Ce que cache la décision de Biden de construire un «port temporaire» à Ghaza

Cynisme

Au cynisme de l’opération humiliante de largage des vivres menée par les Etats-Unis à Gaza vient s’ajouter leur machiavélisme légendaire, illustré par leur décision de création d’un port de transit de «l’aide humanitaire» au large de l’enclave gazaouie.

Le président Biden, tandis qu’il continue à soutenir militairement et politiquement le génocide qu’Israël commet à Gaza, a ordonné aux forces armées étasuniennes de conduire une mission d’urgence pour installer un «port temporaire» sur la côte de Gaza. L’objectif de ce port est d’accueillir «de grands navires transportant de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des abris provisoires», a avancé Joe Biden.
Pour rappel, l’aide humanitaire qui transite par voie terrestre est délibérément bloquée par Israël. Il suffit aux Etats-Unis de contraindre le gouvernement sioniste d’ouvrir les frontières pour permettre l’acheminement des vivres à travers les routes terrestres.
Or, alors que plus de 2,2 millions de Palestiniens, soit l’immense majorité de la population de l’enclave de Gaza, sont menacés de famine, le gouvernement étasunien préfère lancer un titanesque chantier maritime qui nécessite plus de deux mois de travaux pour être opérationnel. Entretemps, la moitié des éclopés et affamés gazaouis auront péri.
Comme l’a déclaré Sigrid Kaag, coordinatrice des Nations unies pour l’aide humanitaire et la reconstruction à Gaza : «Je ne peux que répéter que l’air et la mer ne remplacent pas la terre et que personne ne dit le contraire.» «La diversification des routes d’approvisionnement terrestres reste la solution optimale», a-t-elle précisé. Pour sa part, Philippe Lazzarini, le chef de l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) a également plaidé pour l’ouverture de points de passage routiers permettant «d’avoir des convois quotidiens à grande échelle». Sa collègue, la porte-parole de l’UNRWA, Juliette Touma, a rappelé la même vérité : «Il existe un moyen plus simple et plus efficace d’acheminer l’aide, c’est via les passages routiers qui relient Israël à Gaza.»
De son côté, Michael Fakhri, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, a déclaré aux journalistes à Genève qu’il était «absurde» que Washington discute de nouvelles routes compliquées pour atteindre un territoire bloqué par son propre allié. «D’un point de vue humanitaire, d’un point de vue international, du point de vue des droits de l’Homme, c’est absurde, sombre et cynique», a-t-il dénoncé.
Selon plusieurs sources, la construction du pont sera menée par des ingénieurs militaires américains. Pour assurer la réalisation de ce gigantesque et coûteux pont maritime, l’armée israélienne sera chargée de la sécurité. Au reste, curieusement, le gouvernement de Benyamin Netanyahou «soutient pleinement» la création d’une telle installation, a déclaré un responsable à l’agence Reuters. Et d’ajouter qu’il espérait que l’opération serait menée «avec une coordination totale entre les deux parties». Cette initiative «permettra l’augmentation de l’aide [entrant] dans Gaza après un contrôle de sécurité correspondant aux standards israéliens», s’est réjoui le porte-parole du ministère des Affaires étrangères d’Israël.
C’est le même gouvernement israélien génocidaire, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen, qui avait refusé à trois agences des Nations unies – Programme alimentaire mondial (PAM), Unicef et Organisation mondiale de la santé (OMS) – l’autorisation d’accès au port d’Ashdod pour acheminer l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Au reste, plusieurs cargaisons d’aide alimentaire des Nations unies, destinées à nourrir les déportés palestiniens de Rafah, sont toujours bloquées par Israël au port d’Ashdod, situé seulement à une trentaine de kilomètres au nord de Gaza. Pourtant, comme le reconnaît la directrice régionale du PAM pour le Moyen-Orient, Corinne Fleischer, «l’ouverture du port d’Ashdod réduirait le temps nécessaire au transport de la nourriture vers les habitants de Gaza depuis le nord».
Pour quel motif les Etats-Unis n’utilisent pas le port d’Ashdod pour faciliter le transfert de l’aide humanitaire aux Palestiniens ? Car, comme ils l’ont prouvé depuis le 9 octobre, ils se contrefichent de la population palestinienne de Gaza. Pour preuve, les Etats-Unis continuent de fournir des armes et des munitions à Israël, qui poursuit sans répit ses bombardements contre les populations civiles. Avec son corridor maritime, Joe Biden soutient les Palestiniens comme la corde le pendu.
Et la construction de ce port maritime, réalisée par opportunité militaire, revêt une dimension géostratégique. Cette opération s’apparente à un exercice militaire pour permettre d’améliorer les tactiques, les techniques et les procédures d’intervention maritime. Elle sert d’expérimentation-entraînement opéré dans le cadre de la défense de l’île Taïwan menacée par la Chine. C’est dans la perspective de cette imminente guerre menée contre la Chine qu’il faut inscrire cette opération de construction expérimentale du pont maritime au large de la bande de Gaza. Pour rappel, en septembre 2022, Joe Biden avait affirmé que les troupes américaines défendraient Taïwan en cas d’invasion chinoise.
Cette opération militaire, initiée sous couvert humanitaire, s’insère également dans le prolongement des manœuvres conjointes américano-philippines menées en avril 2023 en mer de Chine méridionale, où il s’agissait de simuler la «reprise d’une île qui aurait été occupée». Les exercices militaires conjoints avaient simulé un débarquement amphibie sur l’île de Palawan, dans l’ouest de l’archipel, proche des îles Spratleys revendiquées à la fois par la Chine et par les Philippines.
Comme le souligne le chercheur David Rigoulet-Roze à propos de la construction du port au large de l’enclave de Gaza, cette opération militaire maritime américaine fait partie de la «culture thalassocratique» anglo-saxonne. «Toutes choses égales par ailleurs, cela n’est pas sans rappeler les ponts artificiels de 1944 et la capacité américaine à projeter une infrastructure terrestre en mer», a-t-il précisé, faisant référence aux ponts préfabriqués par les Etats-Unis en juin 1944, pour permettre l’approvisionnement des troupes alliées au lendemain du débarquement de Normandie.
Cependant, l’édification de ce port ne servira pas seulement de moyen d’exercice militaire aux troupes américaines, mais également de tremplin à sa pérennisation. Car ce port sera établi, comme par l’effet du hasard, dans la zone maritime riche en hydrocarbures. Israël entend accélérer l’exploitation du gisement de gaz de Gaza. Or, dans le contexte actuel de guerre, donc de crise économique et d’instabilité politique en Israël, seuls les Etats-Unis disposent des moyens d’exploiter ces gisements.
Aussi, contrairement à ce qu’avance nombre d’analystes, les véritables motivations de cette opération ne sont pas uniquement électorales, mais surtout militaires. Pour ces analystes, la seule raison expliquant ce «revirement humanitaire» serait due à «des considérations électorales intérieures». Selon eux, Joe Biden, par sa décision de largage de vivres et son projet de construction d’un pont maritime au large de l’enclave de Gaza, tenterait uniquement de reconquérir les électeurs pro-palestiniens susceptibles de voter pour un «troisième camp» ou de s’abstenir. Biden n’escompte tirer aucun gain électoral de ses manœuvres à Gaza. D’autant plus que certains journaux annoncent son imminent retrait de la campagne électorale en raison de ses problèmes de santé et de sénilité.
La motivation principale de l’édification du port au large de l’enclave de Gaza n’est absolument pas d’ordre humanitaire, mais d’ordre économique et militaire. Plus que jamais, l’Occident est entré en guerre totale et généralisée. En Russie via l’Ukraine. Au Proche-Orient via Israël. En Chine via Taïwan. Aussi toutes ses résolutions et actions s’intègrent dans ses objectifs militaires. L’Occident ne s’embarrasse plus de considérations électorales ni de la démocratie qu’il s’apprête à piétiner et à enterrer. L’Occident est entré dans l’ère du tout pour la guerre, par la guerre et dans la guerre.

Khider Mesloub