Des agriculteurs grassement subventionnés soulevés pour faire payer encore les travailleurs

Europe

Depuis plusieurs mois, dans de nombreux pays d’Europe les agriculteurs se mobilisent contre la baisse de leurs revenus, induite, entre autres, par la multiplication des taxes et des normes environnementales.
L’étranglement tarifaire des petits producteurs par l’industrie agro-alimentaire, tout comme la concentration des exploitations, paupérisent une frange importante des agriculteurs. Avec l’accélération et l’accentuation de la crise économique, la flambée des coûts de production, la paupérisation frappe également les propriétaires d’exploitations moyennes. Dans toute l’Europe, des centaines de milliers d’agriculteurs sont ainsi plongés dans la détresse, la misère, au point d’acculer certains au suicide.
Pour protester contre la dégradation de leurs conditions de vie ou la menace de leur disparition, petits paysans et propriétaires de gigantesques exploitations agricoles, quoiqu’en concurrence, se mobilisent sans relâche sous l’étendard des mêmes mots d’ordre bourgeois et chauvins : défense de la propriété privée et de la nation.
De la Pologne à la France en passant par l’Allemagne et l’Italie, les revendications des agriculteurs en colère sont identiques : contre « les charges », contre « les impôts », contre « les normes de Bruxelles », contre la « concurrence déloyale », sur fond de la défense acharnée de la préservation de leur propriété, de la protection des frontières contre les importations étrangères.
Les agriculteurs protestent également contre l’Union Européenne qui exempte les produits agricoles ukrainiens de droits de douane depuis le début de la guerre. Il est utile de rappeler que cette exemption n’a pas été dictée par des raisons humanitaires mais financières. Les exportations agricoles étant la première source de devises pour l’Ukraine, il faut bien lui assurer une rentrée de ressources financières suffisantes pour payer les armes occidentales et rembourser les prêts accordés par les pays européens.
Une chose est sûre, ni les petits paysans ni les agriculteurs d’exploitation moyenne d’Europe, luttant pour défendre leurs intérêts patronaux auprès des Etats nationaux, ne peuvent entraver le rouleau compresseur capitaliste de poursuivre son opération de broyage de leurs entreprises agricoles. Car, crise économique et exacerbation de la concurrence obligent, les entreprises les plus faibles sont vouées à disparaître.
La crise entraîne également l’amenuisement des subventions gouvernementales et européennes. Pour rappel, si l’agriculture européenne s’est hissée à la première place mondiale des pays exportateurs, c’est grâce aux subventions. Qui dit subventions, dit argent des contribuables, c’est-à-dire des travailleurs.
Actuellement, dans l’Union Européenne, 30% des revenus agricoles sont issus des subventions. Pour certains pays européens, ce pourcentage grimpe à 45%, notamment en Allemagne. En France, il est de 80%. En Finlande il frôle les 100% puisqu’il avoisine les 93%.
Or, dans une Europe en crise économique et en préparation à la guerre mondiale, l’heure est à l’austérité, aux restrictions budgétaires, à la réduction drastique des subventions.
Globalement, les agriculteurs, quelle que soit la taille de leur exploitation, ne s’opposent pas au capitalisme. Pire, les agriculteurs défendent les intérêts de leurs patrons, notamment la baisse des « charges sociales », exigent la fermeture des frontières et, surtout, la hausse des prix de leurs produits.
Des revendications fondamentalement anti-prolétariennes. Car cela revient à faire payer aux travailleurs européens au prix fort les produits agricoles, des travailleurs déjà amplement paupérisés par l’hyperinflation orchestrée par les industriels et leur État. Des revendications également anti-prolétariennes car, par les nouvelles aides financières et exemptions fiscales concédées aux agriculteurs par les gouvernements, ce seront encore les travailleurs européens qui payeront la facture avec l’augmentation de leurs impôts et des multiples taxes.
Une chose est sûre : depuis la naissance du capitalisme, la paysannerie n’a jamais joué un rôle révolutionnaire, sinon celui, rarement, de force d’appoint du prolétariat et, régulièrement, de la bourgeoisie.

Par leur attachement atavique à la propriété privée, leur parcellisation territoriale, différenciation sociale, leurs représentations idéologiques réactionnaires, l’absence de toute conscience de classe, leur pusillanimité politique, leur anarchique activisme politique borné à des lilliputiennes doléances et d’infimes réformes, par leur perméabilité à la propagande bourgeoise et leur place évanescente dans l’histoire, les agriculteurs contemporains, en particulier européens, sont, par leurs revendications, fondamentalement réactionnaires. Quand bien même les agriculteurs, « amoncellement de sacs de pommes de terre formant une classe amorphe », selon l’expression de Karl Marx, pourraient s’associer aux travailleurs dans une dynamique de convergence des luttes, ils retomberont rapidement dans leurs travers contre-révolutionnaires.
Comme l’histoire nous l’enseigne, s’il arrive que les paysans rejoignent un mouvement révolutionnaire, c’est moins par aspiration à transformer la société que pour la défense de leurs intérêts corporatistes. Car, ainsi que l’écrivaient Marx et Engels : « Ils ne sont pas révolutionnaires, mais conservateurs ; qui plus est, ils sont réactionnaires ; ils demandent que l’histoire fasse machine en arrière. S’ils agissent révolutionnairement, c’est par crainte de tomber dans le prolétariat ». C’est la menace de leur déclassement et de leur prolétarisation qui accule les agriculteurs européens à se soulever contre leurs gouvernements respectifs.
Cela étant, contrairement à la classe ouvrière qui lutte pour transformer radicalement ses conditions d’existence et abattre le capitalisme en vue d’instaurer une société sans classes, la paysannerie n’aspire qu’à persévérer au sein de la société capitaliste, qu’à échapper à sa prolétarisation, à se soustraire, y compris par sa collaboration armée avec la bourgeoisie, à la perspective de sa dissolution dans la société égalitaire future.
Une chose est sûre, avec l’exacerbation de la crise systémique en Europe, de nombreuses couches sociales, non exploiteuses mais non révolutionnaires, comme les agriculteurs, seront acculées à se révolter. Mais sans offrir aucune perspective politique d’émancipation, sinon celle du nationalisme, du chauvinisme, de la réaction, du populisme. Pire, celle du fascisme, en pleine résurgence dans de nombreux pays européens.
Raison de plus pour les travailleurs européens de ne pas soutenir, encore moins participer à ces mouvements sporadiques actionnés par ces multiples couches populistes sans avenir.
Khider Mesloub