Le mandat britannique et la déclaration Balfour

Les péchés originels du conflit israélo-palestinien

Il est impossible d’appréhender le conflit Israélo-Palestinien et de se faire une opinion objective sur les causes réelles et les solutions possibles à ce conflit sans remonter à ses origines historiques.

La mission principale du mandat était de porter assistance à la Palestine afin de lui permettre, au bout d’un certain temps, de se gouverner par elle-même. En réalité, comme nous le verrons plus loin lorsque nous aborderons la déclaration Balfour, le vrai objectif était de permettre l’établissement d’un « national home for the Jewish people » (un foyer national pour le peuple Juif), alors que la communauté juive ne représentait que 3% avant le mandat et 9% en 1922. Depuis, suite à l’encouragement de l’immigration juive en Palestine, la population juive est passée de 9% à 22% entre 1922 et 1936 (voir A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine, TRT World, 2019). Initialement, le mandat devait être une étape transitoire devant aboutir à l’indépendance de la Palestine. En effet, il était prévu que « les aspirations des communautés palestinienne, chrétienne et juive » seraient une considération principale dans le choix-même de la puissance mandatrice » (voir The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, Part I (1917-1947), UnitedNations.org). Dans les faits, le mandat britannique a été établi sans prendre en compte l’article 22 (alinéa 4) de la Convention de la Ligue des Nations qui stipule que les désirs des communautés non-juives doivent être une considération principale dans le choix de l’autorité mandatrice. Lord Sydenham, ancien gouverneur de Victoria, ancien Secrétaire du Comité de défense impériale et ancien Président du tribunal d’Appel britannique, ira encore plus loin pour dire à Arthur Balfour : « Le mal fait en implantant une population étrangère dans un pays arabe—arabe sur l’ensemble du territoire ne sera peut-être jamais remédé…Ce que nous avons fait est (par concessions, non pas au peuple juif, mais à la section extrêmiste sioniste) est de créer un mal en train de se développer à l’Est, et que personne ne pourrait dire jusqu’où ce mal va aller » (voir British Government, Hansard Report, House of Lords, 21 June 1922, p. 1025, cité in « The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, op. cit).
En dépit de toutes ces contradictions entre les faits, les textes et les déclarations, « L’Organisation sioniste a réussi a inscrire dans le texte final du mandat les principes de la « connexion historique [attachement historique] et de la « reconstitution » [Etat, Commonwealth] pour le peuple Juif et à faire approuver le texte par la Ligue des Nations le 24 juillet 1922 qui est entré en vigueur en septembre 1923 suite au Traité de Lausanne entre les puissances alliées victorieuses et l’Empire Ottoman signé en octobre 1922. Le texte final du mandat a donné autorité aux puissances alliées pour se partager les pays sous mandats de la Ligue des Nations, y compris la Palestine, et a incorporé en son sein la déclaration Balfour de 1917, déterminant ainsi le destin de la Palestine et l’émergence de l’Etat israélien. Trois articles inscrits dans le mandat sont particulièrement à souligner. L’article 2 stipule que « L’autorité mandatrice sera responsable pour placer le pays [la Palestine] sous des conditions politiques conduisant à assurer l’établissement du foyer national juif… ». L’article 4 prévoit qu’ « Une agence juive [Jewish Agency] appropriée sera reconnue en tant que corps public avec pour but de conseiller et de coopérer avec «l’Autorité administrant la Palestine» dans des conditions économiques, sociales et autres dans le but d’assurer l’établissement du foyer national Juif et les intérêts de la population Juive de Palestine… ». L’article 6 indique que « L’administration de la Palestine […] facilitera l’immigration juive dans ces conditions acceptables et encouragera, en collaboration avec l’agence juive, la colonisation du [territoire Palestinien] par les Juifs, incluant les terres publiques et les terres non travaillées » (voir « The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit). Aucune référence, par contre, n’était faite dans le texte final du mandat aux droits des Palestiniens, à commencer par le droit de choisir leur autorité mandatrice.

La déclaration de Balfour
Dans une lettre adressée à Lionel Walter Rothschild, banquier, politicien et Président du Bureau des députés des juifs britanniques (1925-1926), le Secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Arthur James Balfour écrivait :« Cher Lord Rothschild,
J’ai le plaisir de vous faire part de la Déclaration suivante de sympathie du Gouvernement de Sa Majesté relative aux aspirations juives sionistes qui a été soumise à l’approbation du Cabinet :« Le Gouvernement de Sa Majesté considère favorablement l’établissement d’un foyer nationalpour le peuple juif [national home for the Jewish people], et utilisera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant entendu que rien ne sera fait qui puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-juives de Palestine ou les droits et le statut politiques dont jouissent les Juifs dans les autres pays. Je vous serai gré de porter cette Déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste » (Signé : Arthur James Balfour).

Cette déclaration porte, depuis, le nom de « déclaration Balfour » et fait partie intégrante du mandat britannique examiné précédemment. Il faut rappeler que, en 1915, dans une autre correspondance entre Sherif Hussein, Emir de Mecca et Sir McMahon, Commissaire britannique en Egypte, le Gouvernement britannique avait promis l’indépendance de la Palestine. Dans cette correspondance, Hussein avait demandé, sans équivoque, l’indépendance des pays arabes, y inclus la Palestine. La réponse du Gouvernement britannique était, également sans équivoque : « The Entente Powers are determined that the Arab race shall be given full opportunity of once again forming a nation in the world…and that no people shall be subject to another” (Les Puissances de l’Entente sont déterminées à ce que soit offerte à la race arabe l’opportunité, une fois de plus, de constituer une nation au sein du monde…et qu’aucun peuple ne sera jamais soumis à la domination d’un autre) (voir « The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit). L’historien britannique Arnold J. Toynbee, alors membre du British Office, avait écrit en 1968, à propos de cette correspondance : « Ainsi que j’interprète la correspondance Hussein-McMahon, la Palestine n’a pas été exclue par le Gouvernement britannique de la zône dans laquelle il avait promis au Roi Hussein de reconnaître et de soutenir l’indépendance arabe. Les Palestiniens arabes pourraient, par conséquent, parfaitement supposer que la Grande- Bretagne s’est engagée à préparer la Palestine à devenir un Etat indépendant » (voir The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit). Il faut aussi faire remarquer que la déclaration Balfour parle de « national home » (foyer national) pour les Juifs, et non « d’Etat » au sens de la Charte des Nations unies. L’usage de l’expression « national home » au lieu de « Etat » laissait place à toutes sortes d’interprétations. Cependant, dans l’esprit de ses initiateurs, « National home always meant an eventual Jewish State » (National home a toujours voulu dire un éventuel Etat Juif) (voir Meeting entre Chaim Azriel Weizmann, un des principaux leaders du sionisme mondial, Arthur Balfour et Lloyd George, alors Premier ministre britannique, 1922). Selon certaines sources, quatre raisons principales non déclarées peuvent expliquer les motivations de la déclaration Balfour : « (1) la volonté du gouvernement britannique et des autres puissances alliées de maintenir le contrôle sur la Palestine pour des raisons stratégiques (maintenir l’Egypte et le Canal de Suez sous la souveraineté et l’influence britannique ; (2) le besoin de la Grande-Bretagne de s’assurer l’appui des juifs américains et russes en vue de soutenir l’effort de guerre et assurer la victoire des alliés ; (3) l’importance représentée par le lobby sioniste et les relations étroites entre la communauté sioniste et le Gouvernement britannique (certains membres du Gouvernement britannique sont eux-mêmes membres du Mouvement sioniste mondial) ; et (4) la volonté du gouvernement britannique de se solidariser avec les Juifs persécutés en Europe » (voir A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine, TRT World, 2019). Il faut aussi souligner que, sans l’aval des autres puissances alliées, la déclaration Balfour n’aurait probablement pas été adoptée. S’agissant de l’appui américain, dans une réunion du Cabinet britannique tenue le 4 octobre 1917, Arthur Balfour aurait déclaré : « President Wilson is extremely favorable to the Movement » (le Président [Américain de l’époque] Wilson est extrêmement favorable au Mouvement) (voir A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine, op. cit). La France aussi avait appuyé la déclaration Balfour. Dans une lettre adressée à Nahum Sokolow, sioniste polonais, Jules Camdon, diplomate français, avait écrit que la France était favorable à une « Jewish colonization of Palestine » (la France était favorable à une colonisation juive de la Palestine). Cette lettre déclarait expressément : « Ce serait un acte de justice et de réparation que d’assister, par le biais de la protection des puissances alliées, à la renaissance de la nationalité juive dans cette terre d’où les Juifs étaient exilés il y a tant de siècles » (voir A Brief History of the Israeli Occupation of Palestine, TRT World, op. cit). C’est cette contradiction dans les objectifs du mandat et de la déclaration Balfour—qui promettaient l’établissement d’un « national home » pour les Juifs, d’une part et, aux Arabes (dont la Palestine), qu’ils obtiendront leur indépendance au bout d’un certain temps, d’autre part—constitue le nœud gordien du conflit Israélo-Palestinien qui dure jusqu’à ce jour. Il faut souligner aussi qu’entre la première mouture de la déclaration Balfour rédigée par l’Organisation sioniste et sa version finale, il y a d’importantes nuances de langage. La première mouture déclarait : « Le Gouvernement de Sa Majesté accepte le principe que la Palestine serait « reconstituée » en tant que foyer pour le peuple juif, tandis que la version finale indiquait : « Le Gouvernement de Sa Majesté considère favorablement l’établissement d’un « national home for the Jewish people ». Le terme « re-constitution » signifierait que le foyer juif existait déjà et que le but était simplement de le « rétablir ». Une deuxième différence entre ces deux versions est que la première dit que « le gouvernement de Sa Majesté utilisera tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la réalisation de cet objectif (reconstitution du foyer national juif) et discutera des moyens et méthodes nécessaires « avec l’Organisation sioniste », tandis que la version finale ne fait pas référence à l’Organisation sioniste (la mention de cette Organisation ayant été supprimée à l’initiative de Chaim Weizmann (voir « The Question of Palestine : Origins and Evolution of the Palestine Problem, op.cit).

A suivre ..