Instrument d’encadrement pulsionnel des foules et moyen de contrôle social

Football

Le football est le sport politique par excellence. Force est de constater qu’on assiste depuis plusieurs décennies à une manipulation et récupération politique du football. Sournoisement, le football sert d’exutoire aux nationalismes et d’adjuvant aux guerres. Les tribunes des stades constituent les seules sphères de tolérance de débridement des exaltations hystériques collectives, d’expression des aversions et hostilités bannies par ailleurs dans la vie ordinaire.

Dans le football, au-delà de l’expression des émotions névrotiques, on assiste également à l’éruption volcaniques des particularismes primitifs, des conduites tribales. À notre ère des tribus (des petits groupes, des réseaux sociaux, des communautés identitaires et religieuses) où la raison a été mise au vestiaire, remplacée sur le terrain sociétal par les affects et les émotions, tous les tacles comportementaux sont permis pour réussir socialement, souvent au détriment d’autrui laissé sur la touche. Régulièrement, dans de nombreux pays les matches de football donnent lieu à des explosions de chauvinisme et de xénophobie. Même les États s’y mêlent. Lors des matches impliquant les équipes nationales, responsables politiques et supporteurs n’hésitent pas à se livrer à des hystériques surenchères d’expression ethnico-identitaires, communautaristes, nationalistes, à la limite du racisme. Seul le football est capable de produire cette sorte de comportements antisociaux.
Ainsi, au nom d’une passion infantile confinant à l’intoxication mentale, le football légitime et banalise ces hystéries chauvinistes et tribales collectives. En résumé, le football est la préparation de la guerre par d’autres moyens, le spectacle civilisé de la violence collective « tolérée ».
Beaucoup de fanatiques footeux ne jurent que par le football, et n’injurient que pour le football. Par ailleurs, le football enferme les identités nationales ou régionales dans des identifications mystificatrices (Barcelone, PSG, JSK, MCA, etc.) générant des comportements de rejet et de haine de l’autre, alimentant des sentiments de vengeance, de revanche (mettre une « raclée », une « déculottée », une « branlée ») symptomatique d’une pathologie inhérente au football contemporain, lors des matches internationaux, les supporteurs sont envahis par des élans irrationnels d’identification mimétique à la « mère patrie », donnant lieu à des stigmatisations outrancières de l’adversaire, à des slogans racistes doublés souvent d’agressions physiques, au déferlement du chauvinisme, de l’ultranationalisme, de violences interethniques. Le football est le seul sport qui se joue sous la férule du fric et du flic. Force est de constater que la caractéristique essentielle de la peste émotionnelle footballistique est son pouvoir de contamination. Rien n’est plus contagieux que la peste. Mus par l’esprit de meute ou de horde, les shootés du ballon rond transforment souvent les stades en terrains d’affrontements violents généralisés meurtriers.
Contrairement à l’opinion communément répandue, de nos jours le football ne constitue pas un vecteur d’intégration sociale, de concorde civile ou d’amitié entre les peuples. Au contraire, la réalité effective des terrains nous prouve qu’il remplit une fonction réactionnaire de dépolitisation, de grégarisation régressive et d’exutoire aux frustrations libidinales et sociales, de diversion idéologique, de déversoir hystérique.
Si le football est producteur de violences sociales, vecteur d’agressivités nouvelles, cela tient aussi à sa structure même : le football est organisé en logique de compétition et d’affrontement ; il est fondé sur le principe de rendement et de hiérarchie, normes inhérentes à la société capitaliste foncièrement belligène.
L’apothéose de l’aliénation se vérifie en ces temps de crise économique et sociale. En effet, il est pathétique que, au sein des populations, notamment africaines, l’unique sujet de conversation quotidien soit le football. À cet égard, en matière de commentaires footballistiques, chaque individu rivalise d’ingéniosité pour s’improviser expert sportif de comptoir de café ou de boutique de rue. Selon la topique psychique freudienne, on est en pleine régression au stade « baballe », où les déjections logorrhéiques footballistiques dominent la personnalité.
Une chose est sûre, au-delà de la « fête populaire », le football a toujours été au service des politiques réactionnaires, du dévoiement des luttes sociales, vecteur de distillation du chauvinisme, d’obscurcissement de la conscience de classe. Le football est le seul sport dépourvu d’« innocence politique ». Les grandes messes footballistiques ont souvent servi à légitimer diverses dictatures et régimes autoritaires, de manipulations politiques dans les pays dits « démocratiques ». Assurément, les classes populaires préfèrent s’emparer des tribunes des stades que d’occuper les terrains centraux politiques. Préfèrent succomber aux « passions vibratoires » et aux « extases » footballistiques que de se passionner pour de vibrantes causes politiques émancipatrices. Chaque adepte du foot réclame sa dose d’opium footballistique pour assouvir son addiction, loin des tribulations politiques et sociales mais près des tribunes des stades hystériquement envahies.
Le paroxysme de l’aliénation se déroule dans les stades. Faire jouer les spectacles footballistiques par des acteurs mercenaires millionnaires devant des smicards et des chômeurs constitue en effet l’apothéose de l’aliénation planétaire. Par rapport au néant que les joueurs produisent, on ne peut que s’alarmer sur l’état mental de leurs supporteurs. Cela étant, le football est devenu un instrument de politique d’encadrement pulsionnel des foules, un moyen de contrôle social, une intoxication idéologique saturant tout l’espace public. Il représente pour les États un idéal agent de diversion sociale, une soupape d’échappement permettant la dissolution de l’individu dans la masse grégaire anonyme, un terrain propice au conformisme des automates. Ces porteurs d’un ballon à la place du crâne ressemblent à ces animaux mus par un fonctionnement mimétique, instinctuel.
De nos jours, le football est devenu une véritable machine à décerveler les consciences, une entreprise de massification régressive des émotions, de chloroformisation des esprits, de crétinisation culturelle, de colonisation des conduites par le conformisme grégaire, de fanatisation des masses par les chauvinismes hystériques.
Le football sert d’exutoire à ces shootés du stade, toxicos du foot, décérébrés des stades. Le football, comme tous les sports de compétition, stimule l’agressivité, excite les rivalités, intensifie les tensions, attise les haines, exacerbe les conflits, déchaîne les violences, enflamme les foules fanatisées, exalte les chauvinismes, incite aux crimes, prédispose à la guerre. Il recèle même un ferment de radicalisme. Certains de ses fanatiques supporteurs ne sont-ils pas « fichés S », interdits de stade en raison de leurs activités violentes.
Décidément, l’opium footballistique s’apparente à la drogue islamiste où la violence est érigée en référent culturel, en sport international. Dans le football, les explosions de bonheur s’apparentent davantage à des décharges pulsionnelles primaires bestiales qu’à des expressions de sentiments liés à une sociabilité pacifique fondée sur l’amour et la fraternité.
Le football est la meilleure école de la guerre (autre point commun avec l’islamisme belliqueux qui utilise non pas le ballon rond pour dynamiser les foules mais la bombe explosive pour dynamiter des populations civiles innocentes) : guerres des quartiers, des régions, des nations, guerres des maillots, des sponsors et des télévisions, guerres ethniques, guerres des supporteurs, transformées souvent en guerres civiles.
Force est de relever que le football est belligène. Le football est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Le football est la praxis de la polémologie, théorie de la guerre. Le football est devenu le dernier terrain d’affrontement direct entre pays antagonistes. Le football est une guerre de proxy. L’esprit d’invincibilité, incarné dans le moral de l’équipe de football soudée comme une troupe militaire, est l’élément capital qui permet de gagner ou perdre la guerre footballistique, autrement dit le match.

Khider Mesloub