Une place sociale prépondérante

Bande dessinée africaine

C’est un moyen pédagogique à vocation didactique pouvant transmettre toutes sortes de connaissances, en plus de son apport considérable en vocabulaire et en modèles de phrases syntaxiquement correctes.L’expérience nous a apporté la preuve que tous ceux qui ont lu des BD durant leur enfance et adolescence ont dépassé leurs camarades dans la compétence langagière tout en gardant jusque dans leurs années de vieillesse la passion de lire. Ce qui leur a donné un niveau de culture dépassant nettement la normale. Aujourd’hui, on assiste chez nous à une situation inverse : une réduction du lectorat faisant craindre sa disparition totale. On n’a qu’à voir, dans les rues et les transports publics, combien par jour vous pouvez rencontrer de gens tenant un livre ouvert. Vous risquez de ne pas en voir du tout, pendant une longue période.
Les bandes dessinées sont capables de recréer cette envie de lire susceptible, en dehors d’un enseignement scolaire efficace, de développer les facultés intellectuelles qui rendent les têtes bien faites. Des Africains qui ont compris le phénomène tentent de réduire, aujourd’hui, les risques de situations graves de vide culturel et de sous- développement mental ont enclenché un processus d’apprentissage par la production de livres en bandes dessinées, à vocation scientifique, littéraire, historique, humoristique.

Hilaire Mbiye Lumbala, un auteur de référence
Docteur en communication à l’université catholique de Louvain (Belgique) et professeur en sémiologie à l’université catholique du Congo, il est l’auteur d’un livre intitulé «Cases et bulles africaines» édité il ya quelques années pour faire connaître l’utilité de la bande dessinée pour une meilleure transmission de l’héritage culturel de l’Afrique extrêmement riche de récits et contes populaires. Mais l’auteur ne se limite pas à mettre l’accent sur les moyens de pérenniser le patrimoine commun mais à encourager à la créativité moyennant ce support de la BD qui facilite la lecture par la caricature et le texte.
Et comme les Occidentaux ont inventé Tintin et Tarzan dans leurs BD, les Africains ont les leurs sous les noms de Zoba Moke au Congo Brazzaville, Mata-Mata, Pili Pili, Apolosa, Mohuta et Mapeka au Congo démocratique, Dago, Monsieur Zézé et Camphy Gombo en Côte d’Ivoire, Bibeng et Tita Abessola au Gabon, Tekoué en République centrafricaine, Boy Melakh et goorgoulou au Sénégal.
Contrairement à ce que l’on peut penser, il y a actuellement en Afrique une prolifération de titres de BD fondée sur la diversité et l’originalité intéressant tous les domaines artistiques : peinture, sculpture, architecture, musique, cinéma, littérature, peinture populaire, photographie. Cependant, il existe des handicaps qui pourraient empêcher la BD d’évoluer. Le manque de maisons d’édition, d’organisme de diffusion et de presse d’audience nationale ou internationale pour une publicité et une promotion des productions africaines.
Il est vrai qu’avec des siècles d’esclavage et de colonisation, il est difficile pour les Africains de prétendre développer les œuvres en BD pour traiter de tous les aspects concernant leurs cultures nationales, leur longue histoire, leurs problèmes quotidiens, eux qui ont consommé des productions étrangères avec tout ce que cela laisse supposer comme influences infériorisantes. Il leur faut pour réussir comme dans les pays avancés, organiser, à l’échelle du continent africain, des concours, des prix, des festivals qui permettent de relancer la créativité ou l’esprit d’émulation malgré la diversité des langues héritées des anciens occupants : il y a des lusophones, anglophones, francophones, arabophones, en attendant que les langues africaines connaissent un meilleur statut et entrent dans la typologie des bandes dessinées éducative, historique, scientifique.

Aux origines de la bande dessinée africaine
L’auteur du livre en sa qualité de sémiologue parle avec regret d’une absence de monographie de la bande dessinée africaine en tant qu’expression culturelle. Pour Hilaire Mbiye, il y a deux périodes qui ont marqué cette bande dessinée africaine. Par rapport aux pays d’Europe où on a célébré le centenaire de la BD, l’Afrique a fait quelques pas timides dans ce domaine et avec des moyens réduits. Les résultats satisfaisants ne sont dus en réalité qu’à la volonté de réussir des pionniers des hommes de lettres qui avaient aussi toutes les capacités nécessaires à l’élaboration des œuvres de ce type dont le contenu en véhicule par deux supports : la caricature et le texte. En 1950, c’est en Côte d’Ivoire qu’apparaît une BD à caractère publicitaire. La même année, à l’île Maurice sous le titre «Les aventures de Pierre Kirouille» avaient sous forme de mini-séries sans paroles.
Le premier Congolais d’une vraie bande dessinée appelée Mukwapamba » sur dessins est G. Lutuba. Il y eut un autre titre «Les aventures de Taba Bata» devenu «Les aventures de Batamen». En 1994, les éditions St Paul d’Afrique devenues cette année la «Médiaspaul» ont fait paraître Antilope à destination des jeunes sous la forme d’aventures de Taba Bata. N’oublions pas de rappeler que ce type de BD qui a changé d’appellation a des origines remontant à la période coloniale. Parfois des variantes de BD sont lancées par des missionnaires religieux cherchant à évangéliser. Vers les années 1960 on a vu circuler des BD à bulles. Ceci après l’indépendance, et c’est Madagascar qui est cité comme le premier pays à avoir publié une bande dessinée appelée «Ny Ombalahibémaso». A caractère historique, cette bande dessinée raconte la vie d’un roi qui a marqué Madagascar.
Ce travail d’élaboration a été fait avec beaucoup de talent dans les formes et la narration. Et que de publications de BD plus ou moins réussies qui ont suscité un réel engouement en apportent la preuve de leurs bienfaits auprès des jeunes. L’idéal serait d’installer des comportements sains, voire une culture du livre, source d’enrichissement et de développement de toutes les compétences langagières. Si les pays africains réussissent là-dessus, ils feraient un grand pas dans l’éducation des jeunes en mal d’évasion.
Les Africains d’Afrique comme les Afro-Américains ne manquent pas d’intellectuels ou d’hommes et femmes de lettres talentueux comme leurs aînés de la trempe de Senghor, Césaire, Glissant, Alex Halley qui ont produit des best-sellers pouvant servir de modèles pour une jeunesse qui se cherche sur la voie de la créativité. On n’a pas de conseils à leur donner mais l’idéal pour les polyglottes serait de produire des BD en version bilingue. Et que de matière à mettre en forme pour des générations d’écrivains, dans des pays chargés d’histoire, marqués par l’oralité et resté inexplorés.

Abed Boumediène