La grande aventure de l’équipe du FLN

Football

«Le sport au service de la liberté. Dans l’histoire récente du monde, il y eut quelques cas célèbres : l’exil de la superbe formation hongroise du Honved en 1956, après l’insurrection de Budapest, le poing levé des Noirs américains, John Carlos et Tommie Smith, au cours d’une cérémonie de remise de médailles aux J.O de Mexico, le boycott quasi unanime des Jeux de Montréal (1976) par les Africains, etc… Toutefois, l’action la plus brillante, la plus accomplie, fut menée par ces trente-deux footballeurs algériens qui, de 1958 à 1962, au nom du FLN, sillonnèrent le monde pour faire connaître encore mieux la cause du peuple algérien».
Printemps 1958. La guerre d’Algérie prenait une sale tournure. Le peuple algérien, plus que jamais décidé à sortir de la tutelle coloniale, souffrait le martyr. L’ALN rendait coup pour coup aux forces françaises. Dans le monde, «la question algérienne» était la tête d’affiche de l’actualité. Ce n’était sûrement pas le moment de faire preuve de relâchement. Au contraire, tous les moyens étaient bons pour assurer la plus grande publicité aux actions révolutionnaires des Algériens. Le sport étant un de ces moyens. En France, il existait une pléiade de footballeurs de haut niveau qui faisaient souvent la pluie et le beau temps dans le championnat de France professionnel. Le 15 avril 1958, les Français apprenaient avec stupéfaction que la plupart d’entre ces joueurs avaient bouclé leur valise, laissé leur confort et pris les chemins de traverse de la lutte. Bref, ils s’étaient mis au service du FLN. Ce que les Français ignoraient à l’époque, c’est que ce départ n’était pas le résultat d’un coup de tête de jeunes hommes immatures et dissipés. La décision avait été minutieusement préparée et de longue date. C’est à Paris, dans le quartier latin, au siège clandestin de l’UGEMA, que mûrit l’idée de la mise sur pied d’une équipe algérienne de football. C’était l’été 1957. Au départ, il s’agissait de préparer une équipe universitaire pour participer au festival mondial de la jeunesse à Moscou. Promoteurs de l’idée : Abdelghani Zitouni, Boumezrag, Docteur Bensemane, Docteur Zetchi, Mustapha Kouiret et Mohamed Khemisti. Douze joueurs furent convoqués et regroupés à Stuttgart (RFA) avant de partir pour Moscou par train. Dans la capitale soviétique, l’accueil fut très chaleureux. Pour la première fois, une délégation sportive algérienne défila devant un public considérable (100.000 spectateurs) au stade Lénine, et devant un aréopage de dirigeants politiques (Kroutchev entre autres). Ce jour mémorable, le drapeau vert et blanc frappé du croissant de l’étoile, claqua au vent sur les bords de la Volga. Devant le succès de l’opération (n’oublions pas qu’il ne s’agissait là que d’une sélection universitaire), le soir de la clôture du festival, dans une chambre d’hôtel, on évoqua la question de la participation des meilleurs footballeurs (donc les professionnels). Oui, pourquoi pas une formation algérienne de grande qualité, régulière et permanente ? Une équipe qui aurait la charge de la promotion de la cause nationale sur tous les terrains du monde.Vite dit, vite fait, Khemisti chargea Boumezrag, alors entraîneur à Montreuil (France), de prendre contact avec le maximum de footballeurs. Mais, de retour à Paris, les universitaires algériens allaient trouver une mauvaise surprise. La DST était sur les dents après le tapage qu’il avait fait à Moscou. Abdelghani Zitouni, par exemple, eut droit à une perquisition en règle au domicile de ses beaux-parents et fut surveillé de près par la suite. Toutefois, si les services français savaient qu’il y avait anguille sous roche, ils ne soupçonnaient pas l’importance du projet.M’hamed Hamza, Mahmoud Aklouche et Boumezrag se partagèrent la tâche, lorsque vint le moment de passer à l’action. Pour ne pas éveiller les soupçons, le travail d’approche avait duré plusieurs mois. Le départ du premier groupe était prévu pour la mi-avril 1958. Boumezrag, Bentifour, Arribi, Bekhloufi, Bouchouk, Brahimi, Kermali, Makhloufi, Rouaï, Mustapha Zitouni furent les premiers à quitter le territoire français pour Tunis, via Genève et Rome. Rachid Makhloufi, le stratège stéphanois, raconta avec précision, après l’indépendance, le déroulement des événements : «Samedi 11 avril 1958, Mokhtar Arribi me contacte au nom du FLN. Nous convenons de partir dimanche après mon match avec l’ASSE à Béziers. Malheureusement, au cours de la rencontre, je me blesse avec mon coéquipier Njo-Léa, je suis hospitalisé toute la nuit. Le lundi matin, Arribi et Kermali sont là pour le départ. Je ne peux passer à Saint-Etienne voir mon frère qui habite chez moi. Nous prenons la route de Lyon où nous récupérons Bouchouk, arrivé en retard. Puis, direction la Suisse. A la frontière, la curiosité des douaniers est satisfaite : « Nous allons nous reposer ». A Lausanne où nous retrouvons Boumezrag, les journalistes nous harcèlent. Il nous faut deux jours pour rencontrer le responsable du FLN. En Suisse, j’étais très inquiet. Comme j’étais militaire, je risquais d’être ramené en France comme déserteur. De Lausanne, nous gagnons Rome par la route. Les journalistes sont encore là, à l’affût, jusqu’à notre envol pour Tunis. Pour Makhloufi, pour Kermali, comme pour tous les autres, quitter le territoire français ne fut pas une partie de plaisir. Quatre jours après la disparition des premiers joueurs, la France sportive apprit la nouvelle. « L’équipe », tête de file de la presse spécialisée, usa de la grosse titraille : « Neuf footballeurs algériens disparaissent, quatre monégasques (Zitouni, Bentifour, Boubekeur et Bekhloufi) et l’Angevin Rouaï, retrouvés à Tunis. Emotion encore à Toulouse (Brahimi, Bouchouk), à Lyon (Kermali) et à Saint-Etienne (Makhloufi). L’éditorial est marqué par l’inquiétude et la stupéfaction : « Rien ne pouvait en effet frapper davantage l’imagination que la retraite subite de Zitouni et de ses camarades, à la veille des discussions du Parlement… et d’un grand match international de football (…) Il serait vain de nier le retentissement que peut avoir sur le sport représentatif français le geste voulu des footballeurs algériens. La contagion d’ailleurs peut s’étendre » Et puis, il faut dire que personne ne comprenait le « geste fou » de ces jeunes hommes qui avaient tout pour réussir dans la vie, le talent et le confort matériel. Mustapha Zitouni et Rachid Makhloufi étaient carrément aux portes de la consécration mondiale. Stockholm et la Coupe du monde les attendaient pour faire la fête. Mais, entre la gloire et la douleur, le confort et l’incertitude, la sécurité et la peur, les « jeunes hommes » avaient choisi sans l’ombre d’une hésitation Devenus les « globe-trotters » d’un peuple en guerre pour arracher sa liberté, les footballeurs du FLN allaient vivre, quatre années durant, une expérience exceptionnelle. Dès juillet 1958, ils disputèrent le premier tournoi maghrébin de l’histoire à Tunis avant d’entamer une tournée extraordinaire à travers trois continents (Europe, Asie, Afrique). Partout, ils laissèrent des souvenirs mémorables. Ils étaient souvent les plus brillants sur le terrain. Mille et une anecdotes en témoignent. Citons-en une seule : à Bucarest, devant 90.000 spectateurs, l’équipe du FLN assura un spectacle riche en couleurs, splendide en tous points. Si splendide que le public décida de rappeler les acteurs. Comme au théâtre. Alors, la Fédération roumaine pria les Algériens de prolonger leur séjour et de jouer un second match. Ce qui fut fait deux jours plus tard dans un stade à nouveau archicomble. Bien sûr, tout au long de ces quatre années, les entraves ne manquèrent pas. Sous la pression de la Fédération française, la FIFA menaça de sanctionner les pays qui accepteraient de recevoir l’équipe du FLN. Si des pays comme l’Egypte, la Pologne ou la Syrie se rétractèrent, de nombreux autres passèrent outre les ordres de la FIFA (URSS, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Chine, Vietnam, Maroc, Tunisie, Libye, etc…). Le 5 juillet 1962, prenait fin le calvaire du peuple algérien. Après sept ans de guerre, de sang, de larmes et de détresse. Pour les joueurs de l’équipe du FLN, c’était la fin de quatre années d’exil. Quatre ans au cours desquels ils avaient été les brillants ambassadeurs de leur pays à travers le monde. Grâce à eux, de Bucarest à Hanoï, Belgrade, Pékin, Baghdad en passant par Sofia, Tripoli et Prague, des centaines de milliers de personnes ont pris connaissance de la terrible dimension du drame algérien.
Hamid Sahnoun