Les défis de l’Algérie 2024/2030 face aux tensions budgétaires et des nouvelles mutations économiques mondiales

Politique générale du Gouvernement

Cette présente contribution intervient dans le cadre de l’enrichissement de la politique générale du gouvernement devant le parlement, axée sur une stratégie d’adaptation face aux nouvelles mutations mondiales.

L’Algérie connaît une relative stabilisation financière grâce au cours élevé des hydrocarbures qui représentent avec les dérivées (comptabilisées à 67% dans la rubrique hors hydrocarbures en 2022, selon les statistiques douanières) 98% des recettes en devises.
L’Algérie connait un endettement extérieur relativement faible, moins de 3 milliards de dollars, un endettement public global en croissance d’environ 60% du PIB, des réserves de change d’environ 73 milliards de dollars fin 2023 et 82/83 milliards de dollars, y compris les 173 tonnes d’or, dont l’once connaît d’importantes fluctuations. Les importations biens finis et biens intermédiaires connaissent des tensions, accroissant le processus inflationniste, sont estimées pour 2023 à 41,5 milliards de dollars, non compris les services qui ont fluctué entre 2021/2022 de 6/7 milliards de dollars/an, nous approchant de 50 milliards de dollars.
À une moyenne de 80/85 dollars le baril et 11/12 dollars le MBTU du gaz, les recettes d’hydrocarbures devraient fluctuer entre 47/53 milliards de dollars fin 2023 contre 60 en 2022 dont le cours avait atteint 106 dollars et 15/16 dollars le MBTU. Concernant la situation des finances publiques, selon le document du gouvernement les recettes ont augmenté de 25% entre 2022 et 2023 pour atteindre 8900 milliards dinars (DA) et les dépenses budgétaires ont augmenté de 52%, atteignant 14.700 milliards de dinars, un déficit global de 5800 milliards de dinars soit au cours de 137 dinars un dollar 42,33 milliards de dollars.
Selon les données du FMI/BM pour 2023, entre le budget de fonctionnement et d’équipement, l’Algérie fonctionne sur la base d’un cours approchant les 130 dollars le baril. Les transferts sociaux non ciblés et généralisés, sont estimés pour 2023 à 5000 milliards de dinars (qu’en sera t-il pour la loi de Finances 2024), 36,49 milliards de dollars, soit 28,24% du PIB.
Sur le plan macroéconomique, le gouvernement prévoit une croissance de plus de 5% en 2023, et pour les organisations internationale BM/FMI, le PIB devrait s’établir à 200 milliards de dollars en 2023, le gouvernement donnant un autre montant 233 milliards de dollars et le taux de croissance réel devrait croître de 2,3% en 2023, emmené par sa composante hors hydrocarbures (+3,1%) et des hydrocarbures (+0,5%) et «la croissance du PIB se modérerait à 1,8% en 2024. L’inflation a été relativement élevée : plus de 9% en 2022, 7% en 2023 pour le gouvernement et plus de 8% pour le FMI. Avec la forte pression démographique, il faut un taux de croissance sur plusieurs années de 8/9% par an devant créer 350.000/400.000 emplois nouveaux/an, qui s’ajoute au taux de chômage estimé à 14/15%, y compris les emplois rente et les sureffectifs dans les administrations et entreprises publiques. Car l’emploi ne se crée pas décret dépendant de la croissance des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration en Algérie en 2022 ne dépasse pas 15/20%, le taux d’emploi via le taux de chômage, étant fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité. D’où les nombreux défis qui attendent l’Algérie entre 2024/2025/2030 face à l’accroissement des besoins internes (50 millions d’habitants horizon 2030) et des nouvelles mutations mondiales, nécessitant des stratégies d’adaptation. Car ce n’est plus le temps où la richesse d’une nation s’identifie aux grandes firmes des nations, les grandes firmes ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes: chaîne de commandement, classification des emplois, portée du contrôle avec actuellement, nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments : la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous traite l’ensemble des autres composants. Les firmes prospères sont passées de la production de masse à la production personnalisée (Pr Reich ex-secrétaire d’Etat US). Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce.
En ce XXIe siècle, la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail, le moins cher et la qualification devient un facteur déterminant. (débat à Radio France Internationale RFI, le 12 novembre 2012, Paris, que j’ai tenu avec le Pr Antoine HALFF de Harvard, ancien économiste en chef du gouvernement Barak Obama et qui était directeur de la prospective à l’AIE sur les nouvelles mutations mondiales). Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages de formation permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie. Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques avec la prédominance des services qui ont un caractère de plus en plus marchand contribuant à l’accroissement de la valeur ajoutée.
Les firmes se transforment en réseau mondial, étant impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe diffus, répartis dans ce village mondial, dominé par des réseaux croisés consommateurs/producteurs avec de nouvelles organisations à tous les niveaux, politique, économique et social.( Pr A. Mebtoul-Revue mensuelle Politis El Moudjahid de septembre 2023 les enjeux géostratégiques mondiaux).

La nouvelle politique économique en Algérie doit s’articuler autour de cinq axes directeurs :
Premièrement, la forte croissance peut revenir. Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité, les politiques parleront de justice sociale.
La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise dans les mains de telle ou telle administration. Elle ne pourra être conduite que si, au plus haut niveau de l’État, une volonté politique forte les conduit et convainc les Algériens de leur importance d’où avec l’ère d’internet une communication active transparente permanente.
Ensuite, chaque ministre devra recevoir une « feuille de route » personnelle complétant sa lettre de mission et reprenant l’ensemble des décisions qui relèvent de sa compétence.
Au regard de l’importance des mesures à lancer et de l’urgence de la situation, le gouvernement devra choisir le mode de mise en œuvre le plus adapté à chaque décision : l’accélération de projets et d’initiatives existantes, le vote d’une loi accompagnée, dès sa présentation au Parlement, des décrets d’application nécessaires à sa mise en œuvre et pour les urgences seulement des décisions par ordonnance pourront être utilisées.
Deuxièmement, les actions coordonnées et synchronisées dans le temps exigent le courage de réformer vite et massivement, non des replâtrages conjoncturelles mais de profondes réformes structurelles à tous les niveaux en ayant une vision stratégique pour le moyen et le long terme, devant donc réhabiliter la planification et le management stratégique. L’Algérie peut y parvenir dans un délai raisonnable. Pour cela, elle doit réapprendre à envisager son avenir avec confiance, libérer l’initiative, la concurrence et l’innovation car le principal défi du XXIe pour l’Algérie sera la maîtrise du temps.
Le monde ne nous attend pas et toute Nation qui n’avance pas recule forcément. Retarder les réformes ne peut que conduire à l’appauvrissement, une perte de confiance en l’avenir puisqu’avec l’épuisement de la rente des hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Cette croissance exige l’engagement de tous, et pas seulement celui de l’État en organisant les solidarités devant concilier efficacité économique et équité par une participation citoyenne et un dialogue productif permanent.
Troisièmement, devant dépasser la mentalité rentière, la majorité des Algériens dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures doivent savoir que l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition. L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. La nature du pouvoir doit également changer supposant une refonte progressive de l’Etat par une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, impliquant qu’il passe de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, conciliant les couts sociaux et les couts privés, étant le cœur de la conscience collective, par une gestion plus saine de ses différentes structures.
Quatrièmement, pour s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, développant le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français, du chinois à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche. Il faut éviter une erreur fondamentale dans la politique éducative d’un pays, vision de court terme en privilégiant uniquement la recherche appliquée.
La recherche théorique est le fondement de l’innovation, l’application pratique au vu des expériences pouvant demander plusieurs années. Par ailleurs, figer un élève ou un étudiant uniquement sur la pratique peut conduire à terme à en faire un chômeur potentiel car en ce XXIe siècle c’est fini les emplois à vie, et avoir une solide base théorique permet de s’adapter grâce par une nouvelle formation pour les métiers de demain qui ne seront plus ceux d’aujourd’hui, devant favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés, dont : le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement, les services à la personne avec le vieillissement de la population.
Cinquièmement, toute Nation ne peut distribuer plus que ce qu’elle produit annuellement, si elle veut éviter la dérive sociale. Il s’agira de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, en intégrant la sphère informelle plus de 30/35% du PIB que l’on ne combat pas par des mesures bureaucratiques administratives ayant comme effet son extension.
En conclusion, la bonne gouvernance et la valorisation du savoir (une Nation sans son élite étant comme un corps sans âme) étant le fondement du développement en ce XXIe. D’où l’importance de l’indice de développement humain ou IDH qui traduit l’importance du développement du capital humain dont l’éducation et la santé.
L’Algérie est un acteur stratégique tant pour la stabilité régionale que dans le domaine du Mix énergétique (Pr A. Mebtoul- le quotidien El Moudjahid 07 octobre 2023 et au niveau international-AfricaPresse – Paris 08 octobre 2023 coopération énergétique entre l’Europe et l’Algérie).
Dans d’autres filières, l’Algérie dispose de tous les atouts pour créer la richesse hors rente devant s’adapter au nouveau monde avec la transition numérique (lutter contre les cyberattaques) et énergétique à l’horizon 2030. L’entrave principale au développement provient de l’entropie qu’il s‘agit de dépasser impérativement, renvoyant pas seulement aux facteurs économiques mais également sociaux et politiques dont une autre gouvernance et la valorisation du savoir pilier du développement du XXIe siècle.

Abderrahmane Mebtoul
Pr des Universités
Expert international