Méditons l’action de feu Ferhat Abbas

38e anniversaire de la mort du premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne

Ferhat Abbas (1899-1985), de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas, est né à Taher dans la wilaya de Jijel, le 24 août 1899, et est décédé le 24 décembre 1985. Son parcours est à méditer pour le développement futur de l’Algérie où il a toujours milité pour la refondation de l’Etat algérien, n’existant pas d’État standard, mais que des équipements anthropologiques qui le façonnent largement influencés par les nouvelles mutations géostratégiques mondiales. Dès lors, des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale et économique tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter dans son ouvrage universel «Réformes et démocratie». D’où l’urgence de restructurer tant le système partisan, que la société civile loin de toute action autoritaire, car lorsqu’un pouvoir émet des lois qui ne correspondent pas à l’État de la société, celle-ci émet ses propres lois qui lui permettent de fonctionner accentuant le divorce Etat-citoyen par la dominance de l’informe.

Tout pouvoir a besoin d’une opposition forte organisée avec des propositions productives pour se corriger, devant l’associer dans les grandes décisions qui engagent l’avenir du pays. L’Algérie a besoin pour éviter la léthargie et la stérilité que tous ses enfants, dans leur diversité, par la tolérance des idées d’autrui, se regroupent au sein d’un même objectif, à savoir le développement économique et social tenant compte de la dure réalité mondiale où toute Nation qui n’avance pas, recule forcément. L’Algérie a besoin d’un consensus minimum qui ne saurait signifier unanimisme signe de la décadence de toute société. Il faut revenir aux fondamentaux de la démocratie. Nous devons apprendre à nous respecter, personne n’ayant le monopole du nationalisme, devant tolérer les idées d’autrui.
L’Algérie est confrontée à de nombreux défis rendant urgente une transition démocratique elle-même tributaire d’une transition à la fois énergétique et d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, que ne saurait voiler l’euphorie de la rente des hydrocarbures traditionnels .
Dans ce cadre, j’estime que les analyses et propositions de feu Ferhat Abbas sont d’une brûlante actualité, en ces moments où l’Algérie se cherche , la relecture de son action militante et de ses Mémoires peut être très instructive . D’ailleurs, lors d de l’élaboration du programme de l’Association nationale de développement de l’économie de marché (ADEM) que j’ai eu l’honneur de présider de 1992/ à 2016, l’ensemble des adhérents de l’Est, du Centre , du Sud et de l’Ouest et lors d’une large tournée dans les universités algériennes, aux Etats- Unis d’Amérique et en Europe entre 1993/1996, lors de différentes conférences internationales, nous avons tenu à lui rendre un vibrant hommage et ce pour trois raisons essentielles.

Premièrement : c’est un militant de la première heure de la cause nationale. Diplômé docteur en pharmacie en 1933, il s’établit à Sétif où il devient rapidement une importante figure politique de par son statut de conseiller général en 1934, conseiller municipal en 1935 puis délégué financier. Il adhère à la «Fédération des élus des musulmans du département de Constantine» en tant que journaliste au sein de son organe de presse, «L’hebdomadaire». Il devient le promoteur de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord, dont il est vice-président en 1926-1927, puis président de 1927 à 1931, date à laquelle il transforme l’Amicale en association. Il est également élu vice-président de l’Unef lors du congrès d’Alger de 1930.
Le 14 mars 1944 il crée l’association des Amis du manifeste de la liberté (AML), soutenu par le cheikh El Ibrahimi de l’Association des oulémas et Messali Hadj. En septembre 1944, il crée l’hebdomadaire Égalité (avec pour sous-titre «Egalité des hommes – Égalité des races – Égalité des peuples». Au lendemain des émeutes de Sétif de mai 1945, tenu pour responsable, il est arrêté et l’AML est dissoute. Libéré en 1946, Ferhat Abbas fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (Udma). En juin, le parti obtient 11 des 13 sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif. Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il démissionne de l’assemblée en 1947. Il lance le 1er novembre 1954 les premières actions armées qui marquent le début de la «Révolution algérienne». Dès le 20-Août 1956, à l’issue du congrès de la Soummam, il devient membre titulaire du Cnra (Conseil national de la révolution algérienne), puis entre au CCE (Comité de coordination et d’exécution) en 1957. Ferhat Abbas devient ensuite président du premier Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second Gpra, élu par le Cnra en janvier 1960 et démissionne le 15 septembre 1963 pour essentiellement des raisons d’option à la fois politique et économique.

Deuxièmement : c’était un intellectuel de haut niveau, dont les écrits et prises de position lui vaudront un emprisonnement à Adrar entre 1963 et mai 1965; assigné à résidence entre mars 1976 et le 13 juin 1978. Il publie en 1980 ses Mémoires dans «Autopsie d’une guerre» puis en 1984, dans «L’Indépendance confisquée», il dénonce la bureaucratisation de la société et la corruption. Il croyait fermement au primat de la connaissance sur la distribution de la rente. Il dénonce notamment 100 ans de colonisation française où il insiste sur «l’algérianité». Je le cite : «Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux (La nuit coloniale Julliard, Paris, 1962)».

Troisièmement : c’est le premier défenseur algérien de l’économie de marché à vocation sociale, en fait contre un capitalisme sauvage mais contre l’étatisme bureaucratique. Il préconisait de réaliser la symbiose entre l’efficacité économique et une profonde justice sociale et ce grâce à un Etat puissant régulateur mais fort que par sa moralité, l’Etat de droit et la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle. Pour cela, le dialogue permanent entre les différentes forces politiques, sociales et économiques sans exclusive condamnant toute forme d’extrémisme, la participation citoyenne à la gestion de la Cité intégrant l’élite et la femme signes de la vitalité de toute société et le contrat qui devait remplacer les actions autoritaires bureaucratiques étaient les conditions pour la prospérité de l’Algérie. Il a mis en exergue la nécessité de lutter contre la corruption, les responsables devant donner l’exemple, qui selon lui constituerait le plus grave danger qui menacerait le devenir du pays et a préconisé de développer les libertés, toutes les libertés (politique, économique, sociale et culturelle). Ce que l’on appelle aujourd’hui bonne gouvernance.
Abderrahmane Mebtoul
Pr des Universités
Expert international