Nous n’avons jamais traduit le Coran

Islam

Un tel titre n’a rien d’une provocation ni d’une plaisanterie, mais il s’agit bel et bien d’un sujet sérieux, très sérieux, même si on y réfléchit. C’est encore moins une publicité déguisée destinée à survendre ma propre traduction du Coran. Toutefois, le but de cet article étant très précisément d’expliquer la nature réelle de l’ensemble des «traductions» existantes jusqu’à présent, ceci conduira par comparaison nécessairement à mettre en évidence les différences essentielles de la traduction littérale du Coran que nous proposons.

En réalité, le texte arabe de ce verset n’est pas traduit, ses termes ne sont pas analysés et ne sont pas même reproduits en leur intégralité. Nous aurons donc vérifié par cet exemple parmi une multitude d’autres ce que nous entendons par : « nous n’avons jamais traduit le Coran », mais c’est une interprétation qui a été traduite.Voici à titre de comparaison notre traduction littérale mot à mot : « quand se trouvent face à face les deux entités se rencontrant, une à droite et une à gauche, au plus près».[3]

– Par conséquent, il est parfaitement erroné de parler de traductions littérales puisque ce n’est pas la lettre qui est traduite, mais une interprétation exégétique du texte coranique. Là se situe le vrai problème : en ces conditions, quel sens du Coran est retenu par les traducteurs parmi les multiples interprétations du patrimoine exégétique classique ? La réponse proposée et imposée est sans ambiguïté contenue dans l’objectif est défini tel quel : « traduction du sens des versets qu’il faudrait leur donner ». Ce propos qui ne cache rien des intentions qui y président est inscrit en ces termes dans l’introduction de la traduction wahhabite placée sous l’égide de feu le roi Fadh d’Arabie dont l’édition française est parue en 1989.[4]
Selon les promoteurs de cette traduction, il y a donc un sens, une interprétation du Coran qui doit être traduite et pas une autre.
Or, cette claire intention est due à ceux-là mêmes qui ont inventé la formule magique: « la traduction en langue française du sens de ses versets ». Ce qui en réalité signifie donc : « la traduction de notre interprétation qui doit être admise par tous ». Cette double caractéristique, l’imposition d’une unique interprétation des versets du Coran au détriment de toute autre et sa très large diffusion justifie que nous la qualifions de traduction standard.[5]
Celle que tout le monde connaît et cite de bonne foi en pensant qu’elle est fidèle à la lettre coranique. Celle qui a été distribuée massivement plus ou moins gratuitement. Celle à laquelle l’on a accès majoritairement sur le Web, le Shaykh américain Google étant pour l’occasion wahhabisé à son insu, un algorithme ne connaît que le quantitatif, pas le qualitatif. Celle, enfin, à l’aune de laquelle est pesée toute nouvelle traduction ! Là réside la problématique, sous le poids de cette autorité impérialiste importée nul n’ose ni ne peut se démarquer en proposant une traduction du Coran qui serait basée sur autre compréhension.
– Par traduction standard il faut aussi entendre que par la force de persuasion du pétro-islam ces traductions se conforment à une exégèse standardisée : l’interprétation wahhabo-salafiste du Coran. Cette dernière est constituée d’un mélange d’avis extraits principalement du tafsîr de Ibn Kathîr,[6] mâtinée de quelques références à Tabari, construite essentiellement sur des avis d’autorités de la mouvance hanbalo-wahhabo-salafiste et saupoudrée de hadîths sélectionnés en ce sens. Nous pouvons donc comprendre qu’à l’heure actuelle ce n’est pas le Coran qui est traduit, mais une et une seule exégèse interprétative que l’on peut qualifier à raison d’exégèse standard ou interprétation standardisée.
Concrètement, quelle que soit la nouvelle traduction du Coran publiée, son auteur ne peut plus s’écarter de cette voie interprétative tant elle est devenue la référence consciente ou inconsciente des musulmans. Ceci résulte d’une standardisation des esprits qui pris au piège de la représentativité quantitative ne peuvent alors plus concevoir qu’une autre compréhension et donc d’autres traductions du Coran soient possibles…
– Par ailleurs, il ne faudrait pas penser que ce phénomène de non-traduction ne serait le fait que de la traduction standard ou de ses actuelles copies et retraductions. Autrement dit que cette situation serait aussi récente que la suprématie wahhabo-salafiste. En réalité, en « Nous n’avons jamais traduit le Coran » l’adverbe « jamais » signifie que ce phénomène de traduction de l’interprétation du Coran plutôt que de son texte, sa lettre, est ancien. En effet, il en fut ainsi dès les premières traductions du Coran que l’on peut qualifier de moderne. Par moderne nous entendons les traductions qui ont cessé d’être des pamphlets contre le Prophète et l’Islam comme cela était de mise depuis le Moyen âge. La traduction en latin commandée par Pierre dit le Vénérable, Abbé de l’Abbaye de Cluny au 12e siècle est l’exemple le plus patent de ces pamphlets anti-mahométans. Concernant les traductions du Coran en français qui se dégagèrent progressivement de ce présupposé, la plus ancienne est celle du Sieur André Du Ryer en 1647. Puis, plus d’un siècle plus tard, elle fut suivie par celle de Claude-Étienne Savary en 1783. Ensuite vint la traduction de Albert de Kasimirski plusieurs fois éditée à partir de 1840. Cette traduction demeure la plus connue de ces époques puisque malgré ses carences et ses préjugés elle est encore éditée de nos jours. Or, point commun de ces traductions : elles entendent traduire le texte arabe du Coran en s’appuyant sur les exégèses musulmanes. Lesquelles ? Principalement deux : le tafsîr de al–Bayḍāwī ; le tafsîr dit al–Jalālayn d’al–Maḥallī et d’al–Suyūṭī ; deux exégèses concises et faciles à consulter faisant la synthèse d’ouvrages plus volumineux comme le tafsîr de Tabari ou celui de ar–Razî.
Le ton était donc donné d’emblée : les traducteurs du Coran ne sont pas des exégètes et pour toutes les traductions du Coran qui vont suivre du 20e siècle jusqu’à nos jours il a été fait de même, choix revendiqué sans ambages dans leurs introductions, si l’on prend la peine de les lire. Les traductions produites ne diffèrent alors entre elles que par leur style, la forme, mais sur le fond, la question du sens, toutes donnent la priorité à l’exégèse plutôt qu’au texte du Coran lui-même. Le Coran, c.-à-d. sa lettre, n’a donc jamais été traduit, mais les traducteurs du Coran ont utilisé son texte comme support d’une exégèse interprétative préétablie et à présent canonisée. Dans les traductions du Coran actuelles, l’exégèse classique en sa version standardisée d’origine wahhabite a donc la priorité sur le texte coranique. Nous n’avons donc jamais traduit le Coran, mais une interprétation du Coran. Si ce constat est gênant, il dévoile un fait plus grave encore puisque depuis un demi-siècle une conception sectaire théologique, dogmatique et juridique à l’origine minoritaire et hétérodoxe a réussi l’exploit de s’imposer comme l’Islam de référence.
Concernant notre sujet, cette mouvance a imprimé au Coran la signification conforme à ses opinions : la traduction standard selon l’exégèse standardisée par leurs soins. Pour qui douterait encore des objectifs et des intentions de cette “traduction” il suffit de lire la conclusion de son introduction : « purifier les notes explicatives de toutes les erreurs des questions ayant trait au dogme et aux opinions juridico-philosophiques. »

Conclusion
Par « Nous n’avons jamais traduit le Coran » nous retiendrons que dès l’origine les traducteurs en langue française du Coran n’ont pas essayé de traduire le texte coranique sans passer par le corpus exégétique orthodoxe. Au demeurant, cela vaut aussi pour les traductions en d’autres langues et pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées ici. Les traducteurs n’ont pas traduit et ne traduisent toujours pas réellement le texte coranique, mais plus encore à présent s’appuient avant toute chose sur l’exégèse standardisée : la « traduction du sens des versets qu’il faut leur donner » ou autrement formulé : « la traduction en langue française du sens de ses versets ».
Par « Nous n’avons jamais traduit le Coran » nous aurons compris que la lettre du Coran n’est pas la priorité des traductions existantes. Par conséquent, contrairement à ce qui se dit et se fait, aucune des traductions proposées ne peut être qualifiée de traduction littérale.
Ceci nous conduit logiquement au prochain article à paraître prochainement consacré au traitement éditorial catastrophique subi par ce que l’on nomme traduction du Coran: La Traduction du Coran n’a jamais été un livre.
Viendra ensuite la présentation de notre Traduction Littérale du Coran, dite littérale parce qu’elle ne s’écarte pas en sa forme du texte coranique pris à la lettre. Littérale parce ce qu’elle se fonde sur notre Exégèse Littérale du Coran fidèle à la signification première du texte coranique. Littérale, puisqu’à la différence de toutes les exégèses classiques le sens littéral déterminé par la méthodologie d’Analyse Littérale n’est en aucun cas une interprétation, mais le sens premier du Coran : le Message à l’origine.
(Suite et fin