Nous n’avons jamais traduit le Coran

Islam

Un tel titre n’a rien d’une provocation ni d’une plaisanterie, mais il s’agit bel et bien d’un sujet sérieux, très sérieux même si on y réfléchit. C’est encore moins une publicité déguisée destinée à survendre ma propre traduction du Coran. Toutefois, le but de cet article étant très précisément d’expliquer la nature réelle de l’ensemble des «traductions» existantes jusqu’à présent, ceci conduira par comparaison nécessairement à mettre en évidence les différences essentielles de la traduction littérale du Coran que nous proposons.
En substance, par « Nous n’avons jamais traduit le Coran » nous signifions que ce n’est point réellement le texte coranique qui a jusqu’à présent été traduit, mais en réalité son interprétation. Nous allons donc comprendre le pourquoi et le comment de cette subtile opération de glissement et de sens et de fonction qui se cache derrière l’intitulé général : Traduction du Coran.
– Pour autant, curieux titre me direz-vous alors que l’on répète à l’envi qu’il existe en français plus de 120 traductions du Coran. Aussi, bien que le présent sujet relève du qualificatif, nous aborderons tout de même cette question se rapportant au quantitatif. En effet, il ne manque pas de «traductologues», professionnels ou amateurs, pour répéter en boucle que le Coran a été traduit plus de 120 fois.
L’argument flatte l’ego et, embrayant ainsi sur l’émotif, il devient une sorte d’argument d’autorité : s’il existe plus de 120 traductions du Coran, c’est donc que les textes proposés sont fiables, parfaitement assurés quant au fond. Chaque traduction ne se différencierait alors que par la forme, le style plus ou moins bon ou plus ou moins mauvais. De la sorte, le lecteur du Coran bénéficie inconsciemment d’un certificat de garantie, voire de conformité. De même, paré de cette abondante couronne de laurier, le traductologue peut alors exercer son art, qui de la flatterie, qui du blâme, peu quant au fond ; et il est bien connu que l’art est difficile autant que la critique est facile.
– Néanmoins, et ce contre tout ce qui est dit et redit, il est faux d’affirmer que l’on dénombre plus de 120 traductions du Coran en français. S’il demeure actuellement impossible d’identifier qui est le premier auteur de ce décompte flatteur, il n’en est pas moins certain que cette information est reprise en boucle sur Internet. Telle est la maladie de ce siècle numérique conduisant à copier et recopier des données sans en éprouver l’origine et, plus encore, la crédibilité. L’Ère du réseau n’est pas celle de la raison. Cependant, pour qui se donne la peine de vérifier, en prenant comme point de départ la traduction du Sieur du Ryer publiée en1647 l’on constate sans difficulté que la traduction de J. Berque parue en 1990 est dans l’ordre chronologique seulement la 23e traduction française complète du Coran. Or, il n’y a sûrement pas eu 100 traductions depuis lors, et ce, bien que le marché de la traduction du Coran soit devenu florissant et que la majorité des traductions proposées ne sont à quelques exceptions près que des traductions de traductions. Relooking, marketing, propagande aussi, sont le moteur premier de cette industrie et, comme nous l’avons indiqué, l’apparence de la quantité évite la question de la qualité et de la recherche. Dans un monde matérialiste et consumériste, il ne pouvait être mis en avant que le nombre et non la valeur intrinsèque !
– Ceci étant précisé, lorsque nous disons : « Nous n’avons jamais traduit le Coran », il ne s’agit donc pas de la quantité produite, mais bien d’une question de fond… De ce fait, notre propos n’est pas de critiquer les traductions et encore moins les traducteurs, mais de proposer une réflexion sur le choix méthodologique qui caractérise toutes les traductions du Coran.
En effet, et sans que l’on y prête attention, ce qui nous préoccupe ici est systématiquement écrit sur “l’emballage” : « la traduction en langue française du sens de ses versets ». Ce sous-titre promulgué par l’édition de la traduction du Coran dirigée par l’Arabie Saoudite signifie très clairement que ce n’est pas le texte arabe du Coran qui est traduit, mais la signification que l’on donne à ses versets. Ce n’est donc pas le texte coranique qui est traduit, mais une exégèse. Question : qui est « on » ? Réponse : la lecture wahhabo-salafiste saoudienne. [2] Question : quelle exégèse ? En guise de réponse une des dernières traductions parues énonce en toute franchise son programme : « traduction du sens de ses versets d’après les exégèses de référence » ; tout est dit, mais tout est aussi dans le non-dit… nous reviendrons sur ce point.
– Cet étiquetage, bien qu’il soit l’aveu d’une trahison du texte coranique original, a été abondamment repris sous forme de produits dérivés, ex. : « Le Noble Coran et la traduction en langue française de ses sens ». Ceci indique directement que ces éditeurs n’ont pas vraiment compris l’intention de l’énoncé type puisque par « de ses sens » l’on suppose plusieurs significations possibles, ce qui bien évidemment n’est pas le cas de ces traductions ! Ce n’est pas non plus l’objectif voulu et affiché par la formule désormais célèbre et par conséquent incontournable : « la traduction en langue française du sens de ses versets ». L’on peut aussi lire ailleurs : « Traduction rapprochée du sens des versets du Coran », le traducteur reconnaîtrait donc en plus son incompétence ! Pire encore, et jusqu’à l’absurde, on peut lire sur certains sites d’obédience : « traduction approximative du sens approché des versets du Coran ». À moins qu’il ne s’agisse d’une plaisanterie, la signification du Coran est ici tant pulvérisée que ridiculisée. En version plus intellectuelle et faussement modeste, l’on trouve aussi le désormais classique « essai de traduction du Coran ». En réalité, il s’agirait d’un aveu de non-traduction puisqu’avoir essayé c’est tenter de faire quelque chose sans être sûr d’y être parvenu ! Enfin, dans le même style, une traduction connue intitule son travail de la sorte : « essai d’interprétation du Coran inimitable » ! Ici nous touchons le cœur du problème : si le Coran est déclaré « inimitable », c’est au sens d’intraduisible. Le Coran serait donc intraduisible, mais s’il est intraduisible pourquoi le traduire ! Le Coran serait donc intraduisible, mais seul ce qui ne se comprend pas ne peut pas être traduit. Le Coran serait-il donc incompréhensible ! Conséquemment, toute traduction ne pourrait être qu’une « interprétation », voire un « essai d’interprétation ».Nous l’aurons constaté, le dogme du Coran supposé inimitable engendre le non-sens parfait : je traduis ce que l’on ne peut ni comprendre ni traduire. Autrement dit, les traductions proposées se déclarent elles-mêmes ne pas être de principe des traductions du Coran, d’où, répétons-le et comprenons-le : « Nous n’avons jamais traduit le Coran ». Il devient ainsi trompeusement cohérent de proposer au lecteur, non pas une traduction du texte coranique réel, mais prétendument de son interprétation, de son sens, de sa signification.
Or, cela a été précisé plus haut, cette interprétation est à présent monolithique : l’interprétation standardisée de la production salafo-wahhabite.
– La somme des aveux ci-dessus cités est claire : les traductions du Coran ne sont pas des traductions du texte coranique, mais de « la signification que l’on donne à ses versets », c.-à-d. de l’interprétation voulue. Autrement formulé : « Nous n’avons jamais traduit le Coran », car tout ce qui a été réalisé et présenté comme étant une traduction du Coran est de fait et tout d’abord la traduction de son exégèse et non pas de son texte à la lettre. Les traducteurs du Coran nous signifient donc que leurs traductions sont en réalité la traduction d’une interprétation. En ces conditions, le texte d’une traduction du Coran est avant tout une interprétation de l’interprétation exégétique. Voici un exemple d’une traduction connue illustrant la non-traduction du texte coranique au profit de la traduction de l’exégèse/interprétation du verset : « En effet, deux anges se tiennent l’un à droite et l’autre à gauche de l’homme pour enregistrer tous ses faits et gestes », S50.V17.
Nous avons souligné les termes de cette traduction qui appartiennent au texte arabe : cela donnerait : deux se tiennent à droite et à gauche. L’on constate donc que sur les 15 mots qui composent ladite traduction de ce verset, seulement 4 termes appartiennent au verset en arabe. De fait, la signification : « en effet deux anges enregistrent tous les faits et gestes de l’homme » est entièrement constituée de termes n’appartenant pas au texte coranique, mais ces termes représentent l’interprétation classique, laquelle a donc été intégrée à la traduction.
Dr al Ajamî
(A suivre…)