L’entraîneur et son « Moi »

Football

,On a vu des entraîneurs livides, absents, excités ou étrangement calmes dans l’heure qui précédent le coup d’envoi ? Que se passe-t-il dans la tête de l’entraîneur à ce moment-là ? « La Nouvelle République » qui ne recule devant aucune sorte d’introspective a tenté de le savoir.D’un match à l’autre, l’entraîneur est l’élément central d’une équipe. C’est lui qui à peine le match terminé, en tire les conclusions, se fait le représentant du groupe qui vient de quitter la scène face à l’interlocuteur dirigeants et supporters. C’est lui qui met en place l’organisation collective générale. C’est lui qui prépare le dispositif en fonction de l’adversaire que souvent il est allé spécialement étudier. Homme de réflexion, homme d’expérience, homme de décision, homme de terrain, l’entraîneur doit mener son équipe d’un jour « J » en suivant le cycle match, décompression, récupération, préparation physique, technique, tactique, psychologique, compression, match. Quand les matches se succèdent à la cadence de trois par semaine, le cycle s’accélère et l’entraineur doit enchaîner rapidement d’une phase à l’autre. Mais quand la dernière séance d’entraînement est terminée, quand la dernière causerie est conclue, la décision passe du préparateur aux acteurs. Le match à venir sur lequel l’entraineur vient d’axer sa réflexion et son travail pendant plusieurs jours, ce futur immédiat qu’il a pensé au présent pour essayer d’éviter toute surprise, ces quatre-vingt-dix minutes de tout à l’heure lui échappent, ne lui appartiennent plus. Il n’a plus de prise sur l’événement qu’il a essayé de prévoir. L’homme central du club pendant des jours devient un homme seul en face de ses propres questions.
Monsieur Mourad Guerbaa, entraîneur au sein de l’école sportive « Khawa khawa » de Ksar-El-Boukhari (Wilaya de Médéa), parle ici de ces heures de souffrances d’avant match. A travers ses réactions, son cas particulier, on découvre ce curieux moment où il n’y a plus qu’une chose à faire : ATTENDRE. « Sur le plan de la préparation technique, le dernier entraînement a lieu une journée avant le match, surtout dans les périodes de matches très rapprochés où on a avant tout besoin de récupérer. Deux ou trois heures avant la rencontre, je réunis les joueurs pour une causerie pour une dernière mise au point. C’est un peu le résumé et la conclusion de notre préparation. C’est aussi une nouvelle occasion pour resserrer les liens du groupe. Cette causerie se fait donc collectivement. Le dialogue personnel avec chaque joueur je l’ai eu avant. Dans ce dernier moment, il faut que nous ayons tous les mêmes sensations ». Pour l’entraîneur, c’est également l’instant où en quelque sorte, il transmet ses pouvoirs à ses joueurs « Pendant ces quelques heures qui précédent le match, explique Mourad Guerbaa, les gars vont faire une petite sieste. Moi, cela m’est impossible. Je ne reste pas en place. Alors, je vais faire un tour pour m’occuper l’esprit ». C’est le temps où les joueurs veulent se persuader de leurs certitudes, et où l’entraineur connaît le doute « Dans cette période d’attente, j’aime bien être seul. Je repense au match du soir et je me pose beaucoup de questions. On croit avoir tout fait pour bien préparer ce match mais on ne peut pas s’empêcher de s’interroger de se demander si on ne s’est pas trompé dans les choix humains et techniques qu’il a fallu faire. Le plus frustrant, c’est de se dire que maintenant c’est à eux de jouer. L’entraineur ne peut plus changer grand-chose. Désormais, il faudra attendre la fin du match pour savoir si je me suis trompé. Il y aura bien une dernière mise au point, juste avant l’entrée sur le terrain, mais en fait la décision ne m’appartient plus ». Et même cette dernière intervention de l’entraineur à qui est-elle destinée ? A ses joueurs qui peut être ne l’écoutent déjà plus ou à lui-même qui a besoin de s’entendre se persuader que ce match on va le gagner parce que rien n’a été négligé pour y parvenir ? Puisque le destin semble lui échapper puisqu’il a le sentiment de son impuissance face à l’évènement, il se réfugie dans les petits secrets de sa solitude. Chacun a ses tics, ses habitudes, ses rites «Comme tout le monde, je suis un peu superstitieux. J’ai toujours l’impression que les choses ne se passeront pas comme je l’espère».
Voilà l’heure de se rendre au stade. L’heure des silences, des plaisanteries nerveuses qui s’échappent par inadvertance. L’heure où l’équipe se forge dans les pensées de onze solitaires. L’entraineur, lui, se dit qu’il ne peut plus rien. Ce moment va se prolonger sur le banc de touche, son banc de torture. Il fera semblant de tromper sa passivité en gueulant des ordres. Mais la ligne de touche est une barrière infranchissable. L’entraineur n’est plus que spectateur. Vivement la fin du match qu’il revienne acteur.
Hamid Sahnoun