La tradition du reboisement maintenue en Algérie

Qui se souvient du 21 avril 1963 à l’Arbatache ?

Cette année encore, une date qui devrait être l’occasion d’une commémoration méritée en Algérie, est passée inaperçue : le 21 avril. Ce jour-là, en 1963, c’était un dimanche, jour de repos hebdomadaire, à ce moment, Alger s’est vidée de ses habitants dès le matin pour une raison qui n’avait rien à voir avec une quelconque alerte contre une catastrophe dont il fallait prévenir les dégâts humains. Le mouvement de masse qui a fait sortir les Algérois de leur ville répondait à l’appel de la forêt qui avait besoin d’arbres.

Moins d’un an à peine après la fin de la Guerre d’indépendance, les traces laissées par le napalm de l’Otan largué par l’armée coloniale française à partir d’avions américains, étaient visibles partout dans les forêts où les combattants de l’ALN (Armée de libération nationale) trouvaient refuge. Près de la capitale, sur les pentes de l’Arbatache (ex-Maréchal Foch), la surface forestière était pratiquement dénudée et n’offrait plus aucune protection au barrage Hamiz posé sur l’oued qui coulait au pied du massif.

René Dumont à Alger
A l’origine de la journée historique de reboisement du 21 avril 1963 : l’économiste et agronome français René Dumont. C’est lui qui suggéra à Ahmed Ben Bella, premier Président de l’Algérie indépendante, dont il était conseiller, l’idée d’une grande action populaire de reboisement pour la protection des sols contre la dégradation, et des barrages contre l’envasement. La décision fut prise de reboiser les pentes de l’Arbatache, pour protéger contre l’érosion, le barrage du Hamiz, situé en aval. En annonçant cette action fixée au 21 avril, Ahmed Ben Bella expliquait : «Chaque jour, 100 hectares se perdent dans la mer». Quelques jours avant, le 11 avril, Abdelhamid Benzine, rédacteur en chef d’Alger Républicain, titrait son éditorial, «Couvrons notre patrie de forêts», en appelant à planter des arbres. Les chiffres concernant les forêts en Algérie en 1962 justifiaient son appel : 2,5 millions d’hectares complètement dégradés ; 5 millions d’ha de terres en érosion ; 1,5 m3 milliard d’eau qui allaient en mer et érosion de 40.000 ha de terres.
Le 21 avril 1963 près de 500 000 arbres ont été plantés. Sur la lancée, avant la fin de l’année, le 1er décembre 1963, 600.000 arbres seront encore plantés à l’Arbatache. A cette occasion, une étude publiée dans Alger Républicain (29 novembre 1963), cite Ibn Khaldoun : «On pouvait aller de Tripoli à Alger sous une voute d’arbres». La sensibilisation a porté puisque la tendance est maintenue l’année suivante : en mars 1964, les travailleurs du Jardin d’Essai et les élèves de l’Ecole d’horticulture ont planté 5.000 arbres au Bois des Arcades, à Alger, et, début avril, pour la Journée de l’Arbre, 500 hectares sont plantés. A la fin de l’année 1964, le bilan annuel est éloquent : des centaines de milliers d’arbres plantés à travers le pays ; en 5 mois seulement, 1 million d’hectares ont été reboisés. En 1965, pour célébrer le 21 avril, 500.000 arbres sont plantés au Hamiz. Au plan national, au total, Alger Républicain (26 avril 1965) annonce 40 millions d’arbres plantés.
Pour la petite histoire, le barrage-réservoir du Hamiz a été construit en 1879, durant l’occupation coloniale française. Selon les archives de l’époque, pour faire barrage aux eaux torrentielles dans la vallée, on éleva un mur de 42 mètres et construisit un réservoir d’une longueur de 222 mètres, capable d’emmagasiner 11 millions de m3 d’eau. Le réservoir, destiné à l’irrigation d’une zone de 40.000 hectares, connut par la suite, diverses modifications. Le mur fut porté à une hauteur de 45 mètres et, en 1946, le barrage présentait une capacité de 23 millions de m3, soit près du double de la capacité initiale.
A la tête du réseau d’irrigation, une usine de production d’électricité a été construite et inaugurée en 1946. La centrale électrique est prévue pour produire annuellement 2,5 millions de kilowatts, elle atteindra 3,5 millions de kw après surélévation du barrage. Elle permet une économie de charbon (anglais) de 1.500 à 1.800 tonnes, et de fret (Article de Bachir Hadj Ali dans Liberté – organe du Parti communiste algérien – de mars 1946).
Le phénomène de l’envasement posait à cette époque déjà un sérieux problème. Les ingénieurs français alertaient sur les risques liés aux eaux pluviales déferlant des montagnes, chargées de matières vaseuses qui se déposent dans les bassins réservoirs et menacent de les combler dans un court délai. Le barrage du Hamiz était dans ce cas.
C’est pour protéger ce barrage que la journée de reboisement fut donc organisée le 21 avril 1993. Avec le recul, cette date peut être considérée comme celle de la première et plus grande action écologique que l’Algérie n’ait jamais connue. Car, en fait, ce ne sont pas les seuls habitants de la capitale qui participèrent au reboisement mais ceux de toute la Mitidja. Ils convergèrent en une foule immense, dans une ambiance de fête indescriptible, pour planter chacun «son» arbre et marquer «sa» participation – qui aura d’autres formes dans les mois qui suivront – à l’œuvre de reconstruction du pays. On peut dire que l’écologie en Algérie est née avec la journée de reboisement du dimanche 21 avril 1963.
René Dumont a été, sans doute, le plus prestigieux des nombreux amis français de l’Algérie qui ont accouru, dès les premiers mois après la proclamation, en juillet 1962, de l’indépendance, pour aider le pays à se reconstruire, dans tous les domaines. On les appelait «Pieds-rouges» par opposition aux «Pieds-noirs» qui avaient quitté massivement l’Algérie laissant à l’abandon l’économie et l’administration dont ils constituaient l’essentiel de l’encadrement.
René Dumont était arrivé à Alger le 22 décembre 1962, accueilli à l’aéroport par le Président Ben Bella. Il fit une tournée d’une quinzaine de jours dans le pays, qui le conduisit notamment dans les Aurès où il est allé début janvier 1963.
Quelques jours après, René Dumont donnait une conférence à Alger sur le thème de la réforme agraire, en présence du Président Ahmed Ben Bella et du ministre de l’Agriculture, à l’époque Amar Ouzegane. Au cours de cette conférence, donnée salle Ibn Khaldoun (anciennement salle Pierre Bordes, construite sous le siège du Gouvernement général, actuel Palais du Gouvernement), René Dumont lança une petite phrase significative : «Il y a de nouvelles féodalités qui tentent de s’installer ici». C’était, il y a plus de 61 ans.
René Dumont avait gagné, auparavant, l’estime et l’amitié des Algériens en tant que signataire du Manifeste des 121 (publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-
Liberté) contre la guerre d’Algérie. Son livre phare, «L’Afrique noire est mal partie» (Ed. Seuil), est sorti en mars 1963, alors qu’il était le conseiller du premier Président algérien.

L’arbre, c’est la vie
«L’arbre, c’est la vie», pouvait-on lire en 1963 sur de grandes banderoles posées bien en vue. Aujourd’hui, dans les textes, c’est la continuité : «Le respect de l’arbre est un devoir pour tous les citoyens», dit une des dispositions de la loi algérienne sur les forêts. Selon cette loi, la coupe d’arbres sur la route, dans une ville et même à l’intérieur d’une propriété privée, doit être autorisée par la Direction générale des forêts (DGF). Selon les données fournies par la DGF, l’Algérie compte une terre forestière (forêts, maquis et reboisement) estimée à 4,1 millions d’hectares, composée notamment de plus de 1,7 million de hectares de forêts proprement dites (forêts et reboisement) représentant 42% du total des formations forestières.
La forêt algérienne est constituée de différentes essences en tête le pin d’Alep représentant 68% de la totalité des formations forestières, suivi du chêne liège couvrant 21% des surfaces forestières. La forêt algérienne n’a pas pu échapper à la catastrophe provoquée par les incendies (en moyenne 30.000 ha par an), les maladies et parasites (comme la chenille processionnaire pour le pin et le cèdre) et la pratique incontrôlée et inquiétante de la coupe illicite (pour le défrichage, la construction et le commerce de bois).
Motif de satisfaction : en Algérie, la plantation d’arbres est restée un geste écologique par excellence. Dans le programme national de reboisement lancé en 2000, sur 20 ans (2000-2020), 562.000 hectares devaient être plantés pour protéger les bassins versants contre l’érosion sur un total de 1.245.900 ha qui incluent également le reboisement industriel (75.000 ha), de reproduction (250.000 ha), la lutte contre la désertification (333.260 ha) ha ) et le reboisement d’agrément et récréatif (25.640 ha).
La directrice des forêts et de la ceinture verte de la wilaya d’Alger, Mme Sabrina Hakkar, a fait état, récemment, de la plantation de plus de 863.000 arbustes de différentes variétés à Alger, dans le cadre des campagnes de reboisement pour la saison 2023-2024, lancées le 25 octobre dernier et clôturées, le 21 mars 2024.

Le Barrage vert
Lancé en août 1971, sur une superficie de 3 millions d’hectares, par le défunt Président Houari Boumediène, le Barrage vert a coïncidé avec la première conférence internationale sur l’environnement, à Stockholm en juin 1972. A son lancement, il devait constituer une véritable ceinture variant de 5 à 20 km de largeur et s’étalant d’Est en Ouest, sur 1.500 km. Le président Houari Boumediène avait effectué de nombreuses visites aux éléments du Service national chargés des travaux. Jusqu’en 1990, les travaux étaient réalisés par le Haut commissariat du Service national qui s’est vu confier l’opération après que les moyens de l’administration des forêts se révélèrent insuffisants. Une judicieuse répartition des tâches, les forestiers prenant en charge les aspects techniques et l’Armée la réalisation, a permis de donner beaucoup d’efficacité à cette opération. Dans des conditions éprouvantes et au prix de nombreuses pertes humaines, les appelés ont couvert 280.000 ha plantés en arbres fruitiers et forestiers. Tout le mérite de cette opération leur revient. Le projet fut ensuite repris par l’Administration des forêts. La partie réalisée depuis le désengagement du Service national, de 1991 à 1997, est estimée à 80.000 ha. En 1998, les travaux de réalisation du Barrage vert se poursuivaient avec un taux de 60%. Le Barrage vert a toujours été présenté comme le fleuron de l’Algérie en matière de lutte contre la désertification.
Après un long sommeil, le Barrage vert a été relancé, en 2020, en tant que priorité pour lutter contre la désertification, sur décision prise en Conseil des ministres. Un organe de coordination de la lutte contre la désertification et de la relance du Barrage vert a été créé. La réalisation du Plan d’action de relance du Barrage vert a été confiée au groupe public Génie rural. La réhabilitation et l’extension du Barrage vert qui s’étend sur 13 wilayas, sont justifiées par son caractère national et stratégique, autant que par ses dimensions écologique – préservation des écosystèmes et économique – création de richesse et d’emploi. Il s’agit de l’axe central de la stratégie algérienne en matière d’amélioration et de renforcement des capacités de lutte contre la désertification et de réduction des répercussions du changement climatique, qui a pour horizon 2035. Ses objectifs : la conservation et la gestion durable des ressources (sol, eau, flore, faune) du domaine forestier, alfatier et autres espaces naturels. Son but : assurer la pérennité et garantir une production soutenue des biens et services pour le bénéfice des populations et de l’économie nationale. Le nouveau programme du Barrage vert adopte une approche intégrée répondant aux besoins et aux aspirations des populations concernées tout en tenant compte des vocations et des potentialités de ces espaces. Plus de 26 millions de plants ont été mis en terres sur une superficie de 43.558 hectares dans les zones du Barrage vert dans le cadre du programme 2020-2023 selon un bilan établi en août 2023 par la DGF.
Dernièrement, en Conseil des ministres, le Président Abdelmadjid Tebboune a insisté sur la réhabilitation du Barrage vert selon un cahier des charges. La création d’entreprises de jeunes dans le domaine du reboisement, de l’irrigation, de l’entretien et du suivi de l’exploitation, est encouragée.
M’hamed Rebah