Une région ancrée dans l’histoire

Tablat

L’origine du nom est berbère Tablat est un mot qui, en kabyle, peut désigner une quelconque caillasse, pierre ou caillou. Ce n’est pas une garantie de sol riche. Mais, à vrai dire, il n’y a pas plus de cailloux ici qu’ailleurs dans l’Atlas tellien. Quand on arrive à Tablat au printemps, en descendant l’oued el Had qui rejoint l’oued Isser un peu plus bas, ce qui se remarque c’est la verdure due à un climat pluvieux et frais l’hiver.

Après 1830 les tribus de ces montagnes étaient, par nous, qualifiées de Kabyles. Ce sont elles qui harcelaient nos postes proches de la Mitidja dès 1835 et qui nous obligèrent même, en 1839, à tous les évacuer, sauf Fondouk. L’origine du centre est française. C’est une création française ex-nihilo dans un site difficile d’accès et peu susceptible d’assurer la prospérité des colons attirés là par la IIIème République. En 1876 fondation d’un centre de peuplement européen. Ce Tablat est une sorte d’exception, d’abord par son nom indigène conservé.
En effet alors que la monarchie, à la demande explicite du Directeur de la colonisation, le comte Guyot, avait pris le parti de garder les toponymes indigènes dans le Sahel et dans la Mitidja alors en cours de colonisation, la République choisit assez systématiquement d’honorer ses grands hommes, ses militaires et ses victoires. Mais pas ici. D’autre part, Tablat est implantée au fond d’une vallée étroite où se rejoignent deux oueds.
Avant les Français, Tablat n’existe pas en tant que centre de peuplement ; c’est un lieu-dit dans un fond de vallée inondable. Les mechtas étaient, comme aujourd’hui, situées sur les hauteurs déboisées ou à mi-versant, mais toujours à l’écart des lits d’oued, de leurs débordements et des mares à moustiques. Le colonel Niox, dans sa géographie militaire publiée en 1890, signalait, cependant, l’existence jadis d’un poste romain, sans donner son nom latin.

Tablat à l’époque française 1876-1962
En 1876, Tablat est créée. En 1879 Tablat devient le chef-lieu d’une vaste Commune Mixte. En 1954, cette commune mixte avait 85.395 habitants dispersés sur un vaste territoire de plus de 1.000 km² sans grandes ressources. Entre 1879 et 1956, l’histoire de la commune n’a laissé aucune trace précise dans les ouvrages et les articles que j’ai pu consulter à l’exception du séisme de 1910 qui fit quelques dégâts. Elle a néanmoins laissé le souvenir d’une zone montagneuse pauvre qui ne pouvait nourrir tous ses habitants. Ces montagnards ont très tôt quitté leur mechta, au moment des gros travaux agricoles, pour aller s’embaucher comme travailleurs saisonniers dans les fermes des colons de la Mitidja ou du Sahel. Des habitudes, sinon des liens, s’étaient créées entre des familles de la région de Tablat et des exploitants européens. Ce sont les mêmes ouvriers, ou leurs frères, ou leurs fils, qui revenaient chaque année pour les vendanges ou pour les moissons dans la même exploitation.
Après 1930, certains sont venus avec leurs femmes et ne sont plus repartis, modifiant alors fondamentalement la population des villages français proches d’Alger. Le 24 février 1956, la route de Tablat devient maudite, J’ai pris le parti, dans ce travail de mémoire d’ignorer les combats et les massacres du temps des « événements » après 1954. Mais toute règle tolère des exceptions : le cas de la route qui mène à Tablat par le hameau de Sakamody et le col des deux-bassins, en sera une, et majeure. Je me permets cette exception car le massacre des innocents du 24 février 1956 a, plus que d’autres, marqué les esprits des gens de mon âge. Je ne mettrai qu’une image ; et pour les faits, je recopie les pages qu’André Rossfelder lui consacre dans son « onzième commandement ».
A partir de cette date funeste, seuls les convois militaires ont pu se rendre à Tablat par Sakamody. En effet, l’intérêt mineur de cette route explique qu’elle n’ait pas bénéficié du même traitement sécuritaire que la RN 1 dans les gorges de la Chiffa
équipées de postes d’observation placés dans des fortins gardés et sans porte au niveau du sol. Le trafic civil vers Aumale et Bou-Saâda fut détourné par Bouira ; les quelques rares véhicules qui montaient à Tablat également. Le responsable de ce massacre, un dénommé Ali Khodja, sergent déserteur de l’arsenal d’Alger, fut plus tard abattu par les paras de Bigeard. Je ne sais pas s’il a eu des descendants ; mais je sais qu’il a eu des émules à partir des années 1990. Le 9 avril 2005, à ce même col des deux-bassins jamais débaptisé sur nos cartes, 14 personnes ont été égorgées à un faux barrage tenu par un commando du GIA. On peut noter que, d’une façon générale, tant en 1954-1962 qu’en 1991-2008, cette zone de l’Atlas tellien, entre Palestro et Médéa, avec Tablat au milieu, fut la région la plus concernée par les attentats, les embuscades et les tueries ; et aussi le point de départ et de retraite des commandos qui infestèrent la Mitidja. J’aurai l’occasion, avec l’affaire du monastère de Tibhirine près de Lodi (Médéa), de revenir sur cette triste spécialité régionale. Le 22 juin 1956, Tablat devient chef-lieu d’arrondissement du département de Médéa.
Je suppose que le sous-préfet a dû rejoindre son poste en hélicoptère. Peut-être avec le chef de la nouvelle SAS installée au même endroit. Le 17 mars 1958 Tablat et son arrondissement sont rattachés au nouveau département d’Aumale qui est créé aux dépens de celui de Médéa. Le 2 novembre 1959, Tablat et son arrondissement sont à nouveau rattachés à Médéa, le département d’Aumale ayant été supprimé sans avoir jamais eu de réalité à cause de la chute de la IVème République après les manifestations du 13 mai 1958 à Alger.
Hamid Sahnoun