Défaillance des parents ou faillite de l’État français ? (III)

Délinquance juvénile

En France, depuis plusieurs mois la jeunesse turbulente donne des sueurs froides à la police et du fil à retordre au régime macroniste. Pour leur part, les médias sollicitent régulièrement des spécialistes pour épiloguer sur le phénomène de la violence des jeunes, pour décrypter les causes des comportements déviants et violents des adolescents.

Aussi, force est de constater que la dégradation du climat relationnel marqué par les flambées de violence s’explique par le délitement social. Cette fracture sociale a mis à mal l’illusoire « vivre ensemble », d’abord supplantée par le vivre côte-à-côte, et désormais par le vivre face-à-face entre les deux principales classes antagoniques, derrière des lignes de fronts protégées par les forces de l’ordre, dernier rempart dressé par l’État des riches pour assurer la pérennisation d’un système de domination contesté par les opprimés, notamment par sa frange turbulente, la jeunesse.
La société est désormais minée par la décomposition, voire l’implosion, marquée par une dynamique d’affrontements radicalement explosive, portée par des jeunes, des adolescents et des enfants « desocialisés », « defilialisés », ces nouveaux parias de la modernité, parqués dans des zones de relégation et d’existence de ségrégation, voués à la déshérence sociale et à l’errance professionnelle, promis aux emplois précaires, aux stages occupationnels et, inexorablement, à l’endémique chômage, organisés en amont par les classes-poubelles des collèges ou lycées-dépotoirs, ces antichambres de la vacuité existentielle et de la viduité intellectuelle. Condamnés à une vie oscillant entre anomie et anarchie, enchaînés à mener une vie de galère, sans perspectives d’ascension sociale, dans une société de consommation inaccessible à leurs modestes ressources pécuniaires, les jeunes vivent dans la frustration et l’exclusion.
Cette exclusion sociale doublée d’une « frustration consumériste » induit de nos jours une nouvelle forme de violence : la haine réactive. On n’a pas affaire à une violence politique ou sociale objectivement exercée et rationnellement théorisée par des jeunes consciencieux, mais à une violence stérile, une violence nerveuse, caractérielle, névrotique, sans motivations explicites et sans mobiles apparents.
Pas étonnant que leurs distractions se muent en destructions ou, plutôt, les destructions soient devenues leurs uniques distractions. À l’exemple de la société des adultes, en particulier des gouvernants et des puissants qui détruisent des entreprises et massacrent des populations civiles dans des guerres irrationnelles. N’est-ce pas l’unique distraction de la société capitaliste contemporaine en déclin : la Destruction (de l’industrie, des entreprises, des emplois, des pays souverains, des libertés individuelles et collectives, des forêts, de l’écosystème, des hôpitaux, de la santé, des cultures millénaires, de l’amour, de l’amitié, de la famille, de la vie, etc.).
Autre distraction réactivée, les Guerres. D’une part, la guerre sociale menée par les puissants contre les prolétaires, dont la vie est explosée chaque jour par les bombes antisociales propulsées par les gouvernants, par les obus liberticides lancés contre les citoyens, dorénavant privés de Droits fondamentaux politiques. D’autre part, la guerre armée, cette faucheuse des vies humaines, mobilisée de nouveau sur le champ de bataille par les puissances impérialistes rivales sur plusieurs fronts mondiaux.
Depuis l’entrée du capitalisme dans sa phase de déclin, on assiste à l’approfondissement de la misère et à l’envolée de l’insécurité. La société est désormais en proie à la dérégulation économique et au dérèglement psychologique, vecteurs de délinquance et de criminalité. La délinquance et la criminalité sont la conséquence de la misère économique et de la déchéance morale de la société, générées par la déliquescence du système capitaliste. Déliquescence rime avec délinquance. L’insécurité sociale et économique croissante ronge la société. Elle engendre un climat délétère. Plonge la société dans une atmosphère de violences.
Ce fléau qui ronge la société n’a pas de solution possible sous le capitalisme. Car, comme le disait Albert Einstein, « on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». Et, à plus forte raison, avec la classe dominante exploiteuse qui l’a créé. Encore moins avec l’aide des policiers, ces soudards engagés au service exclusif de la bourgeoisie pour défendre son ordre établi, son système capitaliste mortifère.
Paradoxalement, à notre époque marquée par la bellicosité et l’anomie, la violence est le fait des jeunes délinquants, livrés à eux-mêmes, et des policiers, délivrés de toute responsabilité et culpabilité, puisqu’ils ont reçu de l’État français en faillite le permis de tuer. Ce sont ces deux catégories qui alimentent fréquemment les rubriques des faits divers.
Dans cette période de crise et de faillite de l’État capitaliste français, les banlieues suintent la misère, le chômage et l’ennui de tout leur corps social en putréfaction. Une détresse sociale propice aux émeutes. L’action émeutière livrée par des jeunes (actifs, chômeurs ou lycéens), expression de l’impuissance et du désespoir, est compréhensible, même si elle se cantonne à brûler les voitures du voisinage et à dégrader les bâtiments publics de leur commune. En tout état de cause, les émeutes desservent les intérêts des habitants des quartiers populaires.
En revanche, si l’action émeutière dessert totalement les intérêts des habitants des communes populaires, cette violence instrumentalisée permet au pouvoir de justifier le renforcement de son propre arsenal répressif pour prétendument protéger les « bons citoyens », qu’il abandonne du reste à leur misère le reste du temps.
In fine, les émeutes génèrent plus de flics et de flicage. Plus de répression policière et de contrôle social.
Une fois les émeutes circonscrites, le calme du cimetière social revenu dans les quartiers insurgés fugacement, mais ravagés durablement, les jeunes comme leurs parents continueront à être pris dans l’étau de la misère et de la répression policière. Pour s’en sortir de ces horreurs socioéconomiques, la bourgeoisie et son État en faillite leur offrent uniquement deux perspectives, deux voies de sorties, échappatoires illusoires, toutes deux nuisibles : le piège émeutier et le piège électoral. En effet, aux provocations policières, les jeunes répondront par une nouvelle révolte désespérée et autodestructrice émeutière ; ou aux promesses alléchantes des politiciens, par la participation aux mascarades électorales. Une chose est sûre, les émeutes constituent le meilleur alibi pour renforcer l’arsenal policier. Et, par conséquent, pérenniser le système d’exploitation et d’oppression capitaliste.
A suivre…
Khider Mesloub