Algérie a besoin surtout, d’une stratégie de sortir de crise, évitant les actions conjoncturelles, le replâtrage, et le juridisme devant s’attaquer à l’essentiel, le fonctionnement de la société. L’Algérie a les moyens surmonter les difficultés actuelles avec du réalisme par un discours de vérité évitant les discours démagogiques populistes se fondant sur une vision idéologique dépassée.

Pr des Universités
Abderrahmane Mebtoul
Expert international