Condition de l’insertion de la sphère informelle et des entreprises compétitives concurrentielles créatrices de richesses

Les axes directeurs de la refonte du système financier

Il ne faut pas confondre privatisation totale ou partielle, partenariat public privé et démonopolisation. Chaque opération étant un acte éminemment politique vers la transition de l’économie de marché à finalité sociale, répondant à des besoins spécifiques et souvent combinées.

La privatisation partielle ou totale est une cession d’actifs à des opérateurs privés. Pour le partenariat public privé PPP, l’Etat verse une somme au secteur privé en contrepartie de l’offre de service et de la prise en charge éventuelle de la construction et de la gestion des infrastructures, l’Etat gardant la main. En encourageant l’investissement privé nouveau, dans la transition vers l’économie de marché, certains pays de l’ex-bloc communiste n’ont pas privatisé mais encouragé la démonopolisation dans l’affectation des ressources financières. Concernant cette présente contribution, le gouvernement algérien se propose d’ouvrir le capital des entreprises publiques, dont celui des banques, à travers la bourse d’Alger, d’où l’importance de sept actions pour sa dynamisation.

Premièrement, une bourse doit se fonder sur un système bancaire rénové. Or, le système financier algérien depuis des décennies est le lieu par excellence de la distribution de la rente des hydrocarbures et donc un enjeu énorme du pouvoir. La dynamisation de la bourse passe forcément par la refonte du système financier algérien qui porte en lui la substance de l’enjeu du fait qu’il cadre parfaitement la politique économique développée jusqu’à présent et son corollaire les sources et les modalités de son financement. En effet, malgré le nombre d’opérateurs privés, nous avons une économie de nature publique avec une gestion administrée notamment des banques publiques qui accaparent plus en 2023 de 85% des crédits octroyés. La totalité des activités quelle que soit leur nature se nourrissent de flux budgétaires, c’est-à-dire que l’essence même du financement lié à la capacité réelle ou supposée du trésor. On peut considérer que les conduits d’irrigation, les banques commerciales et d’investissement en Algérie opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail mais par les avances récurrentes (Tirage : réescompte) auprès de la banque d’Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le trésor public sous la forme d’assainissement. Or, la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Puisque cette transformation n’est plus dans le champ de l’entreprise mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures), dans cette relation, le système financier algérien est passif.

Deuxièmement, l’opérationnalité de la bourse des valeurs implique et la résolution de titres de propriété qui doivent circuler librement segmentés en actions ou obligations. Le patrimoine est souvent non défini (absence de cadastre actualisé, numérisé) pose la problématique de la fiabilité des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser. Aussi, il s’agit de préparer un audit opérationnel du patrimoine existant, en le réactualisant à la valeur du marché ce qui implique la mise en place d’une comptabilité transparente pour réduire les coûts et, notamment un audit des immobilisations corporelles et incorporelles. Ces immobilisations sont souvent traitées d’une manière superficielle, alors qu’elles sont déterminantes pour une entreprise, ce qui renvoie d’ailleurs au nécessaire renouveau du Plan comptable national. L’expérience du passé pour les entreprises publiques montre que bon nombre d’entreprises publiques ont accaparé des terrains annexes sans l’aval des domaines, la valeur ne figurant pas dans le bilan. Des prédateurs et non de véritables investisseurs à des fins spéculatives, non informés peuvent être beaucoup plus intéressés par le patrimoine immobilier des entreprises publiques surtout dans les grandes agglomérations que par l’outil de production. Aussi, le patrimoine souvent non défini (absence de cadastre réactualisé, numérisé) pose la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels le transfert de propriété est difficile à réaliser.

Troisièmement, liés à la politique globale, les surliquidités au niveau de la société notamment au niveau de la sphère informelle, montrent la difficulté de transformer le capital argent en capital productif. Dans sa note de conjoncture, pour la Banque d’Algérie au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, les sommes d’argent qui circulent en dehors du circuit bancaire ont atteint 8026,19 milliards de dinars, contre 7392,8 milliards de dinars enregistrés à fin décembre 2022 et 6712 milliards de dinars fin 2021, un accroissement entre 2021/2023 de 1314 milliards de dinars , soit au cours vente du 11/04/2024 de 134,56 dinars un dollar 61,40 milliards de dollars ( l’euro étant coté 144,60 dinars un euro), le cours vente sur le marché parallèle étant de 241 dinars un euro et 223 dinars un dollar , un écart pour la vente, en référence tant par rapport à l’euro qu’au dollar de plus de 66% alors qu’il était de 50% fin 2021, soit plus de 30% du PIB, montrant que toutes les mesures d’intégration de la sphère informelle ont eu un impact mitigé autant d’ailleurs que le rapatriement de l’argent détourné, une grande partie étant placée dans des paradis fiscaux souvent en complicité avec des étrangers. Cela reflète un état de sous-bancarisation où des entrepreneurs, gros commerçants , ménages et autres intermédiaires préfèrent le cash pour moins de traçabilité et surtout pour mieux échapper au fisc ( 6000 milliards de dinars non recouvrés à fin 2022 selon la directrice générale des impôts soit 44,65 milliards de dollars au cours d’avril 2024-source APS) alors que dans les pays développés les plus bancarisés, la part de la circulation fiduciaire ne dépasse guère les seuils de 4 à 5% de la masse monétaire globale. L’opérationnalité de l’ouverture des bureaux de change suppose que l’on résolve le problème de la dualité des cours du dinar entre le marché officiel et celui du marché parallèle (écart d’environ 50%) en fonction de profondes réformes dans la gouvernance. L’agent économique étant rationnel, il calcule la différence du gain occasionné par la spéculation sur les cours des devises en marché parallèle ou de certains produits, comme les pièces détachées qui on connu une hausse en deux années entre 100 et 200% facilement stockable à forte demande et le taux de profit s’il achète des actions en bourse ou investit dans des segments dont la rentabilité est à moyen et long terme.

Quatrièmement, l’action d’une bourse est limitée sans un grand nombre d’ entreprises concurrentielles : c’est comme un stade de 100.000 places mais avec 1000 spectateurs. Par ailleurs le facteur déterminant sont ayant des bilans positifs avec des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales par la généralisation des audits et de la comptabilité analytique et la comptabilité des sociétés afin de déterminer clairement les centres de coûts pour les actionnaires. Or souvent en Algérie les petites entreprises privées (dominance des unités unipersonnelles et SARL) sont sans comptabilité analytique avec un gestion souvent familiales. Quant aux grandes entreprises publiques, elles donnent des comptabilités consolidées de peu de signification, additionnent pour déterminer le résultat brut ‘exploitation des prix du marché avec des prix administrés rendant opaques leur gestion (voir notre ouvrage toujours d’actualité, valeur , prix et croissance économique office des publications universitaires Alger 1982).

Cinquièmement, posant la problématique de l’adaptation du système socio-éducatif à l’environnement en perpétuel changement (l’intelligence artificielle pénètre progressivement le système financier mondial), en Algérie force est de constater la faiblesse d’ un Engineering financier national pour les évaluations supposant des bureaux d’études complexes avec des interactions entre technologues, juristes, économistes, sociologues, financiers. Ces bureaux d’études opérationnels au niveau des banques par exemple devront fixer les objectifs d’amélioration des performances de chaque projet reliés à chaque fonction ou à chaque système de gestion, selon une démarche descendante, en vérifier le réalisme (ratios, contexte), qu’à chaque objectif fixé peuvent être associés des indicateurs de performance faciles à mettre en œuvre et évaluer l’ordre de grandeur des impacts attendus (gains, qualité, délais, coût…), selon une démarche ascendante.

Sixièmement,, transitoirement comme amorce, je propose une privatisation partielle de quelques champions nationaux rentables (pour éviter les erreurs du passé, l’expérience mondiale montre que l’on ne peut privatiser que des entreprises publiques déficitaires qui ont goodwill positif appelé également survaleur qui nait de la différence entre le prix d’acquisition et la juste valeur de la société acquise, tout repreneur n’étant pas fou pour acheter une entreprise structurellement déficitaire) pour amorcer le mouvement et la création de fonds de partenariat Public/Privé pour sélectionner quelques entreprises en vue de leur introduction ultérieure en bourse, une entreprise déficitaire ou ayant le soutien de l’Etat pour leur assainissement–comme cela se passe à travers le monde, ne pouvant être cotées en bourse, en rappelant que selon les données du premier ministère reprises par l’APS durant les trente dernières années à fin 2020 l’assainissement des entreprises publiques a couté au trésor public 250 milliards de dollars et durant les dix dernières années toujours à fin 2020 les réévaluations ont été de plus de 65 milliards de dollars, dont 80% sont revenues à la case de départ. Il faudra étudier avec attention l’expérience récente de l‘ouverture partielle des banques publiques CPA et BDL où avec les nouveaux actionnaires le conseil d’administration doit être rénové et donc le mode de gestion doit changer. Il s’agira de solutionner le problème épineux des créances douteuses tant en dinars qu’en devises. ce qui permettrait de constituer un indice boursier consistant en volume et en qualité amorçant un cercle vertueux, agissant comme incubateurs de sociétés éligibles à la Bourse. Rappelons que les ressources collectées par les 12 banques activant dans le domaine de la finance islamique depuis le lancement de ce type de transactions en 2020, selon la commission de la finance islamique au sein de l’Association des banques et des établissements financiers ABEF, s’élèvent à décembre 2023 à 800 milliards de dinars, (source APS 21 décembre 2023), soit au cours de 134 dinars un dollar, environ 6 milliards de dollars représentent 10% de la masse monétaire de la sphère informelle. Pour la privatisation partielle du CPA , la collecte s’est élevée à 112 milliards de dinars, soit 835 millions de dollars encore que selon nos informations une fraction des actions achetées provient de dépôts des particuliers dans la sphère réelle.

Septièmement, en cette ère de profondes mutations mondiales dominées par les grands espaces économiques, une bourse pour 45 millions d’habitants étant une phase intermédiaire, comme je l’ai proposé dans une conférence à l’Unesco en 1992, relative à la coopération entre l’Europe et l’Afrique, il est souhaitable la création d’une bourse euro-méditerranéenne via l’Afrique, supposant la résolution de la distorsion des taux de change et des sous intégration régionales n’existant pas une Afrique mais des Afriques. Cette intégration accroissant le nombre d’acteurs en bourse, devrait dynamiser le tissu productif tout en n’oubliant pas les effets néfastes du réchauffement climatique, au sein de cet espace et limiter ainsi les flux migratoires.

En conclusion, mon expérience et mes contacts internationaux aux plus hauts niveaux montrent que les temps ont changé, que les réseaux tendent à supplanter les relations entre officiels même entre chefs d’Etat, que dans la pratique tant des relations internationales et des affaires n’existent pas de sentiments, mais uniquement des intérêts. Tout investisseur est attiré par le profit, qu’il soit américain, chinois, russe, turc ou européen. Il appartient à l’État régulateur, dont le rôle stratégique en économie de marché s’apparentant à celui d’un chef d’orchestre, un ministre ou un wali n’étant nulle part dans le monde un gestionnaire mais un facilitateur, est de concilier les coûts privés et les coûts sociaux , d’améliorer le climat des affaires pour l’émergence d’entreprises qu’ elles soit publiques ou privées concurrentielles par la lutte contre le terrorisme bureaucratique, et la gestion administrative en libérant l’initiative des managers- si l’on veut dynamiser la Bourse d’Alger. C’est l’entreprise qui crée la richesse d’une Nation permettant d’améliorer le pouvoir d’achat du citoyen. L’attrait de l’investissement à forte valeur ajoutée et la dynamisation de la bourse d’Alger, ne saurait résulter de lois, mais de la stabilité du cadre juridique et monétaire ( le cours du dinar étant passé (cours vente) en 1970 de 4,94 dinars 1 dollar, en 1980 à 5,03 dinars 1 dollar ; en 2010 à 74,31 dinars 1 dollar et le 12/04/2024 à 134,5 dinars un dollar ) afin de permettre la visibilité et de calculer la rentabilité dans l’élaboration de tout projet. Les pays qui attirent le plus les investissements productifs internes et les IDE n’ont pas de codes d’investissement, mais une libéralisation maîtrisée par la valorisation du savoir et une bonne gouvernance.

Abderrahmane Mebtoul
Professeur des Universités
Expert international