Défaillance des parents ou faillite de l’État français ? (II)

Crise de société

En France, depuis plusieurs mois la jeunesse turbulente donne des sueurs froides à la police et du fil à retordre au régime macroniste. Pour leur part, les médias sollicitent régulièrement des spécialistes pour épiloguer sur le phénomène de la violence des jeunes, pour décrypter les causes des comportements déviants et violents des adolescents.

Une crise de structure, de pédagogie et d’autorité s’est incontestablement installée dans la parentalité.
Cette perte de l’autorité parentale s’explique par le fait que l’information, autrefois centralisée entre les mains des parents (mais aussi des enseignants, fonctionnaires de l’État), vecteurs essentiels de l’éducation, est aujourd’hui transmise et relayée par des médias extérieurs et par Internet, les fameux réseaux sociaux à la source desquels se nourrissent les enfants livrés à eux-mêmes. Aussi, la famille, comme l’école, n’apparait plus de nos jours, aux yeux des enfants, comme la source principale de la transmission du savoir-être et des normes. Leur mission éducative se voit donc contestée, voire purement et simplement déniée. On assiste à la faillite du modèle éducatif capitaliste, corollaire de la faillite du capitalisme.
Force est de constater que cette désaffection de la parentalité se traduit, corrélativement, pour l’enfant, par un désinvestissement scolaire et une absence d’adhésion aux normes sociales de la société, c’est-à-dire celles dispensées par les institutions éducatives étatiques. Aussi, les normes adoptées par les jeunes enfants émanent-elles du monde extérieur, en dehors de la structure de la famille et de l’école, où l’information instantanée distillée par les réseaux sociaux, l’influence des pairs ou la contrainte du quartier (de là s’explique le phénomène de l’endoctrinement islamique opéré par les pairs ou la Toile virtuelle sur des jeunes dépourvus d’imagos parentaux) se substituent à la laborieuse transmission éducative familiale et scolaire.
On ne dira jamais assez que le jeune enfant inscrit dans la déviance et la violence est souvent en rupture familiale. Quand bien même demeurerait-il dans son foyer familial, la déconstruction des figures parentales rend difficile, voire impossible, pour le jeune enfant, l’accès aux apprentissages et à la socialisation.
En vérité, la crise de la parentalité dissimule une crise de confiance dans la société, incarnée par l’État. Cette crise se traduit par une défiance de la société, représentée par des adultes désormais déconsidérés et discrédités du fait de leur pusillanimité et laxisme, et l’État dorénavant discrédité et délégitimé. Cette défiance revêt plusieurs aspects, elle s’exprime à la fois à l’égard des parents, des professeurs, des policiers, de la Loi, de l’État, etc.
En France, d’aucuns déplorent l’absence de normes éducatives, de valeurs morales parmi les jeunes. Ces carences éducatives seraient responsables des comportements déviants de ces jeunes. Dans quelles structures de socialisation ces jeunes, par ailleurs privés d’avenir autre que de déréliction, pourraient-ils acquérir ces normes éducatives, quand les principales « valeurs » propagées par la société française contemporaine reposent sur l’appât du gain (l’argent), la course au profit, la rentabilité, la compétition, le culte de la performance, la réussite matérielle. Le chacun pour soi, « la guerre de tous contre tous ». En résumé, la banalisation du mal, culminant aujourd’hui dans le soutien inconditionnel apporté par le gouvernement Macron à la guerre d’extermination menée par l’État d’Israël contre les populations civiles palestiniennes de Gaza.
Au contraire, on peut considérer que ces jeunes ont parfaitement intériorisé ces valeurs bourgeoises dominantes, devenues leurs uniques normes de socialisation.
Par ailleurs, on accuse ces jeunes français ou immigrés d’entretenir un climat d’insécurité dans les quartiers et les centres urbains. C’est oublier l’insécurité financière, résidentielle, alimentaire, sanitaire, existentielle, professionnelle qu’ils subissent, de façon directe ou indirecte (via leurs parents paupérisées) de manière structurelle. Ainsi, cette focalisation sur l’insécurité juvénile, définie du point de vue policier, vise à occulter les autres formes d’insécurité structurelle dont les jeunes sont victimes. Particulièrement accentuées quand ces jeunes sont parqués dans des espaces d’habitation de relégation et de ségrégation, notamment les jeunes issus de l’immigration.
Pour rétablir « l’ordre républicain », comme disent les politiciens, d’aucuns, en idéalistes, prônent, afin d’enrayer la violence, la rééducation des jeunes par la généralisation de l’enseignement des valeurs morales et civiques. Or, ils oublient que la violence est consubstantiellement inhérente aux rapports sociaux du système capitaliste. Et aucune pédagogie ne peut moraliser les rapports intrinsèquement violents du capitalisme.
Particulièrement dans cette période de décadence marquée par l’effondrement économique, l’explosion du chômage, l’expansion de la paupérisation absolue, la décomplexion du discours raciste, la désinhibition de la violence policière, la banalisation des génocides.
Force est de constater qu’un nouveau spectre hante l’Occident décadent, donc la France. Non plus le communisme, comme le prophétisait Marx dans Le Manifeste, ni la révolution comme l’appelait de ses vœux Lénine, ni même le terrorisme islamiste désormais, curieusement, évanescent à force d’instrumentalisation outrancière, ni l’imposture sanitaire de la pandémie de Covid-19, mais l’implosion sociale. En effet, au-delà de l’explosion et de la décomposition, on assiste à l’irruption de l’implosion sociale, définie par les dictionnaires comme une « série d’explosions dirigées vers l’intérieur ». Autrement dit, on a affaire à une autodestruction.
« La plus dangereuse création d’une société est un homme qui n’a rien à perdre », avait écrit un auteur afro-américain. Telle est la situation sociale de la jeunesse française contemporaine : elle a perdu la bataille de la vie bien avant de l’avoir entamée. Elle brûle les bougies de son existence par les deux bouts, sans jamais, pour autant, entrevoir de lumières à sa vie cahotée et chaotique.
L’accroissement exponentielle de la violence et des incivilités, sur fond de dégradation du climat relationnel entre personnes, illustre amplement cette implosion sociale. Pour qualifier ces nouvelles formes de violences spécifiques, les commentateurs assermentés (sociologues, politologues, criminologues) parlent de « violence gratuite », « violence aveugle », « violence absurde ». Pour ces observateurs à courte vue, il s’agit d’une « violence muette », autrement dit sans revendications, ni porte-parole.
En vérité, l’émergence de ces violences, assourdissantes de fracassants avertissements politiques subjacents, traduit une mutation anthropologique de la conflictualité sociale. Cette nouvelle conflictualité sociale se manifeste par la rébellion permanente d’une jeunesse privée d’avenir.
La violence juvénile constituerait-elle la dernière forme de lutte de classe désespérée menée contre un monde capitaliste décadent qui a absorbé, corrompu et désagrégé toutes les organisations politiques et syndicales désormais intégrées dans le système ? Comme nous nous sommes interrogés dans notre précédente contribution consacrée à la révolte des jeunes des banlieues françaises à la suite de l’assassinat de Nahel, par sa violence, la jeunesse, plus vaillante, accomplirait-elle la tâche subversive des lâches adultes travailleurs veules, mais avec l’inconscience et l’immaturité qui caractérisent cette tranche d’âge, avec des moyens de fortune : sa rage enfantine, sa colère autodestructrice, dans une dynamique d’automutilation infrastructurelle et suicide urbain ?
Historiquement, la violence a toujours été l’apanage des classes dominantes. Depuis la naissance des sociétés de classe, la violence des puissants était symbolisée par la domination sous des formes diverses et variées : l’exploitation, l’oppression, la spoliation, l’esclavage, la colonisation, etc. Cette violence historique, unilatérale et structurelle, des classes dominantes revêtait une dimension économique, politique, culturelle, physique. Au cours du XXème siècle, cette violence des puissants avait revêtu un caractère barbare par le déclenchement de deux boucheries mondiales, les exterminations génocidaires des populations civiles, l’expérimentation de la bombe atomique sur la population japonaise, l’institutionnalisation de la torture, notamment au cours de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, à la violence historique structurelle d’en haut vient répondre la violence systémique surgie d’en bas, occasionnée non par des femmes et hommes adultes politisés porteurs d’un projet d’émancipation humain, car désormais intégrés par le capitalisme, mais par les jeunes désespérés, ces nouveaux protagonistes des frondes contemporaines, qui l’expriment de manière nihiliste et anomique faute de maturité politique.
Au vrai, la violence aveugle des jeunes contre le monde des adultes, matérialisée par les incivilités, ces frondes juvéniles caractérisées par une posture émeutière, participe de l’appel de détresse lancé à la société individualiste capitaliste pour lui rappeler l’abandon de ses devoirs socioéconomiques à l’égard de sa progéniture livrée à elle-même. Pour dénoncer la faillite de l’Etat capitaliste dans son rôle d’éducateur des enfants, de protecteur de la progéniture.
Une progéniture sacrifiée sur l’autel de la rentabilité et de la compétitivité dont une minorité sort seulement gagnante (toujours la même : la classe privilégiée, dotée des moyens intellectuels et financiers pour s’accaparer et monopoliser la réussite sociale). Une progéniture privée d’avenir (l’ascension sociale n’existe plus et la possession d’un diplôme ne constitue plus un gage de sécurité matérielle). Mais pour lui faire payer sa lâcheté, sa pusillanimité, son laxisme en matière éducative, objectivés par la désagrégation des valeurs morales, transformées en valeurs marchandes, en la course au profit, en apologie du consumérisme.
A suivre…
Khider Mesloub

 

Aussi, force est de constater que la dégradation du climat relationnel marqué par les flambées de violence s’explique par le délitement social. Cette fracture sociale a mis à mal l’illusoire « vivre ensemble », d’abord supplantée par le vivre côte-à-côte, et désormais par le vivre face-à-face entre les deux principales classes antagoniques, derrière des lignes de fronts protégées par les forces de l’ordre, dernier rempart dressé par l’État des riches pour assurer la pérennisation d’un système de domination contesté par les opprimés, notamment par sa frange turbulente, la jeunesse.
La société est désormais minée par la décomposition, voire l’implosion, marquée par une dynamique d’affrontements radicalement explosive, portée par des jeunes, des adolescents et des enfants « desocialisés », « defilialisés », ces nouveaux parias de la modernité, parqués dans des zones de relégation et d’existence de ségrégation, voués à la déshérence sociale et à l’errance professionnelle, promis aux emplois précaires, aux stages occupationnels et, inexorablement, à l’endémique chômage, organisés en amont par les classes-poubelles des collèges ou lycées-dépotoirs, ces antichambres de la vacuité existentielle et de la viduité intellectuelle. Condamnés à une vie oscillant entre anomie et anarchie, enchaînés à mener une vie de galère, sans perspectives d’ascension sociale, dans une société de consommation inaccessible à leurs modestes ressources pécuniaires, les jeunes vivent dans la frustration et l’exclusion.
Cette exclusion sociale doublée d’une « frustration consumériste » induit de nos jours une nouvelle forme de violence : la haine réactive. On n’a pas affaire à une violence politique ou sociale objectivement exercée et rationnellement théorisée par des jeunes consciencieux, mais à une violence stérile, une violence nerveuse, caractérielle, névrotique, sans motivations explicites et sans mobiles apparents.
Pas étonnant que leurs distractions se muent en destructions ou, plutôt, les destructions soient devenues leurs uniques distractions. À l’exemple de la société des adultes, en particulier des gouvernants et des puissants qui détruisent des entreprises et massacrent des populations civiles dans des guerres irrationnelles.
N’est-ce pas l’unique distraction de la société capitaliste contemporaine en déclin : la Destruction (de l’industrie, des entreprises, des emplois, des pays souverains, des libertés individuelles et collectives, des forêts, de l’écosystème, des hôpitaux, de la santé, des cultures millénaires, de l’amour, de l’amitié, de la famille, de la vie, etc.).
Autre distraction réactivée, les Guerres. D’une part, la guerre sociale menée par les puissants contre les prolétaires, dont la vie est explosée chaque jour par les bombes antisociales propulsées par les gouvernants, par les obus liberticides lancés contre les citoyens, dorénavant privés de Droits fondamentaux politiques. D’autre part, la guerre armée, cette faucheuse des vies humaines, mobilisée de nouveau sur le champ de bataille par les puissances impérialistes rivales sur plusieurs fronts mondiaux.
Depuis l’entrée du capitalisme dans sa phase de déclin, on assiste à l’approfondissement de la misère et à l’envolée de l’insécurité. La société est désormais en proie à la dérégulation économique et au dérèglement psychologique, vecteurs de délinquance et de criminalité. La délinquance et la criminalité sont la conséquence de la misère économique et de la déchéance morale de la société, générées par la déliquescence du système capitaliste. Déliquescence rime avec délinquance.
L’insécurité sociale et économique croissante ronge la société. Elle engendre un climat délétère. Plonge la société dans une atmosphère de violences.
Ce fléau qui ronge la société n’a pas de solution possible sous le capitalisme. Car, comme le disait Albert Einstein, « on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». Et, à plus forte raison, avec la classe dominante exploiteuse qui l’a créé. Encore moins avec l’aide des policiers, ces soudards engagés au service exclusif de la bourgeoisie pour défendre son ordre établi, son système capitaliste mortifère.
Paradoxalement, à notre époque marquée par la bellicosité et l’anomie, la violence est le fait des jeunes délinquants, livrés à eux-mêmes, et des policiers, délivrés de toute responsabilité et culpabilité, puisqu’ils ont reçu de l’État français en faillite le permis de tuer. Ce sont ces deux catégories qui alimentent fréquemment les rubriques des faits divers.
Dans cette période de crise et de faillite de l’État capitaliste français, les banlieues suintent la misère, le chômage et l’ennui de tout leur corps social en putréfaction. Une détresse sociale propice aux émeutes. L’action émeutière livrée par des jeunes (actifs, chômeurs ou lycéens), expression de l’impuissance et du désespoir, est compréhensible, même si elle se cantonne à brûler les voitures du voisinage et à dégrader les bâtiments publics de leur commune. En tout état de cause, les émeutes desservent les intérêts des habitants des quartiers populaires.
En revanche, si l’action émeutière dessert totalement les intérêts des habitants des communes populaires, cette violence instrumentalisée permet au pouvoir de justifier le renforcement de son propre arsenal répressif pour prétendument protéger les « bons citoyens », qu’il abandonne du reste à leur misère le reste du temps.
In fine, les émeutes génèrent plus de flics et de flicage. Plus de répression policière et de contrôle social.
Une fois les émeutes circonscrites, le calme du cimetière social revenu dans les quartiers insurgés fugacement, mais ravagés durablement, les jeunes comme leurs parents continueront à être pris dans l’étau de la misère et de la répression policière.
Pour s’en sortir de ces horreurs socioéconomiques, la bourgeoisie et son État en faillite leur offrent uniquement deux perspectives, deux voies de sorties, échappatoires illusoires, toutes deux nuisibles : le piège émeutier et le piège électoral. En effet, aux provocations policières, les jeunes répondront par une nouvelle révolte désespérée et autodestructrice émeutière ; ou aux promesses alléchantes des politiciens, par la participation aux mascarades électorales.
Une chose est sûre, les émeutes constituent le meilleur alibi pour renforcer l’arsenal policier. Et, par conséquent, pérenniser le système d’exploitation et d’oppression capitaliste.

Khider Mesloub