Un rite social et un mode d’expression normatif

De la violence en France

Dans ma précédente contribution consacrée à la violence dans l’Hexagone, j’avais écrit qu’en France la violence est un rite social canonique, un mode d’expression normatif. (1) C’est dans ce séculaire climat délétère imprégné par la culture de la violence et de la haine, accentuée par la décomposition de la société française, qu’évoluent les enfants. Notamment les jeunes issus de l’immigration.
Depuis plusieurs années la jeunesse turbulente donne des sueurs froides à la police et du fil à retordre au régime macroniste. La violence des jeunes s’est installée au cœur de la société urbaine « civilisée » française, de la cité démocratique bourgeoise. Cette violence juvénile tend à se banaliser, comme si la brutalité était devenue l’unique norme de socialisation dispensée par la société déchirée par les inégalités sociales, polluée par l’esprit de prédation, « le chacun pour soi », la banalisation du mal. En France, l’agressivité marque de plus en plus les relations interpersonnelles et sociales. Les incivilités, souvent gratuites, font partie désormais des moyens d’expression des jeunes, quelles que soient leur extraction sociale et origine ethnique. En France, d’aucuns déplorent l’absence de normes éducatives, de valeurs morales parmi les jeunes. Ces carences éducatives seraient responsables des comportements déviants de ces jeunes. Dans quelles structures de socialisation ces jeunes, par ailleurs privés d’avenir autre que de déréliction, pourraient-ils acquérir ces normes éducatives, quand les principales « valeurs » propagées par la société française contemporaine reposent sur l’appât du gain (l’argent), la course au profit, la rentabilité, la compétition, le culte de la performance, la réussite matérielle, le chacun pour soi, « la guerre de tous contre tous » ? En résumé, la banalisation du mal, culminant aujourd’hui dans le soutien inconditionnel apporté par le gouvernement Macron à la guerre d’extermination menée par l’État d’Israël contre les populations civiles palestiniennes de Gaza et à la guerre irrationnelle et suicidaire russo-ukrainienne.
Pour rappel, dans la construction de l’identité des enfants, les adultes (familiaux et institutionnels) représentent un modèle identificatoire. Des imagos (l’imago représente le prototype de personnages – parentaux, enseignants, célébrités culturelles, politiciens – qui vont influencer de façon inconsciente la personnalité de l’enfant). Or, sur ce chapitre des imagos, en France de nos jours les adultes (en particulier les dirigeants) sont devenus des êtres affligés de vices rédhibitoires, dispensant un discours éducatif démagogique, fondé sur la glorification du cynique et tyrannique ego, hissé au rang de principe pédagogique universel, élevant au rang de morale normative le racisme, le bellicisme, le génocide. Par ailleurs, toujours en France, cette perversion morale, cette violence désinhibée, est exacerbée par l’apprentissage obligatoire dans les écoles de l’hymne national le plus belliqueux du monde, chanté à chaque commémoration. Chant guerrier hérité d’une époque sanguinaire, cet hymne est jugé trop agressif, trop violent par nombre de Français humanistes contemporains. « Les paroles sont épouvantables, sanguinaires, d’un autre temps, racistes et xénophobes. Il y a pas mal de paroles qui passent et certaines qui sont inécoutables », s’insurgeait l’acteur Lambert Wislon contre « La Marseillaise ». En effet, il suffit de rapporter ces quelques paroles sanglantes pour se convaincre de la violence de cet hymne belliciste : « Aux armes, citoyens, formez vos bataillons. Marchons, marchons ! Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! (…) Tout est soldat pour vous combattre. S’ils tombent, nos jeunes héros. La terre en produit de nouveau. Contre vous tout prêts à se battre !». C’est dans cet environnement culturel imprégné par la violence institutionnalisée que sont élevés les enfants français. Notamment les jeunes issus de l’immigration. « Quand on a rencontré la violence pendant l’enfance, c’est comme une langue maternelle qu’on vous a apprise », note l’historien contemporain, Ivan Jablonka. La violence est le langage éternel de la France, la seule pédagogie dispensée au sein de la société, comme je l’avais démontré dans ma contribution évoquée plus haut. Les enfants de la République française s’en nourrissent abondamment. Notamment les jeunes issus de l’immigration. Parqués dans des cités de relégation, dans des quartiers dont les habitants sont captifs, en proie à de multiples discriminations et à l’exclusion sociale, les enfants d’immigrés sont victimes d’une opération doctrinaire d’ensauvagement de leur esprit, opérée par la funeste société française.
Dès leur prime enfance, les jeunes issus de l’immigration sont exposés à la violence d’un système fondé sur le racisme institutionnel, la répression policière, la sélection élitaire scolaire, la ségrégation résidentielle, l’ostracisme professionnel, la stigmatisation de l’islam, l’arrogance culturelle, le suprémacisme civilisationnel. Les jeunes français issus de l’immigration sont victimes d’ensauvagement opéré par la France ripoubellecaine et démoncratique. Ils ne sont Français que de papier, quoi qu’ils fassent. Comme on le leur rappelle avec cynisme. De par leurs origines extra européennes, leur religion « extra-terrestre » (à écouter les politiciens français, l’islam serait totalement incompatible avec les valeurs de l’humanité, du fait probablement de sa genèse céleste), leur patronyme arabe, leur pigmentation orientale, ils sont inassimilables à la culture française. Comme le proclament ouvertement les dirigeants politiques et les « élites » culturelles françaises. Faute de perspective d’intégration sociale, ces jeunes, en conformité avec la culture de la violence inhérente à la France où ils grandissent, expriment leurs frustrations et leurs détresse sociale et, donc, leur colère, par l’unique mécanisme traditionnel de protestation en vigueur dans l’hexagone : la violence. Cette violence gauloise millénaire. Or, à écouter les politiciens et les soi-disant experts, si certains jeunes français issus de l’immigration cultivent une propension à la violence, comme le martèlent sans relâche de nombreux médias, ce serait en raison de leur prédispositions comportementales dérivées de leurs origines ethniques et religieuses. Ce ne serait pas la société française anomique et discriminatoire, fondée sur une culture atavique de la violence, comme on l’a analysé dans notre précédent article, qui fabrique des jeunes violents, mais une entité ethnique (maghrébine ou subsaharienne) ou religieuse (islamique), par ailleurs totalement marginalisée, discriminée, et dépourvue de tout pouvoir institutionnel. Il s’agit là d’un déni de réalité, ce mécanisme de défense idéologique consistant à nier cette sinistre vérité anthropologique trop difficile à supporter pour ces pitoyables politiciens et journalistes français. Au lieu d’incriminer la société française génératrice de violences multiformes, ces propagandistes imputent la responsabilité de ces violences aux jeunes issus de l’immigration. Mettre le focus exclusivement sur les violences de ces jeunes permet aux oligarques et élites tricolores d’éluder le débat sur la violence institutionnelle systémique officiellement organisée par leur société belliqueuse, par leur système capitaliste ensauvagé, par leur président va-t-en-guerre Macron qui, comme perspective d’avenir pour la jeunesse, propose uniquement la guerre.
Ce n’est pas la conscience (une lointaine idéologie religieuse musulmane ou réminiscences culturelles ethniques) qui détermine l’être social du jeune français issu de l’immigration, mais l’être social (en l’espèce la France institutionnelle concrète, fondée sur des rapports d’exploitation et d’oppression, la relégation spatiale et la discrimination professionnelle) qui détermine sa conscience (ses schèmes de pensée et réflexes comportementaux). « On dit d’un fleuve emportant tout sur son passage qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent », notait Bertolt Brecht. Les élites françaises dissertent sur la violence des jeunes français issus de l’immigration, mais observent un silence éloquent sur la violence institutionnelle de leur État (en voie de fascisation). De leur société en (voie de putréfaction). En réalité, c’est conformément à leur culture politique française que les jeunes français issus de l’immigration manifestent leurs détresses et protestations sur le mode de la violence. Qu’ils manifestent leur mal-être, leur désarroi. Et non à leurs fantasmagoriques attributs ethniques ou/et religieux. Ces jeunes, nés sur le sol français, formés par l’école ripoubellecaine française, formatés par l’idéologie démoncratique française, sont Français. Produits d’une société française en plein déclassement économique, en pleine dégénérescence civilisationnelle, ces jeunes possèdent les caractéristiques sociologiques et politiques dégénératives de leur pays de naissance et de résidence. Il est plus commode, dans une posture de dénégation, d’attribuer la défaillance éducative de ces jeunes français issus de l’immigration à leur ascendance ethnique, leur obédience religieuse musulmane.
Or, en réalité, le ver corruptif et destructif est tapi dans la société française fondée sur une culture de la violence (Mai 68 demeure célèbre pour ses pavés lancés sur les policiers par des étudiants français de souche, le Parlement breton de Rennes pour son incendie commis par des marins pêcheurs français venus manifester de manière incendiaire leur colère le 4 février 1994, les Champs Élysées pour le saccage de l’Arc de Triomphe, vandalisé par les Gilets jaunes, le stade de France est désormais réputé, non pas pour les exploits footballistiques des joueurs mais le hooliganisme de ses supporters français). Pour preuve de la disculpation du pays d’origine ou de la religion des jeunes français issus de l’immigration, intéressons-nous aux Maghrébins. En Algérie, en Tunisie et au Maroc, les jeunes sont éduqués et disciplinés. Respectueux des normes, ils ne font quasiment jamais preuve de violence. Que ce soit lors des rencontres de matchs de football ou des manifestations. En Algérie, lors du Hirak, baptisé à juste titre « révolution joyeuse » et « révolution du sourire », en dépit de sa durée exceptionnellement longue (2019-2021) et de l’ampleur phénoménale des participants (des millions de manifestants défilaient pacifiquement chaque vendredi), il n’y a jamais eu de violences, de débordements, d’affrontements, de heurts, de vandalismes, de destructions. Comment expliquer cette différence de tempérament sociologique et politique entre la France et l’Algérie, sinon par l’éducation, la civilité et la sociabilité inhérentes au peuple algérien. Les politiciens français l’admettent eux-mêmes implicitement quand ils fustigent le comportement violent des jeunes français issus du Maghreb, autrement dit leurs concitoyens, en reconnaissant que ces jeunes ne se livreraient jamais à de tels déchaînements de violences dans leur pays d’origine (sous-entendu Algérie, Tunisie ou Maroc).
En effet, jamais. Car dans ces trois pays maghrébins, notamment l’Algérie, les jeunes sont éduqués et disciplinés. Ils ne baignent pas dans une culture de la violence et de la haine. Au vrai, les jeunes issus de l’immigration se comportent conformément à leurs concitoyens français lors des rencontres footballistiques ou manifestations politiques ou syndicales : par la violence. Aussi, en tant qu’Algériens, nous avons envie d’interpeller la France. Qu’avez-vous fait des enfants de nos frères et sœurs algériens établis depuis plusieurs générations dans l’hexagone, devenus jeunes citoyens français ? Nous connaissons, hélas, la réponse. Avec votre ancestrale culture de la violence, vous les avez ensauvagés, endiablés, pervertis. Ces diablotins, ces « Frankenstein en culottes courtes », sont votre œuvre, fabriqués par votre système sociétal luciférien, votre République démoncratique. Vous pouvez toujours, pour exonérer votre pays de sa responsabilité politique et morale, par une forme d’inversion accusatoire et de bouc-émissairisation conjuratoire, stigmatiser leur ascendance algérienne, incriminer leur obédience musulmane. Mais ce sont vos enfants. Des enfants de la République française. De l’école française. De la télévision française. Des politiciens français. Ce sont des Français, conditionnés par votre culture de la violence, de la haine. Ces jeunes n’ont aucun lien avec l’Algérie, sinon patronymique.
Khider Mesloub
1) Lire notre article De la violence en France : un rite social et un mode d’expression normatif publié dans La Nouvelle République le 14 avril 2924.